Pourquoi aimé-je le vin ?
Cette question, je me la suis maintes fois posée, sans jamais réussir à y répondre tel que je le souhaiterais.
Plus je réfléchis sur la passion qui m'anime et plus le brouillard m'envahit.
J'ai beau chercher, explorer de nouvelles voies, questionner mon subconscient et interroger mon inconscient, plus j'avance, plus je vieillis et plus les certitudes se lézardent. Les vérités de la jeunesse, les acquis, les tables de la Loi sont ébranlées à chaque dégustation. J'aimerais que le temps soit figé mais, en définitive, je prends un malin plaisir à voir vaciller toutes les certitudes.
Comment cette passion m'a-t-elle prise ? Un peu au dépourvu, comme pour la plupart d'entre-nous, bien que je sois convaincu qu'on entre dans le vin comme on entre en religion : avec ferveur. Le petit garçon qui regarde boire ses parents ; grands parents. Le père idéalisé qui invite à regarder la robe des vins à la lueur d'une ampoule blafarde, les souvenirs de familles.
Mon arrière grand-père paternel était restaurateur. Son affaire marchait bien. Mon père n'a pas connu – ou si peu - sa mère, morte lorsqu'il avait 6 ans. Il a grandit comme le p'tit Gibus : en se bagarrant à coup de lance-pierre sur les bords de la Seine, en aval de Rouen. Les jours de défaite - ou de victoire - la cave de son père en prenait un coup, discrètement pillée par les frères aînés. Les bouteilles étaient ouvertes dans les marais. A 8 ou 10 ans, papa connaissait déjà le goût du Bordeaux et savait qu'il n'y avait pas que ça dans la vie. Il a grandit comme il a pu, s'est marié, a trouvé son équilibre dans la construction d'une vie familiale et professionnelle. Ouvrier, contremaître, il a souffert mille métiers et mille misères avant de pouvoir vivre décemment.
Je me souviens encore des visites dans sa très modeste cave. Un casier de 96 bouteilles constituait son trésor. Ici et là : un rare cru classé, un modeste Chambolle Musigny et des bouteilles hors d'âge : un côtes de Bourg 66 et un bordeaux de 62 dont l'étiquette est toujours illisible. Toujours présents. Reliques du passé, témoins, transmission. Fierté.
Probablement des piquettes. Mais des piquettes magiques, des piquettes lumineuses, colorées, des rubis en bouteilles des promesses d'avenir, gages de découverte, d'émerveillement. Des trésors inaliénables pour l'enfant que j'étais.
Le temps a passé. Comme la plupart d'entre-nous, je suis devenu bête au fur et à mesure que mon corps se développait. Plus ma voix muait, plus la testostérone m'envahissait et plus je découvrais les plaisirs de la bière. Rien de ce qui concernait la fermentation haute ne m'était inconnu et je devins vite une référence pour mes amis rugbymen : Gouden Carolus, Brigand, Angélus, Abbaye de Vaucelles, Epi de Facon, j'en passe et des meilleures... J'étais devenu le Mickael Jackson Rouennais, le grand Stratéguerre du houblon, l'Olivier Poussier des soirées étudiantes.
Et puis un jour, peut-être par lassitude, sûrement par maturité, ayant achevé ma véraison, j'ai découvert un nouveau monde. Après les céréales, LE fruit entrait dans ma vie. Un modeste Belgrave 93, marié à un fromage bien affiné firent office de starter.
Petite étincelle, mais suffisante pour provoquer une réaction en chaîne toujours inachevée. J'avais alors 24 ou 25 ans, avais fait les vendanges deux années de suite pour gagner de quoi m'inscrire à la fac et devenir archéologue. Le raisin n'était alors pour moi qu'un fruit humide, très lourd, parfois pourri, servant à faire un très modeste côtes de Blaye. Bien loin de la classe d'une Abbaye d'Orval.
Douze ou 13 ans plus tard, je mesure le chemin parcouru. Les premières étiquettes, les achats compulsifs, les mauvaises affaires, les bonnes surprises, les paris gagnants, les déceptions. Tout m'a permis à me construire. Mais il me manquait quelque chose.
J'ai végété pendant 10 ans avant de découvrir LPV. J'ai franchi le pas, peut-être un peu violemment, sans respecter les us et coutumes, parfois de façon agaçante. Plus le temps passe et plus je prends conscience de mes lacunes.
Plus je vous fréquente, plus je vous lis et plus ma prestance s'effondre. Le temps passé avec mes amis, Amadeusmaldoror, EricB, Enzo D'Aviolo, FGsuperfred, Gildas, Rzac73, Vetshow et ceux qui ne veulent malheureusement pas participer à cette grande aventure qu'est l'animation du forum, m'ont fait tomber du pied d'estale que je m'étais artificiellement érigé.
Je m'aperçois que ma passion du vin, à mes yeux dévorante, est bien modeste au regard de ce que je peux lire et boire ici et là.
Je réalise que mes connaissances sont embryonnaires, fragmentaires, limitées... Que ma passion du vin n'est en fait qu'à son début. On se voit Cador mais, finalement, que sommes-nous en définitive ?
De simples dégustateurs, des passionnés qui décrivent avec leurs mots et leurs tripes ce qu'ils ressentent ? Des pourfendeurs du mal-boire, des crieurs publics des arnaques et des bonnes affaires ? C'est un perpétuel recommencement.
Quoi qu'il en soit, je fais fi de mes errements. Je parle du vin comme je l'aime, en utilisant les mots qui sont les miens, le référentiel intellectuel que je me suis forgé. Certains aimeront, d'autrent me trouveront pédant. Seule importe la participation à la discussion.
J'ai décidé que le vin était d'abord fait pour être bu, je décrète le bonheur et le plaisir d'une griserie maîtrisée, d'une rencontre avec les amis et de la vertu pédagogique d'une dégustation.
Je donne leur chance à tous les vins, sans a priori (même s'il s'agît de cabernet franc !
) qu'ils soient classés, grands, premiers crus ou simples VdP.
En fait que demandé-je ? Simplement le bonheur de boire du vin en bonne compagnie et la joie d'écrire sur le forum. L'autorisation d'écrire ce que je ressens, d'aimer, châtier, encourager, d'être lu et contredit, de faire partager à la terre entière les impressions d'un tout petit, petit, amateur de vin.
En 2009, plus que jamais, j'en suis au tout début de ma passion du vin.
Vougeot
PS : j'aurais pu délivrer à la chaîne des CR entiers sur les dégustations du mois de décembre, collant en cela à l'aspect premier - primitif allais-je écrire - du forum. J'ose espérer que vous me pardonnerez cette mise à nu. J'avais vraiment besoin de vous écrire. Un Gewurzt Zoztenberg 2000 partagé avec sa muse libère la parole et ouvre les âmes...