« (…) je trouve que l'aptitude des vins à se transformer au vieillissement semble réservée à certains vins français, quelques Italiens, quelques rares argentins (Weinert estrella 77, de vieux Rutini & quelques autres) lorsque je bois un vieux Sassicaia ou un Mondavi Reserve par ex, je retrouve le profil arômatique et gustatif du vin jeune, alors que les Bordeaux bus après la mise et vingt plus tard se sont complètement métamorphosés. Un thème intéressant ! »
Ce point de vue posté par Claudius, j’avoue y réfléchir depuis quelques années sans parvenir à y apporter de réponse définitive. Une question me taraude en particulier depuis un bon bout de temps : la capacité qu’auraient / n’auraient pas les syrah du Valais à dépasser leur fruité explosif et à basculer dans le registre des arômes tertiaires après quelques années de garde.
Les journées portes ouvertes organisées par les caves en Valais a incité Benoît Dorsaz et son épouse Maryline à organiser une verticale de sa syrah quintessence le samedi 21 mai. Quelle chance ! L’occasion de dissiper quelque peu mon brouillard personnel ? Au vu de l’intérêt suscité, la verticale a été scindée en deux : une première verticale a eu lieu à 10:00 (la verticale à laquelle j’ai participé) qui a été suivie d’une deuxième verticale à 16:00.
La verticale du matin s’est déroulée bouteilles chemisées, avec comme ligne directrice quelques questions simples pour la douzaine de participants, la plupart étant, je suppose, des clients et clientes de longue date (
"Millésime récent ou ancien ? Année chaude ou fraîche ? Que pensez-vous du vin ?"). Benoît Dorsaz précise d’emblée qu’il n’a pas suivi une ligne chronologique (par ex. des millésimes les plus récents aux plus anciens), mais qu’il a organisé la dégustation par groupes thématiques. Tous les vins ont été servis à 14° et ouverts ½ heure avant la dégustation.
La gamme quintessence est apparue au début des années 2000. Les vins antérieurs à cette période sont désignées avec le terme « syrah La Coronelle » qui correspond au nom de la cave avant qu'elle prenne le nom de "Benoît Dorsaz viticulteur".
N° 1
Au nez, belle expression (tomate, lardé) peut-être un peu monobloc. En bouche léger boisé, peu d’acidité perceptible, arômes de syrah classiques. Très persistant. Belle entrée en matière.
Syrah Quintessence 2004. Benoît indique qu’il s’agit d’un millésime très difficile. D’abord chaud, puis froid, et enfin attaque de pourriture.
N° 2
Nez à la fois plus épanoui, plus floral, notes d’élevages moins perceptibles. La bouche présente un équilibre remarquable : longiligne, tendue, un mélange étonnant avec un côté aristocratique et ultra-gourmand. Persistance aromatique supérieure par rapport au 1er vin.
Syrah Quintessence 2006. Benoît précise que 2006 a été millésime chaud, avec de la pluie en fin de cycle.
N° 3
Nez un peu mutique, mais qui reste lisible après agitation : dans ce bloc on perçoit de la tomate et quelques notes de pivoine (après une dizaine de minutes, le nez va subitement s’ouvrir). La bouche présent en revanche une superbe acidité et est dotée d’un équilibre magistral. C’est gourmand, précis et très persistant.
Syrah Quintessence 2002. A nouveau un millésime difficile selon Benoît. Il ajoute avoir un faible pour ce vin qui correspond à l’idée qu’il se fait d’une syrah élégante.
N° 4
Woaw, quel nez complexe ! Un défilé d'arômes de raisins de Corinthe, de sous-bois, d’humus. Le dépôt dans nos verres indique que nous sommes en train de remonter le temps. La bouche se présente par rapport aux vins précédents de manière plus fondue, plus fluide. Moins sur la force, mais pas dénuée de matière, même si la persistance aromatique est légèrement en deçà des vins précédents.
Syrah La Coronelle 1991. Vignes de 3 feuilles, premier millésime de syrah, Benoît partage avec nous son émotion en nous faisant découvrir la première syrah qu’il a vinifié et qui se comporte selon lui pas si mal.De ce 1er millésime, il lui reste 2-3 bouteilles. Nous sommes conscients de la fleur qui nous est faite.
N° 5
Quelque chose de longiligne dans le nez. Nez différent des trois premiers millésimes : Beau mais atypique. La bouche me semble en revanche très dynamique, avec beaucoup de matière, mais finalement peu d’acidité. Elle manque un peu d’allonge et il me manque cette acidité typique des sols granitiques (de gneiss à Fully).
« Millésime chaud ou frais ? » nous demande Benoît. Le manque d’acidité me fait opter pour un millésime frais. Perdu !Puisqu’il s’agit de la…
Syrah La Coronelle 1995.
« Un millésime de rêve, mais que j’ai complètement loupé » commente modestement Benoît.
« Avec Denis Mercier, nous n’avons absolument pas pigé 1995. Nous avons tout fait faux : une multitude des pigeages et de remontages et de travail en cuve, alors qu’un millésime de rêve comme 1995 demandait juste de… ne rien faire et d’attendre que le vin se fasse tout seul ».
N° 6
Nez très « syrah », très « St-Joseph » en fait avec une touche d’olives noires. L’attaque en bouche me semble un peu dure, mais belle fraîcheur qui tend l'ensemble.
Syrah Quintessence 2000. Beau millésime, il s’agit de la version cuve. A l’époque, il existait une version inox et une version fût de la syrah quintessence.
N° 7
Magnifique nez : du menthol, de la tomate, des raisins confits, un boisé discret pas trop massif. Plusieurs strates d’arômes se superposent. Typiquement un vin qu’on pourrait humer de longues minutes. A l’agitation, le nez devient plus large, tout en conservant la ligne aromatique du 1er nez. La bouche est par contre est déroutante : beaucoup plus suave que les vins précédents, elle ne possède pas ce caractère aigu des syrah de Benoît Dorsaz. Même si la persistance aromatique est très bonne, j’ai l’impression que le vin a été travaillé différemment durant l’élevage. Une impression de sophistication extrême, signature d’un vin d’œnologue ? Serait-ce un pirate ? Bingo ! Il s’agit de…
Guigal St-Joseph, Vignes de l’Hospice 2001. B. Dorsaz remercie le participant de la dégustation du matin qui a apporté cette bouteille.
« Je pourrais déguster ce vin pendant des heures, tant il est impressionnant » ajoute-t-il. Quant à nous autres, les participants, nous nous regardons un peu gênés et nous nous demandons si nous ne sommes pas passés à côté de cette référence incontournable.
N° 8
Quel nez sublime ! Des raisins de Corinthe mêlés aux pruneaux secs en profusion enrobés dans une substance qui « syrathe » un max. En bouche, on perçoit un peu de boisé en attaque mais l’impression dominante est que ce vin possède une impressionnante réserve aromatique qui devra encore un peu attendre en bouteille pour que le vin soit tout à fait à point. Une bouche à la fois élancée et très solide.
« Millésime ancien ou récent ? » hasarde Benoît. Comme un seul homme les participants répondent en cœur :
« Récent, évidemment ! ». Perdu ! Il s’agit de la..
Syrah La Coronelle 1996. Nous restons tous bouche béée. Une telle vitalité dans une syrah de 20 ans originaire du Valais, mais comment est-ce possible ? Cette syrah est tellement droite dans ses bottes ! Benoît indique que 1996 a été une année assez tardive, puisque les vendanges ont eu lieu le 25 octobre. Il précise que l’élevage s'est déroulé en fûts.
N° 9
Par rapport au vin précédent, le nez est plus sur la retenue. Mais il reste lisible (olives, lard). La bouche est très dynamique, présente une pointe végétale. La bouche possède un côté sauvage, mais équilibré. J’aime beaucoup, d’autant plus que la persistance aromatique dépasse la persistance des vins précédents qu'on ne peut pas qualitfier de courts en bouche.
Syrah La Coronelle 1997. «
Qui a entendu parler du millésime 1997 ? » demande malicieusement Benoît.
« Je reproche aux critiques de focaliser les consommateurs sur des millésimes soit-disant de rêve, alors que certains millésimes plus modestes peuvent être resplendissants. Mais cette manière de formater le goût des consommateurs reflète bien les valeurs de notre société : les gens timides sont systématiquement ignorés, méprisés, alors qu’ils peuvent présenter une richesse intérieure beaucoup plus grande que les personnes brillantes ». Tiens ! Cela je l'ai lu presque mot à mot d'un producteur hongrois qui est une légende vivante dans son pays. Ah, ce fil invisible qui relie par delà les frontières les plus grands producteurs...
N° 10
Le nez présente une pointe caoutchoutée (réduction). Après agitation, la dominante est trps nettement fruitée (myrtille). La bouche est large, saturée de fruit. La pointe d’acidité n’est pas perceptible, tellement le fruité écrase tout sur son passage.
Syrah Quintessence 2011. Millésime très chaud, la syrah a été vendangée extrêmement tôt (21.09.). Certainement un vin à attendre tranquillement, mais à vérifier de temps en temps.
N° 11
A nouveau un nez splendide, où se superposent plusieurs strates sans perte de cohérence de l’ensemble. La bouche est renversante, l’impression que ce vin surpasse tous les autres. Encore un pirate ? Non, cette acidité, cette tension (cette élégance dirait Benoît) est reconnaissable. Serait-ce un 2009 ? Je dois en avoir encore 2 bouteilles à la cave. Perdu !
Syrah Quintessence 2008. Incontestablement, le vin de la verticale avec l’extraordinaire 1996. Encore un millésime modeste….
N° 12
Nez plus sur le végétal, pointe toastée perceptible. A l’agitation, la vague, non plutôt un mur de fruit submerge tout. En bouche, la même impression de fruité saturant. C’est large, c’est envahissant, cela demande d’attendre. où se superposent plusieurs strates sans perte de cohérence de l’ensemble.
Syrah Quintessence 2012.
« 2012, c’est 2008 avec plus de matière » commente sobrement Benoît. Ouf ! J’ai fait le plein il y a deux ans…
***
Au terme de cette verticale inoubliable, il me reste à remercier Benoît et Maryline pour leur accueil, leur générosité et cette capacité hors du commun à nous faire entrer dans leur vocation de viticulteur et de producteur de vin [Benoît Dorsaz insiste sur le fait qu'il est viticulteur et non pas "Wine Maker"]. Je renonce à commenter la
Syrah Quintessence 2014 que j’ai goûté après la verticale et que bien entendu j'ai acheté. Au fait, durant les deux heures qu'a duré la dégustation, les clients n'ont cessé de défiler pour passer et/ou enlever leur commande. Dans moins d'un mois, la cave sera à nouveau vide.
Je suis reparti en ayant la conviction que la syrah sur sol granitique, lorsqu’elle est travaillée avec sensibilité bascule sur les arômes tertiaires. Même si parfois il faut attendre 20 ans, voire beaucoup plus pour que l'amateur puisse enfin récompensé avece ces fameux arômes tertiaires.
Cette dégustation m’a aussi conforté dans l’idée que le vin n’est pas le son, mais l’instrument de musique qui sert à exprimer la vérité d'un terroir. Et là, je dois avouer que Benoîts Dorsaz, animé par sa passion pour ses sols granitiques, son amour pour ses vignes de syrah et sa quête de l'excellence m’a fait frissonner en dégustant quelques inoubliables notes bleues.