[size=large]Un vignoble ressuscité[/size]
L’art du vin, dans le Priorat, se perd dans la nuit des temps. Le breuvage des moines de Scala Dei, même s’il avait grande réputation, ne serait guère buvable aujourd’hui. Plus tard, la région, aux journées chaudes et aux nuits fraîches, a produit des vins noirs, alcooleux, épais et âpres, destinés au coupage de crus d’autres régions, jusqu’à Bordeaux… Il a fallu attendre les années 1980 pour qu’une poignée de pionniers croient à nouveau au Priorat.
Leur premier vin est né sur les terrasses escarpées du village perché de Grattalops, en 1989. Ils étaient cinq au départ: René Barbier (du Clos Mogador), José-Luis Perez (du Clos Martinet), Carlos Pastrana (du Clos de l'Obac), Alvaro Palacios (du Clos Dofi) et Daphné Glorian (du Clos Erasmus).
Ces cinq domaines disposaient de leur étiquette propre, lors de la première mise en bouteille des vins du renouveau du Priorat, en 1989. Mais c'est un seul vin qui fut mis sous des verres différents... Le chacun pour soi ne débuta que trois ans plus tard. Et dès 1993, le jeune viticulteur originaire de la Rioja, Alvaro Palacios, fit sensation lorsqu'il estima son nouveau vin, l'Ermita, digne d'être le plus cher d'Espagne, devant le Vega Sicilia.
L'Espagne a toujours eu le culte du vin. Depuis des décennies, la Rioja a mis en place une hiérarchie de ses meilleurs crus, basée sur la longueur du vieillissement en fûts. Au Priorat, ce carcan n'existe pas — ou pas encore. En dix ans, cela n'a pas empêché la région d'être la seule a accéder au sommet des dénominations d'origine contrôlées et garantie (comme en Italie, la DOCG), avec la Rioja, précisément.
Il y a une histoire humaine, derrière ces «gens du Priorat». Elle débute par la richesse de la province, au temps des Romains déjà, quand Tarragone était déjà connue pour son vin. Elle passe par l'exode rural: ces collines arides, aux hivers secs et froids et aux étés d'enfer, ont fait fuir vers la ville les derniers vignerons... Puis elle redémarre, grâce à un projet de l'organisation mondiale pour l'agriculture. Les experts de la FAO concluent que le Priorat a toutes les aptitudes pour produire «l'un des meilleurs vins du monde».
Après avoir misé sur des cépages internationaux comme le cabernet sauvignon, le merlot et la syrah, les vignerons se recentrent sur les vieux grenaches et Carignan, pour redonner une identité propre et «historique» aux meilleurs crus. Avec l'esprit des conquistadors, ces jeunes entrepreneurs font tache. Ils sortent de leurs collines et crèent des vins dans la région de Falset, où une nouvelle dénomination, Monsant, vient de naître. Le Montsant est moins concentré, il ne bénéficie pas du même terroir, mais il est aussi moins alcooleux et plus facile à boire.
Les vignerons ont appris à cueillir le grenache à parfaite maturité (autour de 15° d'alcool...), remplacé les fûts de bois espagnol par du chêne Americain puis français, de manière à mieux respecter le fruit. Ils ont appris à allonger la durée de maturation (portée à 16 mois de fûts), renouveler leur parc à barriques, redéployer l'encépagement, en diminuant le cabernet sauvignon.
Le sol schisteux, offre aux vins une belle minéralité et grâce à de petits rendements, la structure et la fraîcheur impressionnent, apprivoisées par un élevage toujours plus subtil. Seul désagrément,fruit d’élevages et d’attentions toujours plus fines : devenus vedettes, les crus du Priorat passent largement la barre des 10 euros la bouteille à l'achat.
Aussi, l’expansion est terrible. Suissesse d'origine, Daphné Glorian, 46 ans, témoigne: «En deux ans, vingt-cinq caves se sont ouvertes. J’imagine mal une expansion aussi soutenue à l’avenir. Chacun devra faire ses comptes. Les grandes maisons n’obtiendront jamais de retour sur investissement. Ici, les coûts de production sont élevés, les rendements faibles, le travail à la vigne, dur. Le prix du raisin est donc très élevé. Et nous sommes obligés de tout miser sur la qualité ! Mais pour l’avenir du Priorat, il est souhaitable qu’on soit plusieurs à faire de grands vins.».
L’«Erasmus» de Daphné Glorian, est reconnu comme un des tout meilleurs : le 2003, son préféré, révèle des arômes crémeux de réglisse et de fruits noirs, de la fraîcheur et de l’élégance, sur une trame serrée de tanins fins. Parfait à boire aujourd’hui ! «Un grand vin doit pouvoir se boire tout de suite ou dans vingt ans», affirme-t-elle. Bientôt, le domaine comptera 10 ha en production. Et, depuis 2003, si les meilleurs grenaches, complétés par de la syrah et un peu de cabernet, font le «grand vin», les plus jeunes vignes (60% grenache, 40% cabernet) s'en vont dans un «second vin», «Laurel», d’une belle qualité, lui aussi.
Au Mas dels Frarers — le mas des frères — cohabitent aussi un aîné et un cadet. Le «Comte Pirenne» n’est pas produit chaque année. Il est le fruit d’une savante alchimie. Choix des vignes d’abord : 20% de cabernet sauvignon, parmi les plus anciens du Priorat (30 ans), du grenache et du carignan, acheté sur pied à des vignerons. Choix des barriques ensuite : «Parce que le grenache est oxydatif, il est dangereux de l’entonner pur en fût. On l’assemble le plus tôt possible avec les autres cépages», explique le jeune œnologue Moisses Virgili. Une cuvée tirée à 4000 bouteilles… Et même moins pour le 2001, pas encore mis en vente, au nez de fruits noirs, puissant (15° d’alcool), aux tanins fins, où le tabac prend le pas sur la vanille. Un très beau vin ! Rare (pas de 2003, peu de 2004) et moins cher que les plus célèbres du Priorat…
Le «second vin», le «Clos des Fites», en 2003, s’ouvre sur un nez fumé, une matière suave, aux arômes de pruneau, avec une belle fraîcheur, dans une année difficile. «Je me verrais bien produire 50'000 bouteilles d’un des meilleurs vins de cette gamme», explique Yves Pirenne. Car la spirale à l’excellence à n’importe quel prix va finir par retomber. Aucune région au monde ne peut se payer le luxe de ne proposer que des flacons à plus de cent euros. Pas même le Priorat…
Une découverte pour moi, un vrai bonheur!
Cordialement,
JU