1911 – C’est la "révolution" en Champagne . Dans les rues d’Ay, c’est l’émeute et tout le boulevard du Nord est en flamme. Trois mots reviennent dans la bouche des vignerons révoltés : "misère", "délimitation" et "fraude" ( voir l’article du journal l’Union ).

2011 – Cent ans plus tard… Nous sommes dimanche et il est 19h30. Dans les rues d’Ay, tout est très calme. Quoi que ! Au pied d’un superbe coteau planté de Pinot noir, dans une petite rue escarpée, le Castel Jeanson. On dit qu’une deuxième révolution s’y prépare et il est vrai qu’une rumeur circule depuis plusieurs jours : le champagne serait un vin. Diantre !

Dans l’entrée, des cadavres (de bouteilles, ouf !) jonchent le sol. On peut lire sur une barricade en bois : "1911-2011, toujours des vignerons en révolte au nom des terroirs de Champagne !". Dans la cour intérieure, dix-huit généraux – des vignerons de haute volée – et une cinquantaine de soldats – des personnalités du champagne venues du monde entier… et nous . Les armes ? Dix huit cuvées pour la plupart inédites des vignerons et un accord avec une bouchée pour chacune d’elles, préparées par deux grands chefs de la Champagne et leur brigade : Chef Giraudeau du Grand Cerf et Chef Mille du Château Les Crayères.

Ce soir, les vignerons ont décidé de sublimer le champagne. C’est le "Pré-Terres & Vins – Atelier Mets et Vins de Champagne". Une soirée inoubliable, c’est certain, où le savoir-faire des vignerons a rencontré celui des chefs étoilés. Se sont enchaînés, toutes les dix minutes, les cuvées et leurs accords, avec à chaque fois, une présentation des vignerons.

Un festival dont voici mon modeste compte-rendu :

1- David Léclapart, L’Amateur Vendange 2004 / Huître et Algue

Ça commence bien, c’est l’un de mes vignerons favoris. En biodynamie depuis 1998, il cultive trois hectares sur un terroir que j’adore, Trépail… à moins que ce que j’adore, ce soit la façon dont ce terroir s’exprime dans les vins de David. Ce blanc de blancs est tranchant, minéral avec des notes crayeuses et de fins arômes sur le bois fumé et le pain grillé très caractéristiques et que je reconnais immédiatement. Il s’exprime bien en bouche, avec un beau gras et du volume, tout en ayant une belle fraîcheur. J’adore ! La cuvée L'Artiste 2006 sera commercialisée en milieu d’année et c’est déjà une bombe.
Sur l’huître et l’algue en beignet, l’accord est plus que réussi. La fraîcheur absorbe bien le gras du beignet et la puissance minérale du vin s’associe bien à la puissance en goût de l’huître.

2- Pascal Doquet, Mesnil-sur-Oger 1996 / Huître, Saumon et Caviar

C’est l’un des premiers vins de Pascal, un 100% chardonnay du Mesnil-sur-Oger. C’est un très beau vin, assez gourmand, sur des notes joliment fruitées et florales. L’acidité associée au millésime n’est pas du tout marquée sur ce vin. Il possède toutefois encore une belle fraîcheur. J’aime beaucoup là encore. Sur la bouchée, on a un bel accord.

3- Laherte Frères, Récolte 2004 / Saint-Jacques et Vanille

Le nez est bien expressif, sur des notes boisées, vanillées et fumées. En bouche, on est transporté en Bourgogne. On a un vin ample, avec un bois clairement présent mais bien intégré et très agréable. J’adore. Avec la Saint-Jacques, ça fait beaucoup de vanille, mais l’association se fait bien.

4- Francis Boulard, Millésime 2005 (en jéroboam) / Homard et Tartelette chocolat

Voilà l’ami Francis qui nous présente son 2005, commercialisé depuis un mois, me semble-t-il. Il est servi en jéroboam. On est sur un tout autre registre aromatique avec des arômes particuliers de pierres mouillées, de terre et des notes clairement fumées. Le vin a une belle maturité et un bel équilibre en bouche avec de fines notes épicées. Pour ma part, j’aime beaucoup et l’accord avec le homard se fait assez bien. Il développe le côté épicé du vin.

5- Tarlant, Saga 1994 / Pâté en croûte et Oreiller de la belle Aurore

Benoit, qui s’est laissé pousser la moustache pour l’occasion et a mis une superbe ambiance ce soir, nous offre un vieux millésime, élaboré par son père. 1994 est une année difficile en Champagne, mais ça me plaît bien de goûter les champagnes sur des années très rarement millésimées. J’aime beaucoup le nez, sur des arômes de fruits confits et de pomme au four. En bouche, ce sont là les arômes d’évolution qui s’expriment et qui montrent les limites du millésime : champignons, humus… C’est très marqué, mais j’aime bien. Le champagne a en plus une belle fraîcheur.
La bouchée est somptueuse et l’accord se fait assez bien là encore.

6- Hubert Paulet, Risleus 2001 / Porc et Arachide

2001, encore une année difficile, rarement millésimée ! Pourtant, je goûte de belles choses sur cette année et c’est encore plus le cas cette fois-ci. On a ici un superbe bouquet de fleurs avec des notes d’amandes. En bouche, on a de l’ampleur et l’aromatique envahit la bouche. C’est une explosion d’arômes sur le registre floral, auquel s’ajoutent des notes d’abricot et de bois de santal. On a de l’élégance et une superbe longueur. C’est sans doute le meilleur 2001 que j’ai goûté jusque-là. Bravo !

7- Chartogne-Taillet, Millésime 1996 / Canard Soja et Sésame

Alexandre Chartogne, le chouchou de Essi Avellan pourrait-on dire. Et c’est vrai que c’est quelqu’un de très sympathique, toujours coiffé de son béret et grand amoureux des terroirs. Il nous présente là une cuvée élaborée par son père. C’est rond, gourmand, plutôt sur le fruit. Le vin a une belle jeunesse et n’est pas du tout marqué par l’évolution. Malheureusement, bu seul, on a un sucre un peu présent… mais du coup, avec le canard soja, ça marche très bien.

8- René Geoffroy, Empreinte 1999 / Foie gras, Gelée de mangues et Pain d’épices

Le vin est ample, rond en bouche, sur des notes de fruits murs et de noisettes. C’est bon et l’accord se fait très bien sur le foie gras.

9- Pouillon & Fils, Ecueil 1977 / Foie gras et Céréales

Fabrice nous présente un vieux millésime élaboré par son père. Il me semble que là encore, 1977 est un millésime très moyen en Champagne. Et pourtant, ce vin est pas mal du tout ! Si le nez est très marqué par l’évolution (champignons notamment), la bouche est plus agréable. On a de la fraîcheur et une aromatique sur les épices, la cannelle, la réglisse avec une certaine élégance. Si j’en juge mes notes, j’ai beaucoup aimé. Je n’ai cependant pas été conquis par l’accord.

10- Agrapart & Fils, Minéral 1982 (en magnum) / Morille et Volaille

Pascal Agrapart est sans nul doute l’un de mes cinq vignerons préférés en Champagne. J’aime la personne et j’ai énormément d’admiration pour son travail. Pour avoir quelquefois dégusté avec lui, je trouve qu’il a par ailleurs un palais extrêmement fin. Mon vin coup de cœur chez lui est justement la cuvée Minéral, que je trouve personnellement supérieure à Vénus. Je suis alors heureux de voir qu’il nous présente un rare 1982 élaboré par son père et dégorgé il y a un an, en magnum qui plus est. Pour le coup, 1982 est superbe en Champagne, comme dans beaucoup d’autres régions d’ailleurs. Dosé à 2 g./L. à peine, ce blanc de blancs est un grand vin. Il a une belle fraîcheur comme beaucoup de champagnes sur ce millésime je trouve. On a du gras en bouche et encore un beau fruit avec de très jolies notes toastées. C’est fin, élégant et l’accord avec la morille est superbe. C’est sans doute le vin de la soirée pour moi !

11- Françoise Bedel, Comme Autrefois 1998 / Morilles

On passe de la Côte des Blancs à la Vallée de la Marne, du Chardonnay au Pinot Meunier (80% de l’assemblage). Le nez est très expressif, sur le fruit sec et la fleur blanche. En bouche, c’est riche, puissant. On a toujours un beau fruit bien gourmand et bien qu’il soit dosé à 8 g./L., ça ne se sent pas du tout. La finale est plus minérale et droite. J’adore et l’accord sur la morille est là encore une réussite.

12- Bérèche & Fils, Le Cran Rosé 2006 (en magnum) / Pigeonneau fermier, Foie gras et Cassis

Le premier rosé de la soirée et le premier élaboré par Raphaël. On a un joli nez sur les fruits rouges, très frais. En bouche, c’est droit, sur un fruit très agréable, bien expressif et élégant. C’est vraiment très bon et l’accord se fait bien avec le pigeonneau.

13- Olivier Horiot, Rosé des Riceys "en Valingrain" 2003 / Canard Griottines

On passe à un digne défenseur du pays aubois qui, le lendemain au salon, nous présentait ses vins clairs avec une étiquette indiquant : "Champagne Deuxième Zone". Suite à une loi du 7 juin 1911, abrogé en 1923, les producteurs de l’Aube devaient obligatoirement apposer cette mention sur leurs bouteilles. Dans la famille Horiot, on a élaboré des vins tranquilles bien avant les champagnes. En 2003 d’ailleurs, il n’en élaborait pas encore. C’est donc naturellement qu’il nous présente son Rosé des Riceys. Le nez est superbe : on met littéralement le nez au dessus d’un panier de fruits rouges avec une dominante sur la cerise. La bouche est malheureusement plus monolithique, du moins à ce stade de la soirée et aussi pour l’amateur de Rosé de Provence que je suis. Mais j’aime bien.

14- Benoit Lahaye, Bouzy Rouge 2004 / Taboulet et Bœuf

La diversité des vins de Champagne imposait également de présenter un rouge, de Bouzy, le terroir le plus connu pour ces vins. C’est frais, léger, acidulé, avec des tanins soyeux. On a un milieu de bouche sur les végétaux, la menthe et les épices douces. C’est bon mais il n’a pas la structure de ses voisins de la Bourgogne. L’accord se fait bien, sur la fraîcheur.

15- Franck Pascal, Millésime 2000 / Pomme et Caramel

Le vin est tout en rondeur, sur des notes de fruit blanc et avec une bonne fraîcheur. Le dosage se sent cependant pas mal et je suis donc moins amateur du vin en lui-même. Mais sur le premier dessert, il est du coup plus adapté.

16- Goutorbe & Fils, Demi-Sec Grand Cru / Ananas rôti

L’association Demi-Sec et Grand Cru fait frémir. Mais ce n’est pas mal. On a des notes de fruits jaunes, de banane, de fruits exotiques. Avec l’ananas, on a un bel accord, qui fait par ailleurs perdre au vin de sa sucrosité.

17- Jeaunaux-Robin, Cuvée An 2000 / Capuccino revisité (création Fossati)

Ce vigneron nous présente ici une bouteille à l’habillage folklorique, très festif, sortie pour l’an 2000. Il s’agit d’un assemblage des millésimes 1995 et 1996 et ça se sent bien. Le nez est droit, sec, un peu floral et avec un pointe d’évolution sur le champignon. En bouche, c’est tout en tension, avec une acidité très présente, peut-être même trop. Le vin est dosé à 11 g./L. mais l’acidité contrebalance bien. Pour moi, l’accord ne se fait pas du tout mais je crois que c’est l’association café et champagne qui est difficile.

18- Couche, Bulles de Miel / Sablé et Poire

Vincent Couche, un autre vigneron très sympathique, en conversion vers la biodynamie depuis 2008. La cuvée Bulles de Miel, comme son nom le laisse présager, est un demi-sec très sympathique. On a un beau fruit très gourmand et un sucre qui n’est pas lourd du tout. L’accord sur la poire se fait naturellement bien.

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A l’issue du dîner, le prix "Terres et Vins" a été décerné, récompensant chaque année une personne témoignant de son engagement pour les vins et les terroirs de Champagne. Il est revenu cette année à Olif, du blog d’Olif . Félicitations à lui !

A minuit et demi, la soirée s’achève. Elle a été une grande réussite, comme le salon qui s’est tenu le lendemain. Il ne me reste qu'une chose à dire : le champagne est un grand vin et les terroirs de la Champagne une absolue merveille ! Alors aux armes, amoureux des petites bulles champenoises !

Julien

Superbe, comme toujours !

Luc

Julien,

Bravo

Ce "petit" pèlerinage en valait en effet la peine...

Eric.

Là c'est la before très sérieux et tout.
Par contre l'after... (voir la photo sur le blog d'Olif du roulé de tonneau dans les rue d'Aÿ ...)

bonjour,

cela fait envie...d'y avoir été, quand je pense que je n'étais pas non plus là le lendemain( (plus de place)....merci de ce superbe CR. Une grande mention complémentaire à la cuvée 2001 des Paulet : vraiment le meilleur gouté aussi dans ce millésime de daube générale.

frédo

Bravo Julien pour ce très beau CR. Je suis grandement déçu de n'avoir pas pu me rendre en champagne à l'occasion des deux salons.

Bonjour Julien,

merci de nous faire partager ces bouteilles, je les ai dégustées par la lecture de ton cr!

Armand

Jolie description ! Merci !

Petit résumé de la vendange 2010 en Champagne.
Grosso-modo 2010 commence bien mais à la mi aout des problèmes d'hydrométrie font que la pourriture se répand dans le vignoble.
Du coup pas mal de perte suite au tri donc petit rendement au final.
Bilan des courses en vins clairs :

Finalement de bien belles choses à déguster.
Un bon nombre de vins clairs n'avaient pas fini leurs malo et était peu représentatif à ce stade du style habituel des vignerons.
Mais beaucoup de vins avec des beaux équilibres, belles aromatiques de la tension.
Un peu en retrait par rapport à 08 et 09 qui sont des futurs grand millésime mais au-dessus de 2007.
Si je ne devais retenir qu'un vin clair. Je dirais le rouge d'Olivier Horiot. Car à ce stade sur le fruit c'est une véritable gourmandise qui pinote

Chapeau Julien

Le rendu est passionnant et les photos sont superbes.
Un très grand événement.
L'éclectisme du choix des champagnes est rare.
Bravo.

Bravo julien ! L'événement avait l'air top, ça donne envie !!

Magnifique texte, Julien !
Aussi appétissant qu'instructif, chapeau !

Merci à tous pour vos commentaires

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Julien