THIERRY USSEGLIO
Interview réalisée le 16 octobre 2003 au Domaine Usséglio à Chateauneuf-du-Pape par Claude Villaret et Yves Zermatten
Le Domaine Pierre Usséglio & Fils est-il une propriété familiale ?
Pierre Usséglio est mon père. Il tout arrêté depuis 1998. J'ai repris le domaine familial de 14ha en 1998 avec Jean-Pierre Usséglio, mon frère et, en 1998, on l'a agrandi en achetant une propriété que mon frère travaillait depuis une quinzaine d'années. Maintenant, le domaine fait 23ha.
Est-ce grand pour Châteauneuf-du-Pape ?
C'est correct. Quand on veut tout faire de A à Z, il y a du boulot, pas besoin d'avoir 100ha. Déjà avec 10 ou 15 ha, il y a de quoi faire. Il n'y a pas de secret, il faut être soigneux, soigner ses terres et ses souches.
Vous pensez donc que le travail à la vigne est plus important que le travail à la cave ?
Oui. Les vinifications sont certainement très importantes, mais si on a une belle matière première au départ, on fait ce qu'on veut et on a 80% de chances que le vin soit réussi. Une année comme 2003, qui est une année tout à fait exceptionnelle, spéciale et atypique à la fois, nous a montré que la plante a une résistance exceptionnelle et impressionnante. En juillet-août, on allait vers la catastrophe. Nous n'aurions jamais pensé que nous allions rentrer un millésime comme ça et maintenant, nous sommes heureux du millésime que nous avons. A la fin août, nous avons eu deux-trois petits orages, c'était rien du tout, 4mm par-ci par là , des matinées un peu humides et rien que cela a redonné un coup de fouet à la souche, la végétation est repartie et cela a mené le raisin à maturité. Mais la souche a bien souffert cette année et j'espère que nous ne paierons pas cela les années prochaines. Il faudra être vigilant dans les vignes, bien soigner, apporter de l'engrais et ce qu'il faut pour bien nourrir la souche.
Comment se présente l'acidité des 2003 ?
Et bien, on n'a pas trop de problèmes. Ce matin, j'ai eu les résultats de mes 2003, qui ont presque fini leur malos. J'ai des cuves à 16° finies avec deux grammes de sucre, elles ont une acidité de 4,5–5, ce qui est bien, c'est même superbe. Quand on voit la sécheresse qu'on a eue, nous sommes très contents.
Les vignes sont-elles âgées ?
Effectivement, nous avons de vieilles vignes et on désherbe très peu. Le minimum. On désherbe parfois les entre-deux-rangs dans les vieilles vignes parce qu'on ne peut pas croiser et les ceps sont si vieux que si on les touche on risque de les abîmer et il faut changer les souches.
Quel âge ont vos vignes ?
La plus vieille parcelle a 103 ans. Elle produit très peu : 15hl/ha mais on la garde et on ne l'arrache pas.
C'est pré-phylloxéra ?
Elle a été plantée juste en limite. C'est une vigne qui a résisté et que nous avons achetée en 1998. Pour les autres, mon père en a planté, mon grand-père en avait planté un petit peu. Mon père a acheté des vignes tout au long de sa vie. Les plus vieilles ont 65 ans, 70 ans, 80 et 90 ans, plus la parcelle d'un demi hectare qui a 103 ans.
Pourquoi les vieilles vignes donnent-elles de meilleurs vins ?
Sur une vieille souche, le rendement est très faible. Il y a plus de concentration, le raisin est plus mûr, avec une matière plus équilibrée. Et encore, ce n'est pas certain, car même sur une jeune plante, on peut avoir de la qualité. Nous avons par exemple des parcelles qui ont 15, 20, et 40 ans d'âge. Elles sont entièrement ébourgeonnées, il y a quatre porteurs et on laisse deux voire trois grappes par sarment. Donc, comme on a très peu de raisin, même de jeunes vignes peuvent donner des vins de qualité. J'en reviens donc toujours à dire que le travail c'est d'abord la terre, les vignes, et ensuite seulement, c'est la cave. Je parle des labours, des traitements, de l'ébourgeonnage, de la taille, qui est très importante. Je pense au travail au sens large. Beaucoup le comprennent maintenant, mais il fut un temps où c'était le contraire.
Faites-vous des vendanges en vert ?
On en a fait un petit peu sur certaines parcelles qui sont très jeunes. Par exemple, cette année, nous avons fait des vendanges en vert. On avait au départ une très belle récolte, une très belle sortie de raisin. Après, sur les vieilles vignes, où le raisin était aussi abondant, nous avons été vigilants et finalement, on a décidé de laisser car la vigne le supportait. Après, on a eu ce coup de sécheresse qui nous a fait un peu peur, mais les raisins sont finalement arrivés à maturité.
Nous goûtons le 2001 traditionnel (Nous relevons la grande qualité de cette bouteille, qui suit pourtant un Da Capo 2000 énorme que nous venons de boire chez Pégau )
C'est vachement bon !!
Sur cette cuvée en 2001, nous avons des rendements de 28hl/ha.et cette année, ce vin est effectivement très réussi.
Vous préférez boire vos vins sur le fruit ou après une dizaine d'années de cave, quand ils ont atteint leur maturité. ?
Les deux ! Tout dépend des circonstances, du repas. Vendredi dernier, j'ai ouvert un 80 sur le fromage et ca se goûte bien, c'est plein de vie, plein de fruit, c'est superbe. Nous n'avons pas carafé, les vieux vins ne se carafent pas, sinon dans le verre. Le vin évolue et change de minute en minute, c'est très cuir, un peu écurie, dans le style Châteauneuf, avec un côté animal. Il faut aimer ces vins-là , qui sont un peu particuliers. De plus en plus de gens ont le penchant de boire le vin sur le fruit et j'avoue que moi-même, j'ai maintenant aussi tendance à boire les vins sur le fruit. A présent, on aime de plus en plus les vins qui en mettent plein la bouche, mais avec de la finesse. Mais attention ! On aime quand même avoir des vins qui ont une bouche ample et pleine. Cette évolution n'est pas regrettable, c'est comme ça, c'est une nouvelle mode. Je pense que les particuliers se passionnent de plus en plus pour le vin, comme vous, et ils veulent faire partager leur passion. Et que font-ils-ils ? Ils ouvrent des bouteilles. Moi-même je le fais à la maison avec d'autres vignerons. Chaque fois que quelqu'un passe à la maison, on ouvre des bouteilles et on goûte, pour faire découvrir. C'est jeune, évidemment, mais c'est pour goûter. Alors je carafe à midi pour le soir et ça se boit très bien comme ça. Alors, on goûte et on goûte, surtout des vins jeunes, et on devient un peu déformés avec le temps.
Mais actuellement, on fait les vins de façon à ce qu'ils puissent être accessibles plus jeunes, non ?.
C'est sûr. Prenons les 2003. En décembre 2003, quand les malos seront finies et que les vins seront soutirés et mis au propre, en décembre, ces vins nouveaux et jeunes seront du pur plaisir. Le 99 est encore un peu fermé, il faut l'attendre encore deux à quatre ans et si on veut le goûter, maintenant, il faut le carafer, l'oxygéner, le ventiler.
Que pensez-vous de la qualité des derniers millésimes ?
Nous avons eu quatre très beaux millésimes : 98-99-2000-2001, 2002 c'est l'impasse et 2003 va être grandiose. Je ne veux pas encore trop me prononcer sur 2003 mais je pense que ça vaudra au moins un 2001, sinon en mieux. Ca les vaudra, cela est sûr, mais ce sera peut-être encore plus grand, voilà ce que je peux dire maintenant.
Quel est le plus grand CDP de chez Usséglio ?
J'ai commencé en 93 et j'ai un grand souvenir du 1988, pourtant ce n'est pas un très grand millésime, mais de ce vin, je garde le souvenir de confiture dans la bouche. C'était fabuleux. 1990 est aussi un très beau millésime.
Et le plus grand CDP que vous ayez bu ?
J'ai un très grand souvenir de 78 de chez Pierre Barrot, dont le frère possède le Château des Fines Roches. Pierre ne fait quasiment pas de bouteilles mais c'est un très bon viticulteur de Châteauneuf, qui vend presque toute sa production à Guigal. Son 78 était grandiose. Sinon j'ai aimé Beaucastel, où il y a de très belles choses, la Roussanne Vieilles Vignes par exemple. Il y a quelques années, nous avions fait une visite à la propriété avec les jeunes vignerons, on nous avait très bien reçus et nous avions fini avec une Roussanne Vieilles Vignes 90 grandiose.
Que pensez-vous des blancs de CDP ?
Ils se consomment mieux vieux que jeunes. En cépages blancs, On a 4 cépages à CDP nous avons le grenache blanc, la clairette, le bourboulenc et la roussanne. Chez Usséglio, nous travaillons avec 80% de grenache, 10% de bourboulenc et 10% de clairette, nous n'avons pas de Roussanne. Le grenache apporte le gras. Mais il faut dire qu'on fait très peu de blanc. L'an dernier, nous en avons fait 15hl. Il y a de très belles choses en blanc à Châteauneuf. Le CDP blanc est plus un vin de repas qu'un vin d'apéritif. Les 2003, que l'on va mettre en bouteilles à la fin de cette année ou au début de l'année prochaine, ce peut être un vin d'apéritif durant les six premiers mois, où il y a une bonne fraîcheur et de l'acidité. C'est agréable ainsi et pourquoi pas ? Mais ensuite, il faut les oublier un an ou deux et après, ce sont de vins de repas. Ils conviennent très bien aux fromages à pâte dure. Les CDP blancs conviennent mieux aux fromages que les rouges. Par exemple, un vieux CDP blanc sur un Roquefort, ou un fromage de chèvre.
Nous goûtons le 2003.
Ca fait 13,5° d'alcool. Vinifié en barriques et bâtonné. Je mets tous les deux jours les lies en suspens. On retrouve un côté brioché et beurré. Nous faisons un assemblage, on incorpore 10% de barrique dans le blanc traditionnel, qui est mis en cuve. On fait cela depuis deux ou trois ans, ça nous plaît comme ça. Il y a aussi une jolie acidité..
Pourquoi n'avez-vous pas de roussanne ?
La roussanne c'est délicat. C'est superbe une année sur cinq. C'est un cépage très fragile, difficile à ramasser, il faut ramasser au mois d'août. Il faut en avoir une parcelle assez conséquente pour après faire un pressoir. C'est très compliqué. Cela a dit, c'est vrai que c'est superbe quand c'est bien fait. Les plus belles roussanne que j'aie goûtées ces dernières années sont les 1998. La Janasse fait des super trucs et sa plus belle réussite est 1998. Dans les millésimes suivants, je n'ai pas regoûté retrouvé ce vin que j'avais aimé. La roussanne est très intéressante en assemblage mais nous n'avons qu'un hectare de blanc, ce qui fait qu'il faudrait 20-30 ares pour que nous puissions ramasser, faire un pressoir, le mettre en fermentation seul. Ce n'est pas évident. Les 2003 ont été vendangé le 10 septembre et ce vin a un mois. Cette année, les blancs se sont faits à une allure incroyable, je n'en reviens pas. Les rouges, c'était aussi de la folie. Il faisait chaud quand la fermentation a démarré et pour les maintenir en température, il fallait deux drapeaux dans les cuves pour maintenir la température
Des drapeaux ?
Ce sont de longues résistances que l'on plonge dans la cuve, dans lesquels circule de l'eau, avec thermorégulation et qui refroidissent. C'est ainsi que l'on régule les températures dans les cuves en béton, alors que dans l'inox, cela se fait par l'extérieur. Cette année, on a essayé de rester entre 20 et 30 degrés. Un des cuves est monté à 35-38° mais ça va, c'est encore raisonnable. Celle qui est montée un peu plus s'est arrêtée à 1020 de densité. Là , on a été obligé de la décuver, pour ne pas la laisser sur marc et pour pas que la volatile n'empêche les malos, etc. Ce n'était pas évident cette année, avec ces températures. Dans le 2003, il reste deux grammes et demi de sucre résiduel.
Quel est pour vous le consommateur idéal ?
Je souhaite avant tout que la personne qui achète mon vin se fasse plaisir. Et quand elle me rappelle un jour, quelques années après, en disant qu'on a bu une de mes bouteilles et que c'était fantastique, ça fait plaisir. Si c'est pour acheter à des seules fins spéculatives, ce qui est plus fréquemment les cas depuis que Parker s'est intéressé au CDP, il manque forcément une dimension. Il peut arriver que des spéculateurs gagnent plus de vin que nous. Cela arrive sur certaines cuvées.
A combien est la cuvée Les Aà¯eux chez vous ?
A 31,10 euros.
Et la Réserve des deux frères ?
A 61 euros. Et ça se vend ensuite parfois plusieurs fois le prix. Effectivement. Bon, on pleure pas mais c'est de la pure spéculation. Cela dit, il y a quand même des clients particuliers qui les achètent pour les mettre dans leur cave et les boire un jour. Attention, ce ne sont pas des bouteilles à boire maintenant. Ce sont des bouteilles à boire dans 8-10 ans. Au moins, je sais qu'ils vont les boire et ça me fait plaisir. J'ai même des revendeurs qui achètent mes vins sans les goûter. Ici, l'influence de Parker est considérable. Avant, on ne voyait pas de cavistes et une fois que Parker nous a bien notés, tout le monde est arrivé : la cavistes, les importateurs, etc. On doit tous les jours refuser de vendre du vin. Ca fait plaisir d'un côté mais en même temps c'est très dur à gérer. En 2001, nous avions de petites quantités et on a obtenu un 100 points sur la Réserve, un 96 sur la cuvées Les Aà¯eux et un 93 sur le Tradition. Bon, ça fait plaisir mais nous, ça ne nous a pas fait décoller, alors qu il y en a certains à Châteauneuf qui ont explosé et qui ont eu la grosse tête. Mais c'est chacun son truc. Monsieur Parker est quelqu'un qui vient tous les ans à la cave. Ca fait trois ans qu'il vient nous visiter, une fois par an, il vient déguster le nouveau millésime. La première année, j'appréhendais un peu, je ne connaissais pas ce monsieur, sinon de la télé et des médias. Il est venu à la cave, et il a fait comme vous devant moi. Il a posé des questions, il a noté. Il a regardé la carte, il nous a demandé avec quoi on faisait ça, les terroirs, les cépages. Il était là pour découvrir et était là en amateur. Il n'est pas hautain, il est à l'écoute. De plus, il est très agréable. Moi, je le vois avec les yeux du vigneron et c'est déjà un honneur de le recevoir dans ma cave. Certains débourseraient des sommes folles pour l'avoir chez eux. Ce qui est bien chez lui, c'est qu'il veut découvrir le vigneron et qu'il est un vrai passionné.
Et la RVF et le guide Hachette ?
J'ai l'impression que la RVF et le guide Hachette allument maintenant un petit peu trop. Même le guide Hachette commence à allumer les vignerons sur les commentaires. Mais bon, finalement, maintenant, les médias, les journalistes, et tout ça, ça commence à devenir un peu n'importe quoi. Nous avons du plaisir à leur faire déguster nos vins et après ils nous cassent par derrière. Ils devraient rester plus modestes, d'autant que tout cela les fait travailler cela. C'est d'ailleurs comme partout, à la télé et tout ça. Nous, on est des vignerons avant tout.
Et LPV ?
On sent que les commentaires sont sincères…et ça c'est bien. Nous, je vous le dis, on fait les vins que l'on fait, comme notre père nous l'a appris.
Vous n'avez rien changé par rapport aux méthodes de votre père ?
Non, pas grand-chose, à part un peu en vinification. L'élevage a considérablement changé. Il y a 15-20 ans, on élevait entre 18 et 24 mois dans le bois et après on avait un côté animal et le vin était plus dur. Mon père a toujours ébourgeonné, ses vignes étaient tenues comme il faut car c'était très important pour lui. Bon, à part le matériel qui a un petit peu évolué, les cuves de vinification sont en béton, la façon de travailler dans les terres n'a pas beaucoup changé.
Et vous n'avez jamais été tenté par le microbullage ou des innovations techniques ?
Non, pour le moment.. Un jour ça viendra peut-être. Maintenant on est dans l'éraflage. On fait des essais. 2001 est éraflé et c'est nouveau; mais il faut laisser le produit naturel, le raisin. Je parlais l'autre jour avec un viticulteur dont le fils fait un stage en Californie. Il hallucine, il rentre des raisins et après, ils mettent un coup de ceci, un coup de cela, un coup des levures. Ils refroidissent et après ils réchauffent, etc. Nous, on prend le raisin, on le met dans la cuve, on le laisse faire, il fermente, on fait des remontages, on le presse. Il va dans les tonneaux et puis voilà , le résultat est là . Là j'abrège mais c'est pour expliquer.
Et le bio ?
J'ai rien contre, bon maintenant il y a bio et bio. Nous aussi, on pourrait dire que nous sommes en bio. Nous ne faisons pas de désherbages, nous n'utilisons pas d'engrais chimiques, les produits pareils, on utilise la confusion sexuelle pour tout ce qui est ver de grappe. Bon, on utilise un petit peu de bouillie bordelaise. Mais il y a deux sortes de bio. Il y a celui qui s'arrête à la vigne et celui qui va jusqu'au bout.
Que pensez-vous des vins sans soufre ?
Là , attention, il y a aussi danger. Il y a des limites.
Et la biodynamie ?
Non, comme je vous dis, nous ne sommes pas des fous de produits et on continue comme ça. Il y a des limites il ne faut pas abuser de certains produits, de certaines choses. Finalement, à l'époque, il y a 30-40 ans, ils faisaient déjà un peu du bio. Par ailleurs, la biodynamie est aussi un argument de vente. Il faut le savoir.
Qu'aimez-vous boire ?
Je suis très Vallée du Rhône, Hermitage, Côte-Rôtie. Ensuite, ce que j'aime bien ? bon, après, il y a quoi que j'aime bien ? c'est vrai que je suis quand même très orienté sur la Vallée du Rhône (rires !) même si j'ai une cave personnelle bien fournie ! Il y a aussi les Alsace qui me plaisent bien. J'ai également des Pouilly-Fumé et des Sancerre. Ensuite, en Bourgogne, j'adore les blancs et, en rouge, je commence à avoir des trucs très sympathiques mais c'est cher. En Bordeaux, c'est pas évident. Il faut vraiment taper dans les grands pour avoir du bon, et les grands, j'en achète pas trop. En fait, je n'en achète pas du tout ! C'est un peu uniforme, avec le bois. L'an passé, j'ai visité la Toscane. Antinori, Ornellaia, Solaia. On se croirait à Bordeaux. On est arrivé là -bas, on a dégusté mais moi ça ne m'a pas vraiment emballé car ça ressemble vraiment trop à Bordeaux. Après, vous mettez à l'aveugle un Bordeaux, un Toscan, un Espagnol, un Californien et on ne sait plus où on est. Je pense que nos atouts, ici à Châteauneuf, ce sont justement nos terroirs et notre typicité, c'est ce qui nous sauve ou qui nous sauvera.
Mais pourquoi utilisez-vous le terme « sauver ». Vous sentez vous en péril ?
Ben, vous savez, un paysan est toujours un peu pessimiste. Mon père a connu des années difficiles. A une époque, la pièce se vendait 4000 francs et elle était descendue à 6-700 francs. Bon, maintenant, c'est autre chose, l'image est meilleure, mais c'est pas non plus la grande foule. De 95 à 98, ça a explosé un petit peu.
Vos prix restent modestes ! à€ 13-14 euros la cuvée normale.
Bon, on a augmenté un petit peu les prix depuis 3-4 ans et nous sommes dans les prix que nous voulions. C'est vrai que les prix sont encore corrects. Bon, ici à la cave, on vendu un peu moins et on essaie de prendre aussi du temps pour nous et de profiter un peu plus des week-end, ce qui fait qu'on a tendance à développer l'export et le revendeur-caviste. Mais c'est limité car on ne met pas tout en bouteilles. On fait environ 50000 bouteilles de Cuvée traditionnelle, 8-10000 de la cuvée Les Aà¯eux et 500 de Cuvée réserve. Si on mettait tout en bouteilles, ce serait différent. Il faut aussi dire qu'à l'époque, mon père avait quasiment toute sa clientèle ici. Il a débuté ici. Et les particuliers venaient acheter leurs bouteilles et c'est ce qui l'a fait démarrer. Nous avons toujours gardé un peu cette politique. Et on ne veut pas fermer la porte aux gens.
Et les cuvées de prestige ?
La cuvée luxe Les Aà¯eux est presque 100% grenache. La Réserve des deux frères est élevée en barriques de 1, 2, ou trois vins et une ou deux barriques neuves. C'est un vin de presse, des plus vieilles vignes de grenache. Les vins de presse sont en général tanniques et charnus, mais chez nous, avec nos vieilles vignes, ça donne quelque chose de super sympa. L'élevage est de 40% en barriques et de 60% en foudre. On a un petit et ancien foudre pour la Réserve. Le 2001 est à 16,2° sur la Réserve des deux frères. Mais bon, le degré ne fait pas tout, on avait un petit peu peur au départ et finalement, il y a une bonne acidité, de l'équilibre, ce qu'il faut, c'est pas brûlant. Le Tradition est à 14,8° et il y a déjà tout, et on peut déjà le boire, même si on peut aussi se faire le plaisir de le garder quelques années. C'est un vin qui a beaucoup de finesse et c'est très important. Il y a des CDP massifs, bruts, ils sont bons mais il faut les attendre. C'est autre chose. Tandis que là , il y a tout en même temps de la finesse, de l'élégance, c'est très important.
Quelles sont vos relations avec les autres producteurs ?
Dans l'ensemble, on s'entend bien. On fait des dégustations ensemble. Vous m'avez parlé du Da Capo 2000 et bien, je dois aller échanger quelques bouteilles avec Laurence Férau, du domaine Pégau car 2000 est l'année de naissance de mon fils. Il faut absolument que j'en aie quelques unes, mais Laurence, elle n'échange pas facilement ! mais enfin bon, on s'entend bien et elle devrait quand même m'en céder quelques bouteilles ! Il y a aussi Jérome Bressy, que je connais bien, il fait de très belles choses. Je dois aller faire prochainement une dégustation chez lui. On a le même âge, on s'est connu un peu à l'école et on a la même passion. On se réunit et on fait des dégustations, avec des vins d'autres régions. L'année dernière on a fait une dégustation en petit comité de cuvées spéciales de Châteauneuf. C'est un peu nouveau ce phénomène des cuvées spéciales. C'est devenu un peu la mode. On a des parcelles particulières qui nous permettent de faire des cuvées spéciales, qui sont souvent produite en quantité très limitée, ce qui fait que même nous, les gens de Châteauneuf, nous ne connaissons parfois pas ces vins. Alors on a monté avec un collègue une dégustation ou chacun vient avec ses bouteilles. D'abord nous étions une dizaine de viticulteurs et chacun amenait un échantillon de l'une de ses cuvées. La première année, on a fait ça ici. On a carafé tout ça et servi les vins à l'aveugle. On a dégusté, ça a plu ça s'est su, et tout le monde a eu envie de participer, d'amener ses vins et de déguster les vins des autres. Marcoux ne connaissait pas Da Capo, et était intéressé de goûter. Moi, j'ai amené une Vieille vigne. Il y a eu une émulation et ça a fait boule de neige et tout le monde veut participer. Cette émulation est aussi un des facteurs qui font monter Châteauneuf. On doit prochainement faire les 2000, on devrait les faire en deux fois car on est trop nombreux. Il y a maintenant trop de nombreuses cuvées et une quinzaine de vins suffisent largement pour une dégustation dans une soirée. Il y a aussi les concours. A Châteauneuf, nous avons le concours de la Saint-Marc, qui est un concours local mais très important pour nous. En 2000, nous avons présenté deux rouges : le 99 en rouge jeune et le 96 en rouge vieux. En blanc, nous avons présenté le blanc 96 en vins vieux et blanc 99 en vins jeunes. Et bien, on a raflé les deux premiers prix en rouge, un deuxième prix en vieux blanc et un diplôme d'honneur avec le 99. Ca, c'est la bagarre à Châteauneuf-du-Pape !
Pensez-vous que Rayas et Beaucastel ont été les arbres qui ont caché la forêt ?
Non. Ils ont aidé. Je dirais que Beaucastel est la locomotive de Châteauneuf. Beaucastel et Rayas ont beaucoup fait bouger les choses.