Dans un club de dégustation où je suis habituellement simplement participant, j’ai proposé un cycle sur ce beau vignoble de Sancerre. Le thème a vite été accepté et, après quelque temps pour l’organisation, le programme a pris forme : ce sera une dégustation pour faire découvrir la variété des vins de l’appellation, puis la venue d’une de ses stars, Alphonse Mellot, et enfin celle d’un futur grand (déjà grand à mon avis, et pas simplement par la taille !
), Matthieu Delaporte.
La première séance a donc eu lieu mercredi soir et la salle était bien remplie, avec 34 dégustateurs, surtout des jeunes, ce qui me ravit ! Ceux-ci ne sont donc pas sensibles uniquement aux sirènes de Bordeaux, Bourgogne ou Champagne…
Grâce à Benoît Roumet, le sympathique Directeur du BIVC, je peux faire une présentation générale et rapide sur Sancerre, appuyée sur un powerpoint très bien réalisé.
Un peu d’histoire, quelques caractéristiques du vignoble et de ses deux cépages fétiches, et surtout la présentation des trois terroirs que nous allons explorer ce soir : d’ouest en est, les terres blanches, les caillotes et les argiles à silex n’ont plus de secret pour l’assemblée ! Pour simplifier on retiendra caillotes = rondeur, terres blanches = structure et argiles à silex = minéralité, mais ce n’est pas si simple comme on va le voir…
J’ai en fait choisi de nous concentrer sur les blancs, couleur phare en Sancerre, pour bien explorer les différentes facettes du sauvignon selon les terroirs et les millésimes. Avec un échantillon de sept vins, le challenge est difficile, mais quelques cuvées ciblées de grands domaines vont m’y aider…
Mes notes seront limitées car j'avais aussi à animer la dégustation.
Domaine Vincent Pinard – Sancerre – Grand Chemarin – 2013
L’idée est de commencer par un terroir de caillotes, sur le vignoble de Bué. C’est le premier vin que j’avais acheté et je ne souhaitais pas un millésime trop jeune. Clément m’a alors proposé ce millésime, mais j’aurais dû rester sur 2014 ou 2015, millésimes largement plus représentés sur les autres vins, pour pouvoir mieux comparer les caractéristiques des terroirs.
Le vin est élevé en fûts (très partiellement neufs) et en cuve inox.
La robe est d’un or clair.
Le nez s’ouvre bien à l’aération et au réchauffement dans le verre (vin servi trop froid), sur des arômes classiques d’agrumes et de fruits blancs. J’y dénote un soupçon d’anis, venant peut-être d’un très léger boisé.
La bouche est ronde, dotée d’une acidité impactante, certainement en raison du millésime mais aussi de la température un peu trop froide du vin. Cette acidité a néanmoins le mérite de lui procurer une belle persistance et une finale traçante.
Bien +(+) dans les conditions de dégustation
Les 2014 et 2015 dégustés au domaine (mais je n'avais pas pu déguster ce Grand Chemarin 2013) m'ont carrément bluffé !
Les deux vins suivants ont été servis en parallèle afin de mieux comparer les millésimes.
Domaine Pascal et Nicolas Reverdy – Sancerre – Les Anges Lots – 2014
Cette cuvée phare du domaine est issue de vignes de 60 à 80 ans, sur un terroir de terres blanches (argiles) à Sury-en-Vaux, après un élevage d’un an en cuves tronconiques.
La robe est très claire, de couleur paille.
Le nez très intense évoque instantanément la craie, puis les fruits blancs apparaissent, bien complétés par une touche de fruits exotiques et une autre moins mûre de buis.
D’une austérité classieuse, la bouche étonne par sa minéralité intense, pas de la pierre à fusil mais un mélange de craie et de fumé (celui-ci provenant de l’élevage ?). Toute en longueur et en tension, elle laisse entrevoir un grand potentiel de longévité.
Sur ce vin, c’est le terroir qui parle !
Très Bien +
Domaine Pascal et Nicolas Reverdy – Sancerre – Les Anges Lots – 2015
La robe est à peine moins claire. Le vin a pourtant un an de moins mais la richesse du millésime fait déjà une petite différence sur ce premier critère.
Le nez démonstratif déroule une aromatique riche axée sur les fruits exotiques, complexifiée par une note d’agrumes.
Ample et donnant une sensation de gras, la bouche possède une très belle matière mûre. Le boisé est perçu sous une forme différente, plus légère et parfaitement intégrée. C’est sur la finale élancée et vive que l’acidité sous-jacente et nécessaire s’exprime le mieux.
Sur ce vin, c’est le millésime qui parle !
Très Bien +
La même note pour ces deux vins, donc, mais ils sont dans des styles opposés. Je serais très curieux de les goûter à nouveau en parallèle dans cinq ans puis dans dix ans…
Domaine Edmond et Anne Vatan – Sancerre – Clos La Néore – 2014
Quelle chance que d’avoir pu se procurer ces trois bouteilles auprès d’Anne Vatan-Foucault ! Ce Clos, d’un ha seulement
, constitue la meilleure parcelle des Monts Damnés, au-dessus de Chavignol, donc un terroir également de terres blanches et est constitué de vieilles vignes (de mémoire replantées dans les années 60, donc de cinquante ans). Un élevage classique, en cuves, avec le moins possible d’interventions.
La robe est de couleur paille.
Le nez est ouvert sans plus mais d’une très grande finesse. On passe tour à tour d’arômes de fruits blancs à d’autres plus exotiques, des notes minérales et même une touche fumée.
La bouche est à l’avenant, compromis brillant entre une belle austérité et une matière fruitée enveloppante, l’ensemble étant soutenu par une vivacité remarquable.
Très Bien +(+) en l’état mais j’ai une confiance totale en son avenir d’après ses caractéristiques propres et d’après l’exemple de ses aînés (voir la verticale remontant à 1996 décrite en janvier mais remontant en novembre 2016).
Je l’avais encore plus apprécié lors de cette verticale : début de période de fermeture ou conditions de service ?
Domaine Gérard Boulay – Sancerre – Clos de Beaujeu – 2015
Nous restons sur Chavignol, avec un autre grand vigneron de ce merveilleux village, sur un autre secteur, celui du Clos de Beaujeu, toujours en terres blanches mais avec des caillotes en surface. L’élevage est effectué en fûts de plusieurs vins.
La robe est d’un or clair, donc légèrement plus dense que toutes les précédentes.
Très intense, le nez exhale de beaux arômes d’agrumes, particulièrement le pamplemousse, puis de craie, et il s’égaye enfin lorsque les fruits exotiques apparaissent à l’aération et au réchauffement dans nos verres.
Très ample et ronde, dotée d’un léger gras, la bouche fait montre d’une grande sapidité, sur un fruité très mûr. De beaux amers viennent relancer la finale ciselée.
C’est encore très très jeune, mais très très agréable !
Très Bien ++
Domaine Vacheron – Sancerre – Les Romains – 2015
Ce magnifique domaine de Sancerre réalise plusieurs grandes cuvées parcellaires et celle-ci est issue d’un terroir d’argiles à silex. Le domaine est en biodynamie et l’élevage réalisé en fûts de chêne.
La robe est or clair.
Le nez engageant et expressif réussit une belle harmonie entre la superbe minéralité (pierre à fusil venant du terroir) et un fond au fruité baroque (richesse du millésime).
L’attaque en bouche est grasse et volumineuse, la matière très dense et d’une grande maturité, puis c’est la minéralité qui prend le dessus et lui procure une allonge remarquable, jusque dans la finale tonique.
Un bébé qui est déjà presque un grand vin, ce qu’il deviendra certainement en acquérant plus de complexité avec l’âge.
Très Bien ++ / Excellent
Est-ce que les Sancerre peuvent vieillir ? La question m’a été posée de nombreuses fois, ce soir-là et en bien d’autres occasions. J’avais donc décidé de donner la réponse par la preuve, même s’il faut apporter des précisions : cela dépend des vignerons (énormément), des terroirs (beaucoup), des millésimes (pas mal) et des goûts du dégustateur (beaucoup).
Domaine François Cotat – Sancerre – Les Monts Damnés – 2001
Le terroir est donc le même que celui du Clos de la Néore, sur des terres blanches, les vignes sont également très vieilles, et l’intervention en cave minimaliste (levures indigènes, soutirages au minimum, pas de collage ni de filtrage, mais du sulfitage). La différence principale est le contenant pour l’élevage : des tonneaux de plusieurs vins.
Le nez étonne par sa puissance, sans doute le plus intense de la série. Il montre d’abord un peu de réduction ; je sais qu’il vaut mieux carafer longuement les vins de François Cotat mais je n’en disposais pas et l’aération en bouteille ouverte de heures n’aura pas suffi
. C’est donc dans le verre que nous avons aéré ce vin au maximum, dont le nez apparaît furieusement chablisien
: croute de fromage, pierreux, terreux, truffe, le tout sur un fond de fruits blancs et d’épices, quelle belle complexité !
En bouche, l’équilibre est somptueux : la rondeur parfaite, l’acidité qui propulse une matière encore riche, un toucher à la fois fin et au grain serré, tout y est ! La longueur superlative est ponctuée d’une finale sapide et salivante…
Le voilà le grand vin à son apogée !
Excellent
Merci à l’ami Claude qui a accepté de me rétrocéder trois bouteilles parmi les très nombreuses qui attendent dans sa cave (de cette cuvée et de ce millésime mais aussi d’autres).
D’après les réactions et les discussions qui se sont bien prolongées après la dégustation, j’ai compris que la plupart des dégustateurs étaient contents, de ce qu’ils ont pu déguster certes, mais aussi de la découverte de grands vins de Sancerre, très différents les uns des autres : il y en a ainsi pour tous les goûts !
Et à bientôt pour les deux autres séances !
Jean-Loup