Cet avis de vigneron est fort intéressant. Il ne reflète pas, heureusement, la philosophie de tous les vignerons. Le vin est un monde idosyncratique et il est aisé, voire un peu facile, d'aller chercher dans le néo-libéralisime le plus primaire des raisons à un comportement.
En préalable, je me permet de demander ici, à mon tour, une discussion argumentée. Oui, je vend des vins chers, moins de 2 000 bts (mais leur prix n'a pas bougé depuis treize ans). Oui, je suis donc apparemment mal placé pour donner des avis ou que certains prendront, sans les lire, pour des leçons. Mais je pense que je peux apporter au débat certains éléments de réflexions et permet de rappeler que je m'efforce aussi de produire de bons vins quotidiens à moins de cinq euros, ce qui représente quatre vingt pour cent de ma production, parce que j'aime ça, que je trouve ça important voire essentiel et que ce sont deux mille bouteilles de vin "cher" qui me permettent de le faire.
Ceci étant dit, Monsieur Bizot confond à mon sens deux choses : agir et subir. il ne décide pas de ses augmentations de prix. Il les subit, se contentant de suivre ou ne de pas suivre une spéculation qu'il condamne mais qui, entre les lignes, le réjouit et on le comprend. Il subit une mondialisation qu'il n'a aucunement souhaité, n'a pas œuvré à sa réalisation, ne le fait toujours pas. Il ne fait que constater que le monde des hyper-riche devrait encore augmenter de 50 % dans les dix ans qui viennent, qu'ils seront dans les pays émergents et voudront boire des Bourgogne. Il ne fait que profiter d'une Loi, l'AOC, qui restreint l'offre en instituant des délimitations aux crus et d'un fantasme organisé par les Bourguignons qui ont conditionné le monde, celui des buveurs comme des vignerons d'autres régions, que le grand vin de Pinot Noir ne peut-être que Bourguignon. Pour lui, effectivement, déjà totalement "hors sol" par rapport au monde qui l'entoure et qui l'a fait naitre (le consommateur français qu'il ne reçoit plus, ne rencontre plus, ne répond plus aux lettres, etc et on comprend que ce soit difficile), il n'a, lui, que deux possibilités : voir l'argent lui passer sous le nez ou prendre les patates... Inutile de dire que si il était né ailleurs, quelque part, les choses seraient bien différentes, comme le dit la célèbre chanson ;-) En fait, le prix de son vin fait qu'il devient tout à fait "substituable", ce qui, j'en conviens, est une situation fort désagréable que je ne souhaite à personne.
Nulle critique dans cet exposé. Juste une réflexion qui devrait nous envahir avant d'écrire : à sa place, qu'est ce que je ferais ? Puis, à sa place "comment je ferais ?". Car, bien sûr, les solutions existent. A ce niveau de prix, on peut imaginer que chaque bouteille de grand cru voient par exemple, leur verre personnalisé au nom de l'acheteur par un simple gravage laser.
Evian le fait, par 6, pour 5 euros
, alors, honnêtement, il n'y a pas d'excuse mais bel et bien un accord tacite, le marché gris de la revente des particuliers étant le seul moteur de toute cette inflation, quand on prend la peine d'y réfléchir deux minutes ... En fait, la gloire, pour un viigneron ou un vin, ce n'est aucunement la note, mais quand le marché parallèle s'intéresse à vous. C'est alors que tout commence et il faudrait être naïf pour penser que beaucoup ne cherchent pas à organiser eux même la chose, justifiant ainsi des augmentations continuelles.
Ce que je trouve en revanche discutable, c'est de dire que "l'entreprise serait en danger", qu'il n'a pas le choix ou qu'il choisit "la vie". Hum. C'est un peu indécent. Qu'il prenne l'argent, il le mérite, après tout, qu'il assume ses choix et qu'il roule en Bentley, personnellement, je n'y vois rien à redire. Ah, mais voilà, on est France et c'est psychologiquement compliqué. Il ne manque à ses excuses, car ce sont des excuses, que la difficulté à transmettre, qui vient habituellement après : sans doute parce qu'avec le pacte Dutreil, c'est plutôt facile et plutôt pas cher, et c'est d'ailleurs pour cela que bien des fortunes actuelles veulent faire de leur patrimoine personnel un patrimoine professionnel... viticole. Ses justifications me semblent inutiles, d'une part, et me semblent ne pas arranger les choses. Aubert de Vilaine, qui permet à bien des amateurs dans le monde de boire gratuitement, le sait et il continu à vendre pourtant à des amateurs des vins qu'il sait être un peu ou beacoup revendus, pensant que c'est à l'amateur, en son âme et conscience, de boire ou de vendre, lui faisant le "don" du départ, c'est à dire une Romanée-Conti à dix fois moins cher que sa valeur de revente, ce qui est, qu'on le veuille ou pas, un sacré geste fait en totale connaissance de cause...
Reste donc, en fait, quand même, le cas des autres, là où c'est vraiment un CHOIX de prix, c'est à dire dans toutes ces régions sans légendes cisterciennes, sans critiques déjà convaincus avant l'entrée dans la cave, sans image. Il y en a peu, quand on y pense...
Je vais parler de mon cas, puisque c'est celui que je connais le mieux.
Je pourrais monter le buzz, aujourd'hui, autour de la petite Sibérie, assez facilement, pour qu'elle soit bu par des Russes à Courchevel ou des Chinois dans des Karaoké dans une des cent villes de plus d'un million d'habitants en mainland. Le prix monterait, j'en vendrais à n'importe qui, serait tenté d'en faire plus et je nagerai dans le pognon.
Je préfère choisir soigneusement mes importateurs, partageant mes valeurs et les transmettant à leurs clients. Je préfère dire non à des milliardaires qui pourraient acheter toute la vallée et ne leur vendre que ce qu'ils ont besoin pour eux, leurs amis et leur famille. Je préfère continuer à me confronter à des clients normaux, dans un environnement normal, comme la semaine dernière, à Arles, pour garder les pieds sur terre. Et je peux tout à fait, je pense, gérer les choses, en gardant du stock, en demandant respect et confiance, en refusant d'être un marqueur social, en maintenant mes prix et surtout en continuant à faire goûter tous mes vins sachant qu'une bouteille détruite en dégustation permet à de nombreux amateurs de gouter un vin cher auquel leurs moyens interdit l'accès et qu'elle est donc tout sauf inutile. Je me confronte aussi à des clients "anormaux", dont un qui vient me voir en bateau, a huit milliards d'euros et qui, pourtant, achète peu par respect pour moi. M. Bizot peut faire de même, il me semble (sauf pour le bâteau, il est loin de la mer ;-) et, à défaut d'argent, il aura grâce à cette incroyable diversité de clients, une autre forme de richesse.
Certes, on dira que le foncier chez moi n'est pas cher (mais qu'il ne se revend pas cher aussi...), que je ne fais pas du Chambertin (pour l'instant ;-), que je me la pète. On pourra aussi penser que je n'ai jamais justifié le prix par les conditions de production ou l'historique du cru mais uniquement par la valeur du vin et la difficulté d'un choix personnel. Et que donc cela m'oblige à répondre aux mails, à parler poliment de ma passion à mes clients que je respecte car sans eux je ne serai rien, même dans le plus modeste des salons de province. C'est mal, docteur ?
Je ne pense pas, au contraire. Préférer que mon vin, fruit d"efforts, de risques et de sacrifices quotidiens, soit bu par des gens normaux, dans le cadre d'un repas gastronomique français, en France, en Belgique, en Suisse en famille et entre amis, plutôt que par des milliardaires qui n'achètent qu'un nom un prix ou une note n'importe où et n'importe comment, parfois après un coefficient de multiplication insolent d'un restaurateur, soit dit en passant, me rempli de joie et donne un vrai sens à ma vie et à mon travail. Certes je ne serais pas millionnaire, je ne voyagerai pas en classe affaire, mais je vivrai bien et mon entreprise ira très bien, loin des investissements débiles et inutiles, pourtant à la mode, qui sont la cause directe de cette surenchère de prix dont la pire des facettes est que ceux qui en sont à l'origine ne l'assument pas et claironnent qu'ils n'ont pas choix.
Le choix, on l'a toujours. Bon, ça va être ma fête, encore, mais comme je venais de raconter le salon d'Arles sur le Blog, fallait que ça sorte.