J’avais choisi l'AOC Saint-Julien pour ma dégustation thématique de printemps. Il n’y avait qu’un seul Julien, mais du beau monde autour de lui pour le club que j’appelle de plus en plus « LPV du grand Centre de la France » ! Ils sont en effet venus de Bourges, Paris, Montargis, Olivet et même Limoges !
Le printemps était bien là et c’était même presque l’été, avec 25 ° à l’ombre. C’eut été dommage de s’enfermer à la cave … nous étions donc dans le jardin. Mais l’ombre, il fallait la chercher, avec des feuilles encore trop maigrichonnes pour être efficaces. Nous nous sommes donc déplacés au rythme du soleil…
Enfin les Saint-Julien, présentés par paires, chacune ayant sa logique, étaient bien sûr des grands crus classés, car sur cette appellation le contraire est rare…
Il me fallait une mise en bouche, et cela a été un Champagne, accompagné des traditionnelles galettes de pomme de terre.
Champagne – Domaine Egly-Ouriet – Extra Brut –Vieillissement Prolongé
70 % PN, 30 % C, 78 mois de vieillissement, dégorgement en janvier 2015.
La robe est parée d’un or assez intense et d’une bulle délicate.
Le beau nez développe une aromatique de fruits blancs mais surtout de fruits secs et des notes briochées.
La bouche développe à la fois une forte densité et une acidité traçante pleine de rythme. La sapidité ne ressort que dans la finale, par ailleurs d’une persistance longue à souhait et très salivante.
Très Bien +
Première paire : un même château, dans le haut du panier, mais sur deux millésimes peu réputés.
Plat : terrine de bœuf et filet de porc au cognac et aux noisettes, une terrine très fine !
Epaulées pendant deux heures puis carafées pendant une heure.
Château Léoville Barton – 2002
La robe est sombre, marquant un début d’évolution.
Intense, le nez dénote un grand classicisme, sur des arômes de cèdre et d’eucalyptus, sur un fond de fruits rouges et noirs.
La bouche subtile et à point joue dans le registre de la finesse et des arômes tertiaires ; la chair est encore bien présente, les tanins sont complètement fondus, rien ne dépasse, la persistance toute en fraîcheur.
Etonnamment, nous avons débuté avec le seul vin de toute la dégustation dont on peut penser qu’il n’a pas trop d’avenir … Mais quel beau vin abouti, et quelle réussite pour le millésime !
Très Bien ++
Château Léoville Barton – 2008
La robe sombre paraît bien jeune.
Le nez s’ouvre généreusement à l’aération dans le verre sur des fruits noirs et du pruneau. Il fait très jeune et plus sudiste qu’il ne l’est.
D’une matière pleine et dense, la bouche impressionne par son étoffe et ses tanins gras ; plus large que longue, elle ne manque en aucun cas d’acidité et elle dévoile une légère amertume en finale.
Très Bien +(+) en l’état mais ira d’après moi plus loin que le 2002.
En termes d’accord avec la terrine j’ai préféré le 2002 pour la similitude de finesse, le 2008 s’imposant plus en force.
Deuxième paire : un même très bon millésime, à point, et une astuce qui aurait dû permettre une triplette.
Plat : samossas au bœuf et aux champignons, très goûteux !
Epaulées pendant une heure et demie puis carafées juste avant service.
Château Branaire Ducru – 1996
La robe encore sombre possède de beaux reflets tuilés.
Le nez très ouvert et épanoui fait très « classe » : du tabac, du bois précieux, un fruité secondaire…
La très belle bouche allie avec brio une matière mûre et charnue et une grande rectitude apportée par une acidité précise, jusqu’à une finale salivante.
Très Bien ++
Les arômes subtils du vin et du plat ont permis un beau mariage.
Château Léoville Barton – 1996
La robe sombre paraît très évoluée.
Le nez intense donne également une impression de grande évolution et fait malheureusement apparaître des notes liégeuses, en tout cas douteuses.
On ressent une belle matière en bouche mais surclassée par une acidité envahissante rédhibitoire.
Verdict unanime : ED.
Troisième paire : des vins plus âgés, dans deux millésimes consécutifs réputés mais aux caractéristiques différentes.
Plat : carré d’agneau, tout simple mais à la qualité et la cuisson parfaites.
Epaulées pendant deux heures et demie puis carafées juste avant service.
Château Léoville Las Cases – 1989
Le bouchon étonne par sa jeunesse : la bouteille a été reconditionnée au Château il y a quelques années…
La robe est encore bien dense mais le bord du disque tuilé trahit l’âge du vin.
Peu intense, le nez ravit tout de même par sa suprême élégance et son aromatique de compote de fruits d’automne et ses notes de sous-bois.
La bouche est harmonieuse et parfaitement aboutie, tant par son fruité d’une jeunesse étonnante, sa matière dense et soyeuse, ses tanins complètement fondus et sa grande persistance. Il m’évoque furieusement un « Le Bourg » du Clos Rougeard du même millésime bu il y a trois ans, lui aussi d’une jeunesse incroyable.
Excellent
Château Gruaud Larose – 1988
La robe est sombre et un soupçon plus évoluée que le Las Cases.
Très intense, presque puissant, le nez propose une aromatique plus classique, avec du balsamique, de sous-bois, du havane, le tout sur un fond fruité secondaire.
La bouche possède une très grande fraîcheur qui équilibre bien la matière encore très dense, aux tanins complètement assagis. Je ne lui reproche qu’une petite rusticité qui vient du millésime. Il pourra poursuivre son bonhomme de chemin, comme son associé d’’une après-midi, dans un registre très différent.
Très Bien ++ pour moi mais certains, et notamment des jeunes ( !), l’ont préféré au Las Cases.
C’est son côté très Rive Gauche qui a favorisé un rapprochement plus intime avec le plat…
Quatrième paire : un même très bon et jeune millésime.
Plat : daube de canard aux cèpes, une tuerie !
Epaulées pendant deux heures puis carafées pendant trois heures.
Château Lagrange – 2009
La robe est très sombre et bien jeune : c’est normal !
Très intense, le nez présente un côté syrah par ses arômes de fruits noirs, d’épices et de suie.
La bouche est bien faite, d’un bon équilibre entre charpente, corps charnu et fruité, tanins fins et longueur honnête.
Un Saint Julien réussi mais standard, à attendre pour qu’il se complexifie quelque peu.
Très Bien (+)
Château Gruaud Larose – 2009
La robe est très sombre, plus que celle du Lagrange, mais moins dotée en parure de jeunesse.
Le nez est moyennement intense mais allie grande profondeur et belle complexité. Le merlot (29 %) semble l’emporter par son caractère très fruité et un côté terreux prenant.
La bouche est grandiose, certes jeune par sa puissance et sa matière au fruité éclatant, mais son acidité structurante et équilibrante est magnifique, faisant plus penser à un 2010 qu’à un 2009. La très longue persistance et la finale dynamique laissent augurer un grand avenir.
Très bien ++ / Excellent déjà en l’état !
Il fallait bien la fougue de ces vins jeunes pour épouser la daube riche en saveurs, avec un plus pour le Gruaud.
Cinquième paire : un même bon millésime, moins jeune, et une astuce (les mêmes châteaux que pour la paire précédente)
Plat : comté « entre deux » et délice de Bourgogne.
Epaulées pendant trois heures et demie puis carafées juste avant service.
Château Lagrange – 1998
La robe est sombre et à peine teintée de reflets roussis.
Le nez ne brille pas par sa puissance mais par son caractère avenant et classique : on y trouve principalement des arômes balsamiques mais aussi du café et du cuir.
La matière souple, la grande fraîcheur, la superbe finesse et le profil long et précis sont les marqueurs de cette jolie bouche.
Très Bien +(+)
Château Gruaud Larose – 1998
La robe est dense et encore un peu moins évoluée.
Le nez gagne beaucoup à l'aération dans le verre pour offrir alors un très bel ensemble alliant menthol, balsamique, très beau fruit avec des notes prenantes de cassis.
La bouche affiche un profil large et une matière encore bien dense, un toucher au grain fin, une belle fraîcheur et une finale saline de classe. Que demander de plus ?
Très Bien ++ / Excellent
Les accords avec les fromages n’ont été ni très réussis ni ratés : on ne sera pas surpris, même si c’était plus engageant en d’autres occasions (y compris Bordeaux sur le délice de Bourgogne !).
Personne n’a reconnu les châteaux et le millésime a été placé entre 2001 et 2008… Mais ce n’est pas gentil de ma part de me moquer de mes petits camarades alors que l’exercice est si difficile ! Cela démontre surtout la jeunesse de ces deux bouteilles.
Et pour finir, un sucre !
Sauternes – Château Guiraud – 1996
Plat : tarte aux pommes
Epaulée pendant quatre heures puis carafée juste avant service.
La robe présente un or d’un ambre très marqué.
Le nez possède un botrytis d’anthologie mais encore teinté d’agrumes rafraichissants. Le safran très présent vient complexifier l’ensemble.
La bouche riche et étoffée ne verse jamais dans la lourdeur grâce à une acidité salvatrice. Son aromatique pure se maintient sur une allonge remarquablement sapide.
Très Bien ++
Au final, c’est la grande homogénéité de la dégustation qui m’a marqué. A part un échantillon défectueux, tout était très bon, même s’il n’y a pas eu d’immense coup de cœur. Je conclus souvent de cette façon ce genre de dégustation mais le choix de l’appellation a encore renforcé ce sentiment : les Saint-Julien, c’est vraiment bon ! C’est d’ailleurs mon appellation préférée sur l’ensemble du Bordelais…
Merci à ma douce et tendre pour ses plats toujours aussi réussis et à très bientôt les amis !
Jean-Loup