Mes commentaires de dégustation doivent être lus en sachant que j’étais le seul de la bande à connaître l’identité des vins servis.
Tous les vins ont été servis anonymement en carafe, versés au dernier moment, à l’exception des deux bordeaux qui ont été carafés deux heures avant la dégustation.
Les blancs
Bataille n° 1
Stéphane Cossais, Montlouis Le Volagré 2008
Stéphane Bernaudeau, Vin de France Les Nourrissons 2010
Bien que chardonnay ne soit pas mon cépage fétiche et que je lui préfère la plupart du temps le chenin, je n’ai pas été vexé quand une sorte d’unanimité autour de la table a reconnu le chardonnay dans ces deux vins.
Je n’ai pas été vexé parce que dans leur confusion ils se voulaient finalement flatteurs en pensant que c’était du chardonnay.
Blague à part, on est ici en présence de deux blancs de très haut niveau. Je suis plus surpris par le Montlouis que j’avais du goûter à sa sortie mais pas depuis. C’est un vin qui possède une vraie élégance, voire une grande classe, qui se traduit notamment par un équilibre quasi parfait entre le gras, la finesse de texture, un élevage intelligent et maîtrisé, une matière totalement détendue (structurellement) mais élégamment tendue (par son acidité bien intégrée). A côté, Les Nourrissons exprime presque une certaine violence. Les deux ans d’écart l’expliquent sans doute en partie, mais ce vin dégage toujours, chaque fois que je l’ai dégusté, une énergie incroyable que j’adore et je reste complètement fan de ce vin qui, ne l’oublions pas a été payé quelque chose comme 16 euros au domaine et qui explose à mon avis nombre de cuvées françaises, de chardonnay par exemple
…
Bataille n° 2
Pierre Overnoy - Emmanuel Houillon, Arbois-Pupillin Chardonnay 2011
Stéphane Tissot, Arbois Chardonnay La Mailloche 2011
J’ai été dérouté par le premier vin. Je m’attendais à quelque chose d’un peu sauvage, un rien brouillon, avec quelques défauts qui pourraient peut-être se corriger après une longue aération. En fait j’ai trouvé ce vin plutôt séducteur, assez fin, un peu épicé, avec même un côté exotique, mais avec un certain conformisme et un manque de vrai caractère qui m’a un peu étonné, pour ne pas dire déçu. Il y avait ce soir là quelque chose d’assez conventionnel dans ce vin. Comme un manque d’expression de terroir ?
Ce n’est pas le cas du tout de La Mailloche, une cuvée que je trouve toujours formidable chez les Tissot. Comme d’habitude une petite réduction fumée au nez qui mettra une dizaine de minutes à disparaître. La matière, en densité et en texture, est remarquable d’équilibre entre une certaine puissance mais une belle finesse aussi. Un vin très sapide qui a lui, par contre, une véritable expression de terroir. Au-delà du vin, on ressent un sol.
Bataille n° 3
André Ostertag, Riesling Grand Cru Muenchberg 2007
Domaine Zindt-Humbrecht, Riesling Grand Cru Clos Saint-Urbain Rangen de Thann 2007
Là, personne ne s’est trompé et le riesling a été très vite identifié même si aucun des deux vins ne présente évidemment d’arômes terpéniques marqués. Encore heureux ! L’ordre de dégustation était important. Le Muenchberg séduit d’emblée avec un certain charme gourmand (mais sans sucre sensible), ce qui n’est pourtant pas la marque du style Ostertag. Un très joli vin de plaisir et de repas, à l’équilibre bien foutu, mais ne faisant pas preuve d’une grande personnalité. Le second met une baffe d’emblée… Le nez est d’une incroyable pureté, légèrement sur la réserve, mais d’une élégance en retenue comme j’adore. La bouche est à l’unisson. Elle est pure et cristalline comme de l’eau de roche et on a la sensation que ce vin baigne tout l’intérieur du corps comme une eau de source rafraichissante. Une sensation tactile et physique comme peu de vins le proposent. Le tout dans un millésime qui est sans doute assez bon mais pas exceptionnel en Alsace. Du grand art. Le 2012 du même vin que j’ai dégusté à plusieurs reprises ces derniers mois est de la même facture. Et quand on revient au premier vin après, on sent qu’on n’est plus tout à fait dans la même catégorie …
Les rouges
Bataille n° 4
Clos Rougeard, Saumur-Champigny Le Bourg 2002
Domaine Lafarge, Volnay 1er cru Clos des Chênes 2002
Dans les vins que je connais, à part Ausone à Saint-Emilion et Rayas à Châteauneuf, il n’y a que Clos Rougeard pour rivaliser en finesse et en délicatesse de fruit avec un pinot noir bourguignon de bon, voire de haut niveau. Et la magie a de nouveau opéré. J’ai beau avoir ouvert déjà trois bouteilles de ce même vin depuis un peu plus d’un an, je suis à chaque fois surpris par la précision de sa vinification, la finesse des tannins, la justesse du fruit et de l’extraction, la maîtrise absolue de son élevage. La maturité du fruit est parfaite, sans excès ni lacune, le vin reste d’une buvabilité hors normes malgré sa présence en bouche. Tout simplement superbe…
Il réussit notamment l’exploit de faire passer le volnay de Lafarge, qui n’est quand même pas n’importe quoi, surtout en version Clos des Chênes, pour un vin un peu rustique. Tannins plus grossiers, amertume un peu marquée, le pauvre “Grand vin de Bourgogne” a du mal à se remettre de la claque que lui a asséné le petit vin de Loire…
Selon un spécialiste de la Bourgogne qui assistait en wild card à cette soirée, 2002 n’est pas inoubliable à Volnay. Explication acceptée, mais il est vraiment dur de faire le match avec le Bourg 2002. Dans une précédente soirée, j’avais trouvé en Bourgogne un challenger à la hauteur. C’était Clos des Lambrays 2002. No comment …
Bataille n° 5
Château Bélair, Saint-Emilion Grand Cru Classé 2001
Château Beauséjour (Héritiers Duffeau-Lagarosse), Saint-Emilion Grand Cru Classé 2001
J’avais goûté ces deux vins avec beaucoup de plaisir en 2004 ou 2005, lors d’une horizontale très complète de l’appellation Saint-Emilion (plus de 100 bouteilles, mais en plusieurs séances, rassurez-vous !) et après une série de productions sur mûres, sur boisées, sur extraites, il avait flotté comme un petit air de tendresse et de délicatesse avec ces deux châteaux. Dix ans plus tard, la magie allait-elle encore jouer ?
Le contexte de dégustation n’était pas le même puisque ce soir ils passent après deux vins délicats. Ce n’est donc pas leur délicatesse qui m’a frappé en premier, sauf peut-être le Bélair. Le nez est élégant, mûr sans ostentation, encore très jeune sur des arômes clairement fruités, en finesse. La bouche elle aussi est délicate mais pas sans matière. Le vin garde une belle allonge fraiche et sapide avec une buvabilité de bon aloi. Un style pas courant par ici et qui me va bien ! Beaucoup d’élégance et de droiture dans ce vin.
Beauséjour, dès le nez, est plus velouté, offre un aspect de plénitude plus marqué, avec des arômes un peu plus capiteux, mais sans excès quand même. La bouche est plus dense que le Bélair avec, comme au nez, cette sensation veloutée marquée avec sans doute un peu moins de fraicheur que son compagnon de soirée, mais cela reste un beau vin, assez classique me semble-t-il.
Bataille n° 6
Domaine Rostaing, Côte Rôtie 2005
Domaine Jean-Louis Chave, Saint Joseph 2005
Des vins que je n’avais encore jamais goûtés. Ils partaient donc sur une forme d’égalité, sans trop de préjugés. A l’arrivée, il n’y aura pourtant pas photo… Le Rostaing m’a très heureusement surpris, tout à fait dans le style que j’aime retrouver en Côte Rôtie, c’est à dire des vins qui jouent plus sur la délicatesse que sur la puissance avec de belles notes de lard fumé. J’ai déjà bu plusieurs vins de cette appellation qui pinotaient nettement après une bonne dizaine d’années de cave. Ce générique de Rostaing est clairement sur cette voie, comme s’il y avait pas mal de viognier aussi, mais je n’en suis pas certain. A mon goût une très jolie bouteille et j’ai maintenant hâte de déboucher la Landonne et la Côte Blonde que j’ai en cave dans ce même millésime.
Le pauvre Chave en a bavé … Il offre avec générosité tout ce que je déteste dans la syrah quand elle ne sait pas se faire oublier. Ce côté entêtant de l’aromatique au nez, lourd et déjà un peu écœurant. La bouche ne le rattrape pas, elle reste dans ce registre sans élégance, trop proche d’un fruit un peu compoté et saturant. Le vin le plus décevant de la soirée.
Bataille n° 7
Domaine de La Vieille Julienne, Châteauneuf-du-Pape 2005
Domaine Gourt de Mautens, Rasteau 2005
J’ai goûté le 2005 du domaine de la Vieille Julienne à plusieurs reprises, à peine mis en bouteille, puis il y a trois ou quatre ans et enfin lors de cette soirée, et ce vin ne m’a jamais déçu. C’est un Châteauneuf et c’est un 2005, donc il ne faut pas s’étonner de sa puissance. Mais derrière cette puissance (qui ne se traduit pas par une sensation marquée d’alcool) il y a aussi une belle fraicheur et même un côté un peu froid que l’on retrouve souvent dans les vins de ce domaine comme dans ceux de Laurent Charvin. Rien d’étonnant quand on sait que les parcelles des deux domaines sont voisines et orientés au nord. Cette fraicheur rend donc parfaitement supportable la carrure de la matière pour laquelle je note tactilement une très belle vinification reconnaissable à la finesse du grain de tannins à laquelle je suis souvent sensible. Une belle bouteille et à mon avis une bouteille qui gagnera à vieillir encore 4 à 5 ans. Ça tombe bien il doit m’en rester 6 ou 7 !
Le Rasteau de Gourt de Mautens est clairement un beau vin, mais il a un peu souffert de la comparaison avec le précédent. Je pensais qu’il pouvait remettre en cause la hiérarchie théorique entre les deux appellations. Cela n’a pas été le cas. Ce vin a un petit côté « too much » auquel échappe totalement La Vieille Julienne. L’alcool est ici plus sensible, la matière est large, un peu saturante, un peu fatigante. Ce n’est pas mauvais du tout, bien sûr, mais c’est le genre de vin dont on ne se ressert pas volontiers à table. A revoir peut-être avec quelques années de plus, en espérant que ça ne bascule pas encore plus sur l’alcool…
Aux autres, les vrais aveugles
, de jouer maintenant !
Philippe