Une Renaissance de 20 ans
Voilà donc maintenant 20 ans que la douce révolution est en marche à Gaillac et force est de constater que ceux qui se sont levés pour défendre l’idée d’un grand liquoreux dans l’AOC n’ont été guère suivi ou du moins leurs rangs n’ont pas été si fournis que cela : il n’empêche qu’à l’instar de Robert Plageoles avec son Ondenc dès 1989 et de quelques autres - Patrice Lescarret (Causse Marines), Bruno Montels, Jean Marc Balaran (Domaine d’Escausses), Jérôme Bézios (Château Palvié), Raymont Papaix ( le CAT de Boissel), Jean Albert (Domaine de Labarthe), le château de Mayrague – des vins d’une nouvelle constitution ont été produits à Gaillac, plus concentrés qu’à l’accoutumée avec sans doute encore une recherche identitaire, chacun explorant ses propres voies : des vins d’auteurs plus que de terroir, même si évidemment le terroir, les terroirs ne sont pas absents pour chacun d’eux. 20 après, la photographie de famille n’a guère changé et on y retrouve peu ou prou les mêmes membres.
Alain Rotier, rejoint plus tard par son beau frère, Francis Marre, sous la demande de quelques clients qui lui réclamaient du doux, a fait cet essai sur le millésime 1994, un vin historique puisqu’il est le premier millésime de cette cuvée Renaissance qui aujourd’hui est l’une des stars de l’appellation. Cet essai, transformé par la suite, a surpris ses géniteurs parce qu’ils ont vu au cours de ce millésime très spécial, le développement de pourriture très rapide sur le loin de l’œil destiné à ce premier millésime. Alain Rotier raconte bien la panique qui s’est emparé de l’équipe avant qu’on se rende compte qu’il s’agissait de pourriture noble. Ce premier millésime ne donna qu’un millier de bouteilles.
A partir de 1994 jusqu’à 2013, dernier millésime en date, le domaine a produit chaque année cette grande cuvée et a décidé à cette occasion, à cet âge de raison, de revisiter l’histoire, pour sans doute en mieux comprendre le fil directeur, ou mieux la raconter à ceux qui veulent l’écouter, même s’il y a une constance dans son élaboration : du loin de l’œil uniquement dont la maturité est poussée, dans l’espérance de l’atteinte des grains par la pourriture noble ou du passerillage, dans des proportions respectives qui restent l’apanage du millésime et de sa météorologie.
Tous les millésimes seront disponibles au domaine à l’occasion de ces fêtes de fin d’année et le 13 décembre, quelques aficionados ont été réunis dans le nouveau chai, très réussi d’ailleurs, pour goûter quelques unes des plus fameuses années de la cuvée Renaissance. 7 millésimes triés sur le volet, accompagnés de mets préparés par Pascal Auger, chef étoilé du Château de Salettes.
les vins :
VT 2013 : la robe de ce vin tiré du fût est sur des tonalités tilleul et évoque la pomme et la poire au niveau aromatique ; on sent cette extrême jeunesse et ce vin va encore évoluer. Mais ce qui frappe, c’est la très grande fraîcheur en bouche liée à une forte vivacité, inédite à Gaillac. Grande longueur portée par cette acidité qui rend le vin aérien. Cela promet une très belle cuvée, certes atypique, mais qui possède bien un atout de fraîcheur qui n’est pas toujours la qualité première des vins de Gaillac.
VT 2011 : Ce vin possède une belle robe dorée : de l’or avec quelques reflets tilleul. L’aromatique porte sur l’abricot, quelques épices douces. La bouche est très large, sirupeuse qui gagne en étoffe ce qu’elle perd en fraîcheur (et longueur) par rapport au vin précédent. Néanmoins, le vin possède un vrai final, sur des notes de figue avec des sucres de grande qualité.
Doux 1994 : C’est le premier millésime de cette cuvée, un vin historique. Produit à seulement un millier de bouteilles, ce n’est pas un liquoreux à proprement parler puisque sa richesse ne dépasse pas 70 grammes de sucres résiduels, mais il est cependant élaboré à base de raisins botrytisés. Il se caractérise par une grande finesse aromatique, floral. En bouche il est très agréable, avec un début de rancio et distingue par de beaux amers en finale. Si ce n’est pas un tout grand vin, il est en revanche émouvant pour ce qu’il représente et montre également qu’il se tient très bien encore.
Doux 2008 : Un millésime très tardif pour lequel les vendanges se sont achevées le 10 novembre. C’est un vin riche qui possède 165 grammes de sucre résiduel. Le vin est très doré avec encore cette constance des reflets tilleul. C’est une robe soutenue qui dénote d’une grande densité. Le nez n’est pas très expressif, retenu, mais en bouche, le vin s’ouvre avec générosité. Il est souverain sur des notes de miel, d’abricot et possède une fraîcheur qui permet au vin de ne pas être lourd malgré la richesse. La finale est remarquable, une sorte d’explosion de saveurs. Très grande longueur. Un millésime très réussi pour cette cuvée.
Doux 2002 : un vin riche de 175 grammes de sucres résiduels mais doté dès sa naissance d’une très belle acidité. La robe est ambrée et laisse deviner une certaine évolution. Le nez confirme que le vin se patine un peu, mais avec bonheur : abricot, orange confite, avec des notes florales sous-jacentes. C’est très complexe autant que raffiné. La bouche est magnifique de précision grâce à cette belle vivacité qui tend bien le vin et le porte de façon remarquable. La longueur est celle d’un grand vin. C’est vraiment superbe.
Doux 2005 : le millésime le plus riche de cette cuvée avec 195 grammes de SR. La robe est ambrée. Le nez porte sur l’orange amère et on peut aussi y percevoir une légère note de truffe. La bouche est énorme de volume. C’est un vin phénoménal qui réussit le prodige de rester très buvable. La finale fait la queue de paon sur de très beaux amers. Il dispute au 2002 la palme du plus grand vin.
Doux 1997 : La robe est ambrée. Les arômes sont très complexes et indiquent un vin qui a déjà bien évolué : il évoque des notes de thé à la bergamote. Ce vin se distingue par une très belle tenue en bouche sur des sucres qui sont très gommés pour laisser s’exprimer des amers de grande qualité. C’est difficile de passer après 2005, mais ce vin s’en sort très bien.