Un petit mot sur la collection « grand Bernard ». J’ai failli en écrire un, il y a longtemps. Je voulais Chateauneuf, Bernard me proposa les crus du Beaujolais. Je refusais. Je le regrette aujourd’hui. Mais c’était assez mal payé et j’avais un restaurant, à l’époque.
Bernard Ginestet était un homme... différent. Bien sûr, il avait fait des erreurs en tant que chef d’entreprise, croyant que le prix des Bordeaux pouvait monter jusqu’au ciel. Le scandale Cruse le crucifia, il tint ses promesses, fut le seul, perdit tout, y compris Margaux, un déchirement dont il parlait peu, encore à vif, pas pour l’argent mais parce que c’était en quelque sorte sa maison.
J’ai bu quelques bouteilles avec lui, chez moi, chez lui (il buvait sans doute un peu trop...) mais c’était un homme d’une érudition et d’un talent assez rare. Je me souvient, avec son éditeur, lui avoir demandé, à deux semaines de la date de la remise d’un manuscrit, où il en était. Il me dit : « mon livre est fini, je n’ai plus qu’à l’écrire ». Le week end d’après, invité dans son moulin, avertis qu’il devait travailler, je le vis se mettre à sa table et écrire. Une écriture magnifique. Pas une rature. Pas une correction. Pas une faute (pas comme moi...). Au moins cinquante feuillets, d’un seul jet, pendant le we. Je n’ai jamais revu cela chez personne. L’on bu un Margaux 1900. Faut croire qu’il m’aimait bien. Il me raconta l’histoire, me dit que ce n’était pas la meilleure bouteille qu'il ait ouverte. Pourtant, ce fut un des plus grands vins de ma vie.
Les livres sur Bordeaux sont indispensables, surtout ceux qu’il a écrit lui même (il était directeur de collection). Sa culture du Médoc est morte avec lui. Nul n’a la même et ne l’aura jamais, c’était un mélange de culture et de terrain. Il n’avait rien à perdre, il a dit tout ce qu’il avait à dire, beaucoup au second degré, jamais rancunier, jamais méchant, mais il connaissait les terroirs, les potentiels, donc, et les faiblesses (donc aussi) de chaque cru. Certes, certains châteaux ont disparus (Pauillac n’a plus de sens, les 1ers ayant tout absorbés du foncier ou presque) mais ces livres restent de formidables points d'appuis historiques (c’est en plus bourré d’anecdotes et de traits d’humour). Avant tout voyage sérieux (je n’en fait plus guère), il est bon de les relire. On est alors armé devant le mensonge et la prétention de certains nouveaux propriétaires qui pensent avoir créé le Médoc...
Je les conseille vivement et suis ravi qu'ils soient encore en vente.