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Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

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Ce soir, c’est décidé, je me bois une bouteille de Rayas 1978 cuvée spéciale en regardant Top Chef.

Comme j’en ai déjà bu une et que c’est ma meilleure bouteille bue à ce jour, je vais prendre mon temps pour la déguster et la décrire comme il convient. Je sais que peu de personne ont déjà goûté à cette bouteille unique et extraordinaire, ça permettra d’enrichir la collection des dégustations de Rayas. Pour commencer, je suis allé l’autre jour dans ma cave pour la chercher. Il y avait beaucoup de triangles car je suis un grand fan de Rayas depuis plus de 20 ans. 1978 est mon plus vieux millésime en cave, et cette bouteille-là est gardée dans un coffre-fort. Je le sais, elle est prête à boire. De toute façon, je n’ai pas le vice de l’attendre plus. La bouteille de cuvée spéciale ressemble énormément à la cuvée classique.

Quand Jacques Reynaud m’a remis la bouteille, je lui ai demandé comment je pouvais reconnaitre que c’était une cuvée spéciale alors qu’il n’y en avait aucune mention sur l’étiquette. « C’est facile me répondit-il. Tout d’abord il y a une mention de la contenance, 0.75 en bas à gauche, surimprimé sur l’étiquette. J’ai fait aussi des essais au centre de l’étiquette sur la cuvée classique mais ça perturbait mes clients qui me parlaient plus de l’étiquette que du vin. Ça m’a énervé. Ensuite, ce n’est pas le même bouchon que le Rayas 78 classique, car cette cuvée a été mise en bouteille plus tardivement. Pour 300 bouteilles, je n’allais pas refaire imprimer des bouchons ! Et puis j’ai pris des étiquettes « Mise en bouteilles au Château », avec un s à bouteille pour me rappeler que c’était la spéciale, mais on peut trouver des étiquettes identiques sur différents millésimes de la cuvée classique car l’imprimeur en faisait par mille. Et puis moi je te dis que c’est la spéciale, tu le sauras ! ». Effectivement, je n’avais jamais eu de Rayas avant, j’avais peu de chance de les confondre avec une cuvée classique. Quand je lui fis remarquer qu’il manquait l’unité pour la contenance, Jacques me répondit que c’était une erreur de l’imprimeur et qu’il n’allait pas rajouter les unités à la main sur tout le lot ! « L’étiquette aurait couté plus cher que le vin » me glissa-t-il dans un clin d’œil.

J’ai sorti la bouteille lundi de la cave pour la monter doucement en température pendant deux jours. Notez bien que lundi, ce n’était pas lundi dernier, mais celui d’avant. Quand on veut ouvrir un Rayas, il faut compter en jour Rayas. La semaine Rayas, ça commence par deux jours de très lente montée en température bouteille fermée. Je ne dépasse jamais 1°C toutes les 12h.Pour cela je synchronise la température de la maison à la température de la cave. Ce n’est quand même pas très compliqué de couper le chauffage dix jours avant de sortir la bouteille de la cave pour éviter le choc de température tant redouté. En plus ça fait des économies pour la prochaine bouteille de Rayas que je pourrai m’offrir. Oui parce que je compte aussi mes sous en Rayas. Chez moi, dix jours de chauffage, c’est un Rayas. Un plein d’essence, c’est un Rayas. Un diner en tête à tête, c’est un Rayas. Bon, sur ce dernier point j’économise pas mal de Rayas. On se console comme on peut.

Bref, je programme ensuite scrupuleusement mon thermostat de manière à augmenter la température ambiante de 1°C toutes les 12h jusqu’à atteindre les 17°C qui est ni plus ni moins la température idéale de dégustation de ce vin. Je l’ai vérifié en goutant une horizontale de Rayas 1992 à tous les degrés entre 14°C (ma température de cave) et 20°C (température au-delà de laquelle j’ajoute des glaçons, ce que je me refuse de faire sur un tel vin). Et bien c’est la bouteille à 17°C qui était la meilleure. Oui c’est vrai j’ai ouvert beaucoup de bouteilles en une seule fois pour cette expérience essentielle, mais ça ne me fait pas peur de boire beaucoup. Et puis je suis très heureux de pouvoir partager ce résultat. Je pourrai refaire l’exercice avec un autre millésime pour confirmer le résultat, mais j’ai l’impression que ce serait gâcher. Me voilà donc deux jours plus tard avec un Rayas et une maison à 17°C. Commence alors l’épreuve de l’ouverture et de l’aération.

Bon, pour l’ouverture tout le monde sait faire, il suffit d’un tire-bouchon et d’un bon coup de coude, ce que certains confondent avec un coup de poignet. Une fois ouverte, je pose le bouchon à l’horizontale sur le goulot de la bouteille afin de permettre une oxydation ultra ménagée du vin. Ne pas refermer la bouteille, ou mettre le bouchon à la poubelle, c’est sacrilège. Durant les cinq jours suivant, j’ai bien pris garde à ce qu’aucune mouche ou aucun moucheron ne viennent souiller le vin. Normalement, au terme du 5eme jour, le vin est prêt à boire. Le faire avant, c’est faire preuve de faiblesse, on n’apprécie vraiment Rayas que si l’on réussit l’épreuve mentale de sa lente aération. Par contre, rien interdit de le faire après. Il y a quelques années, un vilain rhume m’avait pris d’assaut deux jours après l’ouverture de la bouteille, la faute à un chaud froid trop violent. Il faut que dire que j’avais poussé la clim à fond en plein été pour appliquer ma méthode et que ma chemisette ne pesait pas lourd face au 17°C ambiant. J’avais bu la bouteille sept jours après l’ouverture. Elle était excellente. Je ne dis pas ça parce que ce fut la bouteille de Rayas la plus chère de ma vie si je compte le nombre de Rayas payé en facture d’électricité pour la clim. Elle était excellente et je ne regrette pas d’avoir finalement servi un modeste Monthelie à la place de ce Rayas à la dame que je recevais, malade, ce soir du 5eme jour. De toute façon elle n’aurait pas fait la différence et je me demande si ces circonstances n’ont pas légèrement rehaussé la complexité du Rayas deux jours plus tard.

Quand s’exhale les premiers parfums à l’ouverture de la bouteille, je ne peux m’empêcher de repenser aux évènements si particuliers qui m’ont amené à récupérer en une seule fois et sans débourser un sous, trois bouteilles de cette cuvée si spéciale et si confidentielle. Je me souviens comme si c’était hier de ce mois de juin 1986. Ma femme avait exigé de partir tous les deux en vacances en amoureux pour sauver son notre couple, ce à quoi j’avais souscrit à deux conditions : tout d’abord partir en juin pour éviter les vacances scolaires car c’était moins cher qu’en juillet, ce qui paraissait une raison beaucoup plus acceptable que de lui avouer que je ne voulais rien rater du Tour de France mythique à venir avec son duel LeMond – Hinault. D’autre part, il était impensable de ne pas voir le non moins mythique France – Brésil en quart de finale de la Coupe du Monde de foot. Rien qu’à y penser j’en ai des frissons. Les chambres d’hôtel de l’époque n’étant pas toutes pourvues d’une télé couleur, voire de télé du tout, nous avions prévu d’aller dans un petit bar de Châteauneuf-du-Pape pour suivre le match.

Châteauneuf n’évoquait rien pour nous. Il s’agissait juste d’une étape sur la route bleutée vers le Sud, celle qui mène vers la mer, le soleil et les engueulades. Le café des sports était plein mais les supporters, les vrais, peu nombreux. Qui avait l’écharpe tricolore ? Et le maillot ? Et les gants ? Ah oui, il faut vous dire que je suis ancien gardien de but et à l’époque, j’étais un fan inconditionnel de Joël Bats. Pour qui a vu Bats dans ce match-là, c’était quelque chose. Ce jour-là, il fut aussi énorme que le vin que je bois en ce moment. Bats, c’était un peu le Jappeloup de l’équipe de France. Trop petit pour être gardien de but international mais quelle détente hors du commun… On n’a pas connu de plus grands sauteurs depuis ces deux-là, à part peut-être Strauss-Kahn, mais c’est une autre histoire. Bref, j’ai passé la soirée à boire des bières avec des gants de gardien. Ce n’est pas facile mais le plus pénible, c’est que ça tient chaud, surtout en juin, alors ça donne soif. Bon, vous l’aurez compris, ce n’était pas vraiment un problème. Non, le problème, c’était plutôt ma femme qui ne voulait pas s’habiller en gardienne et le peuple de Châteauneuf qui ne s’est enflammé que sur la fin. Ne vibrer qu’aux penaltys ? M’est avis qu’un quart de finale de Coupe du Monde Comtat Venaissin – Brésil aurait connu une ferveur populaire plus fantasque mais je crois qu’ils ne sont pas passés aux qualifications. Bref, la soirée nous a apporté son flot d’émotions et la victoire a été fêtée comme il se doit.

En rentrant vers une heure du matin sur les petites routes castel papales noires et obscures, j’aperçus sur le bord de la route une vieille Jaguar grisonnante (la nuit, toutes les Jaguars sont grises) et un homme d’un certain âge la tête sous le capot. Ni une ni deux, je m’arrêtais, souhaitant tout autant porter secours à un homme seul dans la nuit, ce qui est la moindre des solidarités humaines, qu’échapper aux remontrances de ma femme qui m’accusait d’avoir trop arrosé la victoire, alors que ça ne s’arrose jamais assez, surtout quand on aime ça. L’homme à la Jaguar, c’était Jacques Reynaud, vigneron à Châteauneuf-du-Pape. Pour moi, c’était plutôt Jacques Reynaud, vigneron dans la me_de. Visiblement, il avait coulé une bielle et ne se voyait pas rentrer à pied, ce que je compris aisément en voyant l’état dans lequel la qualification des Bleus l’avait laissé. Je lui proposais alors de le remorquer jusqu’à chez lui. « Trop loin me répondit-il, je dormirai à Rayas ». Ne comprenant rien à ses explications pour rejoindre son domaine, un coup la route de terre à gauche, un coup le chemin paysan à droite, je lui demandais de m’accompagner dans ma voiture pendant que ma femme tenait le volant de la Jaguar, ce qu’elle n’aurait surement jamais plus l’occasion de faire et ce qui me permettait de vivre enfin un vrai moment entre hommes. Ce retour à Rayas, à la lumière des phares jaunes éblouissants les ceps de grenache alentours, ce fut un moment hors du temps pendant lequel nous nous sommes liés d’amitié. Jacques me conta sans réserve sa vie de vigneron et ses goûts en matière de vin. Puis, avant d’arriver, me demanda ce que je faisais dans la vie.
- Je suis menuisier. C’est pour ça que je ne bois plus de Bordeaux. Ca me rappelle trop le boulot. M’enfin faut faire gaffe aussi avec d’autres régions.

Une fois arrivé au domaine, Jacques Reynaud voulut me remercier pour mon aide et me proposa de me donner quelques bouteilles de son Châteauneuf « qui m’évoquerait d’autres choses que le travail ». Je refusais : « Désolé Jacques, mais je ne bois que du Bourgogne » dis-je avec ma finesse caractéristique. Nullement offensé de ma réponse, il sourit puis fila dans sa cave et en ressortit avec trois bouteilles.
- Tu as aussi des vignes la haut ?
- Non. Mais ces bouteilles, tu pourras les boire en y pensant.
Il me les tendit et je les pris par politesse.
- C’est une cuvée confidentielle, elle n’est pas à la vente mais je pense que tu apprécieras.
Je tenais entre mes mains trois bouteilles de Rayas 1978 cuvée spéciale, une rareté que probablement nul autre amateur de vin de par le monde n’avait la chance de posséder. J’étais loin de m’imaginer le cadeau que me faisait cet ami d’une nuit. Voyant que ma femme qui m’attendait dans la voiture n’avait pas encore atteint le point de non-retour, je risquais une question : « Mais pourquoi cette cuvée est-elle spéciale ? ». Jacques me sourit, gratta sa barbe naissante en se demandant à quel point il convenait de développer la réponse à cette heure si avancée de la nuit. Puis il se décida à ma conter la version longue, celle que je n’oublierai jamais.

A l’époque, Jacques Reynaud embouteillait tranquillement ses 78 quand, en fin de journée, il fut appelé pour une partie de boules en famille, en particulier pour défier le tonton Dédé de passage au mas. Le genre de proposition qui ne se refuse pas. Le patron parti, l’employé marocain qui l’assistait pour terminer la mise en bouteille attendit patiemment son retour afin de finir la dernière barrique tout juste sortie de la cave. Quelques centaines de bouteilles et l’affaire devait être définitivement réglée à ce millésime, cela valait bien la peine d’attendre la fin d’une partie de boules. Oui, mais quelle partie ! Un moment d’anthologie ! Il faut savoir que Jacques n’avait jamais gagné contre l’oncle Dédé, un homme débonnaire dont les exploits aux boules avaient connu un retentissement national. Un client plus que sérieux quoi. Or ce jour-là, par une incompréhensible combinaison de chance et d’adresse magnifiée par une journée entière dans les effluves du Rayas 78, Jacques mis Dédé fanny à 13 et souriait tellement qu’un U traversait son visage rayonnant d’une oreille à l’autre. L’après-midi touchant à sa fin, Jacques se serait exclamé non sans humour : « Si j’avais su, j’aurai ouvert un Rayas blanc la semaine dernière pour fêter ça à l’apéro! ». En l’absence de vin prêt à boire, la petite troupe se rattrapa avec du Pastis, ce qui ne peut pas être une faute de goût à la fin d’une partie de pétanque (ni pendant d’ailleurs, mais jamais avant).

Le pauvre employé marocain qui attendait sagement le chef aurait pu patienter longtemps. Comprenant que la soirée n’était plus à l’embouteillage, il rangea soigneusement la dernière barrique de 1978 vierge au fond de la cave, cachée du regard des autres employés qui reviendraient le lendemain en pensant que le travail était fait et qu’il n’y avait plus qu’à mettre en carton et expédier. Cette soirée là, au Pastis succéda le Fonsalette le plus facile à boire, celui encore en barrique, tout juste sorti de son élevage avant d’être embouteillé. La fête fut si totale, le vin tellement bon et tellement bu que l’on dit encore de cette nuit de 1983, alors que les vendanges approchaient à grand pas, que les anges prirent du rab de ce qu’il leur était dû et qu’il n’y avait qu’à corriger à la baisse les rendements déclarés de Fonsalette 79, ce qui ne pouvait pas faire de mal car le vin n’en serait pas plus mauvais.

L’employé marocain n’eut jamais l’outrecuidance de signaler à Jacques la présence de cette barrique. Souvenir noyé dans les brumes de Pastis et de Fonsalette, Jacques ne se rappelait plus non plus son existence. Ce n’est que trois ans plus tard, lors d’un inventaire un peu plus complet que d’habitude de la cave que la barrique fut redécouverte. Jacques l’inspecta sur toutes les coutures, sans être capable d’en trouver l’origine. La moisissure avait fait son œuvre. Perplexe, il décida de le gouter avec ses employés. Chacun reçu une rasade du nectar inconnu, gouta silencieusement et se tut, de peur de dire une bêtise. Apres quelques tours de langue dans le voluptueux liquide, Jacques s’exclama :
- Je ne sais pas ce que c’est, mais ce n’est pas Rayas
Mohamed, l’employé marocain qui ne disait rien mais savait tout, ne pouvait laisser son patron dans l’erreur.
- Si Monsieur, je pense que c’est Rayas
Jacques, surpris de voir son bras droit donner un avis diffèrent repris une gorgée.
- Non, ce n’est pas Rayas
- Si si Monsieur.
- Non
- Si Monsieur
La patience n’était pas la moindre des vertus de Jacques Reynaud. Mais il était aussi têtu. Deux heures plus tard, alors que le reste des employés étaient repartis vaqués à leurs occupations, Jacques et Mohamed continuaient de boire lentement le tonneau oublié et discutaient toujours aussi tranquillement, de ces discussions constructives qui font la grandeur de l’homme.
- Non, c’est très bon, c’est superbe, mais ce n’est pas Rayas
- Si Monsieur, c’est Rayas, et c’est le meilleur que j’ai jamais goute.
- Non
- Si
Mohamed leva la tête puis fit le tour du chai pour vérifier qu’il n’y avait plus personne. Il retourna vers le patron et lui expliqua toute l’histoire. Jacques le cru immédiatement car il ne remettait jamais en doute les paroles d’un homme de confiance.
- Très bien. Dans ce cas nous avons affaire à une cuvée particulière de Rayas qui ne devrait pas exister. Tu as beaucoup aimé ce vin et ta fidélité me touche Mohamed, la moitié des bouteilles seront pour toi. Je garderai l’autre moitié pour vérifier si cet élevage prolongé ne devrait pas m’inspirer pour la suite. Tu sais, je crois que tu as raison. Je crois que Rayas n’a jamais été aussi bon.
Et c’est ainsi que quelques jours plus tard, l’ensemble de la barrique fut embouteillé en secret et Jacques entreposa ses bouteilles dans sa réserve personnelle.

Apres m’avoir conté l’histoire de cette cuvée si spéciale, je fus obligé de filer pour éviter un nouvel incident avec ma femme. Je saluais Jacques amicalement. Ce fut la première et la dernière fois que je le vis. Ma femme me fit jurer de ne jamais lui faire gouter cette piquette qui avait trop, pour elle, le gout d’une nuit d’été pourrie. Je tins ma promesse, et c’est bien la seule que j’ai jamais tenu avec elle, en tout cas avec autant de bonheur et de joie.

Je bois, je bois devant ma télé, et je ne parle pas assez de ce vin. Ce Rayas 78 cuvée spéciale exprime la magie d’un grand vin. Les arômes sont d’une précision extrême, puissants, enivrants, innombrables (kirsch, pruneau, figue, date, pétale de rose fané, cuir, thym, orange sanguine, pamplemousse, thé noir, bois exotique, sous-bois et bien sûr fraise pour ne citer que les principaux). C’est un parfum évoquant à la fois les mille et une nuits et le souk de Marrakech, les odeurs de la cuisine à l’heure où ma grand-mère préparait ses confitures et celles du plus beaux marchés aux fleurs (que dis-je aux roses !) à Londres. La bouche est une caresse. Elle exprime tout d’abord un côté sur le cuir, la fourrure. Je n’écris pas animal. Ça m’énerve quand on dit qu’un vin est animal, ça ne veut rien dire. On utilise ce terme fourre-tout sans prendre le soin de décrire correctement ce que l’on ressent. Les animaux ne sentent pas tous pareil, et puis l’odeur animal n’est pas la même pour tout le monde. Moi aussi je suis un animal et je ne sens pas ce que ça sent dans mon verre. Pas du tout ! D’ailleurs quand je me sens, je ne sens rien. Même ma femme a fini par ne plus me sentir, c’est dire. Non, mais même mon chien ne sent pas ça. Là, cette légère odeur de viande finement parfumée aux épices provençales et presque fumée par la chaleur du soleil (ou bien le plomb de la carabine), je l’attribuerai volontiers à un lièvre du Vaucluse. Plutôt Sud Vaucluse même, mais je laisserai bien les spécialistes trancher sur le sujet. M’enfin faut pas compter sur moi pour leur servir un verre et vérifier, je suis en train de me la finir comme un grand cette bouteille ! Le volume de la bouche est dément, j’ai l’impression de gonfler comme un ballon de baudruche. C’est soyeux, seveux, velouté, d’une très grande légèreté et d’une longueur infinie. D’ailleurs ce soir, je crois que je ne vais pas me laver les dents pour m’endormir avec tous ces arômes, ça me tiendra compagnie en plus, pour une fois.

Je déguste mon Rayas avachi dans mon canapé en regardant les cuisiniers de Top Chef me préparer des petits plats. Les mecs, ils s’agitent de partout. Tu imagines s’ils devaient préparer le vin en plus ! Ils ne seraient pas dans la me_de avec un Rayas à servir… Dans l’ensemble, les accords avec la cuvée spéciale ne sont pas mal, mais c’est surtout grâce au vin. Ces cuistots ne parlent jamais de vin, je crois qu’ils n’y comprennent rien de toute façon. Il est minuit et la bouteille est vide. La soirée n’était pas si mal. Je me demande si je ne devrais pas essayer de faire une petite pétanque pour voir, mais les voisins vont encore gueuler je pense. Ça sera pour la prochaine fois. Il me reste une bouteille. La première, je l’ai ouverte pour célébrer mon divorce d’avec ma femme. Seul dans l’appartement vide, il fallait célébrer dignement son départ cinq minutes plus tôt dans un claquement de porte qui résonne encore dans les fondations de l’immeuble. Quoi de plus naturel que d’ouvrir cette bouteille qu’elle abhorrait tant ? A la tienne ! Bon, je l’avoue, je me hais de repenser à ce moment. Je me hais, je me hais, je me hais. Quelle honte que d’ouvrir un Rayas au débotté ! Mais franchement, ce fut une révélation. Moi qui ne buvais que du Bourgogne, j’ai compris qu’il manquait un climat à cette région.

C’est alors que j’ai commencé à encaver des Rayas. Je ne suis jamais redescendu dans le Sud trop lointain, mais j’ai toujours fini par en trouver. Je les ai tous goûtés, tous aimés. Mais aucun, dans aucun autre millésime, ne m’a paru aussi complet, aussi plein, aussi jouissif, aussi complexe et démonstratif que cette cuvée spéciale. Un vin hors norme qui touche au divin. Je vais peut-être attendre l’hiver prochain pour ouvrir la dernière. Attendre qu’il fasse bien froid pour la lente montée en température. Puis l’ouvrir comme il se doit. L’ouvrir seul ? Je l’ai déjà fait sur les deux premières bouteilles. C’était bien, mais ça peut l’être aussi avec quelqu’un, s’il sait jouer à la pétanque et s’il goute bien mais ne boit pas trop. D’accord, mais avec qui ? Dieu qu’ils sont nombreux ceux qui rêveraient de goûter cette bouteille. Moi je voudrais la partager avec quelqu’un qui m’a fait rêver. Ca y est je sais. Joël Bats. La dernière porte avant le Paradis, ce sera ce Rayas 78 spécial en compagnie de Joël Bats. Et s’il ne peut pas, je la boirai avec un passionné, et on boira à la fraternité et la tolérance, à Jacques Reynaud et aux mystères du temps qui passe.

Sylv1
Les utilisateur(s) suivant ont remercié: denaire, Locals
26 Avr 2013 15:06 #1

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Réponse de sepul64 sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Bonjour Sylv1,

en voilà un authentique post !
Cà m'a pris 5 minutes de tout lire, mais je te souhaite un très très bon plateau télé :) Veinard !

SèB.
26 Avr 2013 15:23 #2

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Réponse de lbb.contact sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Ha ouais, faut de la concentration pour arriver à lire ce beau pavé !
Un joli moment bien raconté ! (tu)
Tu ne le sais pas encore, mais des Joëls Bats, j'ai bien l'impression qu'il va y en avoir des clones à foison sur LPV !

Moi je suis petit et je saute haut aussi ! :D

Benoît ex Avinturier de LPVLyon2
26 Avr 2013 15:28 #3

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Réponse de Martinez sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Je viens avec le DVD de France Portugal 1984 ! Ca te va ? :D

Jmm
26 Avr 2013 16:13 #4

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Et France Allemagne 1982, ça va aussi ? B)

Luc
26 Avr 2013 16:21 #5

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Réponse de podyak sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Il me semble que c'était Ettori en 82 ;)

Tuukka

Tuukka
26 Avr 2013 16:31 #6

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Réponse de Martinez sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Avec Luc, ça fait deux remuages dans la plaie ! Un pour ce Rayas, un pour ce Match. On peut le dire, c'est un docteur qui fait souffrir ! :D

Jmm
26 Avr 2013 16:35 #7

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Réponse de crossbow sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

j'ai adoré, mais la mise en page est peut être un peu lourde ;)
26 Avr 2013 16:50 #8

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Réponse de aquablue sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

T'es complètement défoncé sylvain... On a plus de CR mais tu nous sors un machin pareil... ::o A dimanche...
26 Avr 2013 17:24 #9

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Réponse de totolouga sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

A de faut d'avoir un breuvage au raisin sous la main, j'ai lu avec délectation cette narration devant une plaque de chocolat, engloutie bien avant la fin de la lecture mais j'ai savourv..... la lecture B)- et un thé Lapsang Souchong qui rappelle la barrique tellement il est fumé....!

Je ne connais pas bien le football mais je peux te faire passer une bonne soirée handball.............(:D
26 Avr 2013 17:28 #10

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Merci et bravo pour ce texte jubilatoire - et criant de vérité ! (tu)
Benji
26 Avr 2013 17:38 #11

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Réponse de François Audouze sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Texte magnifique.
En fait, le Rayas, c'est une unité comme le Zlatan.
Chapeau pour cette imaginations débordante
Quel rythme, quel souffle.
Tu es doué pour écrire des romans.
Bravo.


Cordialement,
François Audouze
26 Avr 2013 17:41 #12

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Réponse de amadeusmaldoror sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Whaou, c'est un pas post, c'est un acte de vie!(tu), un testament pour une renaissance!

Grandiose!

Je me déguise en femme et j'arrive pour la dernière Rayas, t'inquiète, je saurai l'apprécier :D

Pis, tu pourras m'appeler Joëlle Bats.
26 Avr 2013 17:56 #13

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Réponse de amadeusmaldoror sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

"Moi qui ne buvais que du Bourgogne, j’ai compris qu’il manquait un climat à cette région."

(tu)
26 Avr 2013 18:01 #14

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Réponse de Jean-Bernard sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Bravo Sylvain, encore un de tes messages si spéciaux qui me régale. :)

JB
26 Avr 2013 18:11 #15

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Réponse de crossbow sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Scénariste pour les films de de funès...enfin le regretté de funès
26 Avr 2013 18:12 #16

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Réponse de JEAN GILLES sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Bonjour,
joli récit, plein d'humour et de talent...
Merci ...

JG
26 Avr 2013 18:15 #17

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Réponse de lbb.contact sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Y'a quand même des avantages à être dépanneur à Châteauneuf... B)-

Benoît ex Avinturier de LPVLyon2
26 Avr 2013 18:35 #18

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Réponse de DamienH sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Bien beau recit. Merci d'avoir pris le temps de poser a plat ce morceau de rêve mystérieux et inaccessible.

"Damien pour ce soir, va nous chercher une bouteille de précision à la cave."
Ma grand mère, 89 ans.
26 Avr 2013 19:37 #19

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Réponse de chrisdu74 sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Luc parle de 82 pour éviter qu'on parle encore de 84 et d'un fameux France-Belgique je pense...
Grand souvenir personnel ainsi que France-Brésil 86

Sinon, belle histoire si bien racontée qu'elle pourrait être vraie (tu)
26 Avr 2013 20:09 #20

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Réponse de Eric B sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Sinon, belle histoire si bien racontée qu'elle pourrait être vraie

Ah bon, elle n'est pas vraie ??? ::o

Eric
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26 Avr 2013 20:22 #21

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Réponse de sideway sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Un très beau texte, ma foi ! (tu)

Frèdè
26 Avr 2013 20:22 #22

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Extraordinaire texte qui se dévore comme une nouvelle ! Quel plaisir !
Sacrée qualité de plume, Sylvain.
Chapeau. (tu)
26 Avr 2013 20:31 #23

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Génial, on ne te lit vraiment pas assez...

Quentin
26 Avr 2013 20:49 #24

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Réponse de Philippipipourrah sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Trop fort, j’ai adoré cette narration ! Tu devrais la faire lire à "ta femme"... :D

:), Philippe
26 Avr 2013 20:56 #25

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Réponse de oenoJB sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

C'est du pagnol ! excellent.
26 Avr 2013 21:22 #26

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Réponse de Gildas sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

T'es quand même meilleur pour l'écriture de nouvelles qu'en course à pied de nuit :D

Bravo Sylv1, superbe texte (tu)
26 Avr 2013 21:58 #27

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Réponse de RaymondM sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Si l'histore est vraie , c'est extraordinaire !
Si elle est inventée , ça l'est encore plus (tu) .

[size=x-small]Mais SVP j'aimerais bien ne pas mourir idiot ! [/size]
27 Avr 2013 00:00 #28

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Réponse de aquablue sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Raymond, nous connaissons sylvain et il n'a pas divorcé .... ;)
27 Avr 2013 00:04 #29

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Réponse de Luc Javaux sur le sujet Re: Plateau télé avec Rayas 1978 cuvée spéciale

Ah bon, elle n'est pas vraie ???

...8-)

Luc
27 Avr 2013 01:04 #30

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