Lundi après midi petite visite à la maison Hugel située au coeur du magnifique village de Riquewihr. Tous les amateurs d'Alsace et même du vin en général connaissent ce nom empreint d'histoire. Pour ma part j'avais seulement dégusté le Gewurtz 1981 VT.
Accueil poli au domaine par une femme qui est devenue franchement passionnante dès lors qu'elle s'est rendu compte que nous étions des amateurs de vins et non simplement des touristes égarés du marché de noà«l venus au chaud acheter une bouteille souvenir d'Alsace.
Je vous conseille de visiter le site de la maison Hugel, très bien fait, complet et qui présente l'ensemble de la gamme actuellement proposée à la vente. (entre autres de vieux millésimes en VT et SGN ) !
www.hugel.com
Voici quelques grandes lignes. Hugel exporte ses vins à 80 % et sont très connus en Allemagne et en Suède (entre autres). Le domaine possède 25 hectares de Vignes propres et exercent aussi, avec exigence, l'activité de négociants. Dans la gamme, les vins "Jubilée" proviennent de sols classés "Grands Crus" autour du village : "Sporen" pour le Tokay et le Gewurztraminer, "Schoenenbourg" pour le riesling. J'ai cherché à savoir pourquoi le nom du Grand Cru n'était pas mentionné sur l'étiquette : 1) La maison préfère privilégier leur marque, leur nom propre HUGEL 2) Pour eux, une grande partie des terroirs classés ne méritent pas ce statut (le Grand cru Schoenenbourg par exemple est passé de 9 ha à plus de 20 !!). Ce n'est donc pas par mépris du terroir (au contraire même, ils l'estiment beaucoup), mais pour "boycotter" un nom légal qui n'est plus représentatif de qualité. A noter aussi la production d'un vin nommé "S", assemblage des cépages nobles du Sporen. Hormis les liquoreux les vins sont toujours très secs. Pour la maison les vins sec doivent être secs. Le sucre résiduel qui traîne, pour Hugel, n'est pas représentatif d'un vin alsacien historiquement sec.
J'ai ensuite pu longuement discuter avec Mr Jean Hugel lui même, (88 ans et encore en forme olympique !) , LA mémoire vivante de l'Alsace. Ce fut passionant de l'entendre évoquer l'époque où il n'y avait pas un seul commerce à Riquewihr (à part le boulanger) alors qu'aujourd'hui le village reçoit 2 millions de personnes par an (50.000 personnes par jour les WE de marché de noà«l où "on n'aperçoit même plus les pavés"). Il a longuement évoqué ce qui reste pour lui une fierté et une réussite, sa rédaction du texte de loi sur l'élaboration des VT et SGN, le seul fait "par un vigneron, pour les vignerons". Il est très satisfait du résultat puisque son texte ne permet aucune tricherie et a contribué à créer une réelle concurrence entre les vignerons ayant pour conséquence une augmentation de la qualité des vins liquoreux alsaciens. C'est le plus strict cahier des charges, le plus exigeant aussi, en la matière ! Il regrette que les autres régions viticoles (hormis le Jurançon) n'aient pas fait leur ce texte. Il a illustré en parlant de choses vues : une récolte d'un château de Montbazillac avec presque 100% de pourriture grise, des récoltes du sauternais appellant une sacré chaptalisation ... "Quand Yquem déclasse il ne devrait pas avoir de Sauternes cette année là ." D'ailleurs il a dû lutter avec le ministère à l'époque qui ne voulait pas que son texte mentionne la chaptalisation. Mais il a tenu tête. Ainsi les VT et SGN sont de réels cadeaux de la nature puisqu'ils ne peuvent naître que les grandes années quand les conditions climatiques l'autorise !
Mr Hugel est également un fin dégustateur qui ne se prend pas au sérieux. Pour lui, lorsque on déguste, on ne devrait tenir compte que d'une chose : de nos sens. Ne pas se fier à ce qu'on nous dit, à l'étiquette, à la réputation ... etc ! Il m'a conseillé d'employer aussi souvent que possible la dégustation comparative. "Prendre deux verres de vins similaires (et hop il m'a reservi un demi verre de VT) mais de qualité différente. Sentir les arômes du vin en mettant le nez dans le verre en le fermant hermétiquement avec son visage (et tant pis si ça fait un peu vulgaire). Goûter en bouche, passer du premier au deuxième puis revenir au premier. La supériorité du deuxième devrait être flagrante puis ensuite l'infériorité du premier évidente. Ne rien croire d'autre. Si le vin se déguste mal ou se montre discret au nez à cause de sa jeunesse, d'une période de fermeture, se fier à la longueur en bouche. Un grand vin saura toujours marqué le palais."
Il m'a raconté qu'il aimait piéger ses amis à l'aveugle avec un excellent vin chilien (en laissant négligement traîner une bouteille de Latour). Ils y voyaient tous la crème du Bordelais. Il aime aussi les commentaires et propositions d'accords de Serge Dubs, meilleur sommelier du monde en 1989, qui d'ailleurs a écrit lui même les commentaires du vin sur le site Hugel. En parlant des dégustateurs il dit avec humour que "ce sont des gens capables de trouver tout dans un verre sauf du vin". Il a évoqué un de ses meilleurs souvenirs de dégustation, un Yquem de la fin du dix neuvième siècle bu il ya 18 ans déjà ... pour son soixante dixième anniversaire ! Il m'a confié aussi qu'il aimait boire ses VT en toute simplicité, avec une tarte aux pommes de sa femme.
Passionnante et émouvante rencontre ! Jean Hugel, un Grand Monsieur vraiment ...
J'ai dégusté 3 vins seulement car je m'apprêtais à prendre la route.
Le "S" 2001, très particulier où effectivement on trouve le côté fruité du muscat et du gewurtz avec l'acidité du riesling. Le tout donne un vin très différent, un peu atypique, excellent pour l'apéritif. Une belle matière mûre frais et très pure.
Le Riesling Jubilée 1998 : Un vin magnifique, encore un peu jeune pour être bu (à mon avis). Très pure, sec, marqué là encore par une matière noble et une belle acidité. Le vin est visiblement très racé avec une évidente minéralité. Superbe.
Riesling Vendange Tardive 1989 : Encore un vin magnifique ! Robe d'un or brillant, presque pas évolué. Un nez magnifique, complexe et puissant de grand liquoreux (fruits confits). En bouche il est d'un équilibre remarquable ! Gras mais une finesse remarquable. Sa nature sucrée ne saute pas au palais et il y a une belle acidité qui rend ce vin très digeste. Très sensuel et épicurien ! Il peut sans problème être bu à table sur un plat salé de poisson ou avec un foie gras.