Je réponds ici à quelques observations ou objections qui ont été émises à la suite de mon commentaire sur la spéculation en réponse à une question de Denaire;
Sly14 écrit que la situation est variable selon les millésimes mais que le trend des prix des grands vins est clairement haussier, je ne peux évidemment qu'être d'accord. Il ne faut pas cependant minimiser les baisses lorsqu'elle surviennent, c'est à dire trop rarement : je reprends l'exemple de Haut Brion. Le prix de sortie le plus élevé a été atteint pour le millésime 2010 (790 € HT). Le prix du 2011 était de 410, celui du 2012 de 282, celui du 2013 de 250, Cela fait une baisse de près de 70%..Mais sur vingt ans(1993-2013) la tendance est nettement haussière, de 9,8% en € constants. Sly14 indique que l'on peut spéculer à la hausse ou à la baisse. Pas vraiment, du moins pas pour des spéculateurs amateurs. Il n'y a pas non plus d'instruments permettant de spéculer à la baisse. Enfin, il indique que le marché est de nature oligopolistique. Si l'on parle du marché des grands vins, je ne pense pas que l'on puisse dire cela car il y en a trop. Mais si l'on parle du marché des 1ers GCC et assimilés (en ajoutant Cheval Blanc et Ausone), celui-ci, à supposer qu'il puisse être isolé du marché plus large des grands vins, ce qui est en large partie le cas, est bien oligopolistique et fait possiblement l'objet d'une entente qui permet à leur propriétaires de vendre plus cher. En revanche, le caractère oligopolistique du marché en question ne saurait expliquer le trend haussier des prix, sauf à estimer que ce marché devient de plus en plus oligopolistique, ce qui n'est pas le cas, ou que l'entente entre ses membres se renforcerait, ce qui n'est pas non plus le cas, certains d'entre eux ne vendant pas au même prix que les autres, contrairement à ce qui était le cas il y a une vingtaine d'années.
hannibal écrit que la spéculation change quelque chose car il y a rétention. Je ne peux que l'inviter à relire ce que j'ai écrit : il y a rétention jusqu'à ce que le spéculateur revende et s'il contribue à la hausse des prix lors de ses achats, il contribue à leur baisse (ou moindre hausse) lorsqu'il vend. Ces achats et ces ventes étant étalées dans le temps, en moyenne il n'y a pas de raison de penser que les prix sont influencés par les achats et les ventes des spéculateurs.
Eric B. fait remarquer que la quantité de vins est certes toujours limitée, mais beaucoup plus importante pour les 1er GCC que pour des propriétés tels que Pétrus ou le Pin et qu'il est donc normal que les prix de ces derniers vins soient plus élevés.La rareté ne suffit pas à expliquer que le prix soit très élevé. Encore faut il que la demande soit forte. Beaucoup de propriétés à Pomerol produisent moins de bouteilles que Pétrus ou Le Pin mais ne peuvent vendre au même prix que ces deux vins car la demande qui se porte sur leurs vins est beaucoup plus faible.S'agissant des 1er GCC, ils produisent certes pas mal de bouteilles mais interviennent deux phénomènes : d'une part une possible entente entre eux, d'autre part une demande très forte pour ces vins qui sont ceux qui sont également ceux qui constituent la part la plus élevée (en valeur) du marché secondaire comme on peut le voir sur le LIV-EX. En tout état de cause, le nombre des bouteilles d'une propriété et d'un millésime donné est toujours limité, que le chiffre soit important ou non. Et ce nombre décroit structurellement avec le temps car chaque année une partie des bouteilles est bue, augmentant la rareté de l'offre potentielle et disponible ce qui est l'une des raisons pour laquelle le prix d'un vin a tendance à croître avec le temps.
o-g écrit un commentaire sympathique à mon endroit (merci) et indique que si l'on introduisait des concepts tels que la rationalité limitée ou l'information limitée, on obtiendrait peut être des résultats différents.Il est clair que le marché des grands vins n'est pas un marché ou l'information pertinente est connue de tous les participants de façon égale et il existe une asymétrie d'information entre les domaines et les professionnels d'une part, les consommateurs de l'autre. Cette asymétrie peut être exploitée (sous forme de prix plus élevés) au bénéfice des premiers et au détriment des seconds. A cela on peut à mon sens répondre deux choses : d'une part si cette asymétrie est susceptible de générer des prix plus élevés, elle ne peut expliquer le trend haussier des prix. D'autre part, cette asymétrie tend probablement à se réduire du fait du développement de la presse spécialisée, des critiques, et de sites tels que LPV. Quand à la rationalité limitée, je ne pense pas qu'elle soit de nature à permettre une quelconque analyse du marché.
Pour en revenir à ce qui constituait l'essentiel de mon commentaire, à savoir que le trend haussier du prix des grands vins s'explique par des raisons structurelles, à savoir la croissance de la demande face à une offre presque fixe, et non par l'existence de la spéculation, j'ai été jeté un coup d'oeil au site Wine Economist mentionnée par l'un d'entre vous et qui est un blog tenu par un économiste amateur de vins. Nulle part sur le site, je n'ai trouvé de d'analyses expliquant que la spéculation de professionnels ou d'amateurs contribuait à augmenter les prix.
Cependant, j'ai trouvé une analyse intéressante qui va dans le sens d'un commentaire de Luc : il est fort possible que l'objectif des propriétaires des vins les plus côtés, en particulier celui des 1er GCC et assimilés, ne soit pas de maximiser le profit qu'ils retirent de la vente des vins, mais de maximiser la valeur du capital foncier, ce qui pourrait expliquer qu'ils pratiquent une rétention importante des vins disponibles en n'en cédant qu'une faible part de façon à vendre les bouteille le plus cher possible, quitte à se retrouver avec un stock important qui sera valorisé lors d'une future transaction portant sur la propriété. J'ai écrit auparavant que les domaines ou les négociants cherchent généralement à vendre le vin le plus vite possible et ne stockaient que rarement car cela est coûteux et risqué. Mais cette observation générale n'est peut être pas exacte s'agissant des 1er GCC et assimilés qui peuvent équilibrer l'exploitation du domaine en ne vendant que très peu de bouteilles compte tenu de la marge considérable qu'ils encaissent sur chaque bouteille (alors que le coût de production ne dépasse pas 15 ou 20€). Il peuvent donc se permettre de faire de la rétention et de faire ainsi monter les prix de sortie sans grande difficultés d'autant que même si l'exploitation était déficitaire, leurs propriétaires ont les moyens d'assumer des pertes durant longtemps. Latour ne vend plus du tout en primeur et attend avant de vendre. Ils ont vendu il y a quelques semaines une quantité importante de 2000 (la totalité de ce qui restait de leur stock ont ils dit) à un prix dépassant le cours du Latour 2000 sur le LIV-EX, quantité qui a été bien absorbée par le marché sans provoquer une baisse du cours. Mais ce que Latour a pu faire sur le 2010 n'est pas forcément reproductible à chaque millésime. Reste en tout cas que les vins sont bien mis sur le marché à un moment donné, même si ce n'est plus en primeur en totalité. Si cette pratique se généralise, elle ne peut qu'avoir tendance à faire monter le prix de la maigre tranche vendue en primeur, mais peser ensuite sur le prix du marché secondaire. Mais on peut assurément qualifier cette pratique de spéculative, la spéculation étant ici opérée par les domaines eux mêmes...