Ce sujet m'a relancé et qu'il me soit permis de mettre ici en ligne un texte que je vais mettre sur le site GJE.
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De la valeur des dégustations à l’aveugle
On sait que le Grand Jury Européen (GJE) est un ardent défenseur de la dégustation à l’aveugle. Pour le GJE, seul ce qui est dans le verre compte, et c’est ce seul contenu qui doit être commenté.
Cette pratique – vigoureusement défendue et affirmée par Robert Parker - permet d’éviter l’écueil habituel de l’influence de l’étiquette sur le jugement du dégustateur, tant il est vrai qu’un journaliste, un sommelier, un producteur, même un “grand amateur”, aura beaucoup de mal à critiquer un vin culte, un vin de prestige, un vin classé, alors qu’il est évident qu’il aura moins de scrupules à critiquer un vin moins connu.
Comment veut-on, en de telles circonstances, qu’un producteur qui a travaillé comme personne pour mettre sur le marché un grand cru, puisse bénéficier de commentaires comparatifs objectifs ? Seule la dégustation à l’aveugle peut donner une chance à un anonyme, de titiller les grands qui, certes, n’ont rien à gagner dans de telles dégustations, mais doivent les considérer comme un “prix” à payer à la renommée ?
Jusque là, on a plus ou moins un consensus évident.
L’argument fort, et réel, vient ensuite. On dit – et c’est vrai dans une large mesure – qu’il est difficile, sinon impossible à l’aveugle, de juger de la capacité de vieillissement, de complexité, d’évolution du vin. Or, c’est bien là ce qui fait la réelle valeur d’un cru : sa transformation subtile dans le temps.
On y ajoute également que l’amateur connaissant l’histoire du vin, de sa région, de son appellation, l’appel qu’il peut faire à sa mémoire, à ses émotions, sont autant d’éléments d’évaluation importants pour un jugement complet. Et que cela manque cruellement à la dégustation à l’aveugle. C’est là un des arguments que Michel Bettane ne manque jamais de mettre en avant. Et il a raison.
Alors ?
Alors, allons plus loin dans cette discussion : ceux qui veulent connaître le vin, voir son étiquette, son millésime, avant de porter un commentaire et éventuellement une note, et qui disent ne pas subir l’influence de ces indications, ceux là se comptent, sur cette planète, sur les doigts d’une seule main (je parle naturellement des critiques ayant pignon sur rue : un simple amateur, dont personne n’attache d’importance à ses notes, peut effectivement être honnête sans que cela ne lui nuise en rien).
Donc, connaître ces informations essentielles, millésime et nom du cru, c’est, soit disant, pour mieux appréhender le vin, faire un commentaire plus circonstancié. Soyez certain que dans ce cas, Lafite, Latour, Margaux, Petrus, et autres incontournables comme Pegau ou Guigal seront bénéficiaires d’éloges – la plupart du temps mérités – mais quand même marqués au sceau du “politiquement correct”. Tout le monde comprend qu’un critique, qui ne veut pas se voir fermer la porte d’un domaine – surtout s’il est reçu “les petits plats dans les grands” - ne voudra jamais commettre une bévue et donc, se risquera très rarement au jeu de l’aveugle.
Soyons clair : demander à voir le millésime et l’étiquette, c’est officiellement pour mieux appréhender un cru dans son entité historique et culturelle, mais c’est surtout se doter d’un outil magique pour donner des points supplémentaires qui risqueraient de manquer si ce vin était dégusté à l’aveugle.
Alors, que faire ?
Au GJE, nos avons choisi : ce sera l’aveugle, en espérant que le niveau des dégustateurs, leurs capacités a saisir les multiples sensibilités des vins leur permettront parfois, souvent si possible, d’exprimer le potentiel du cru. Certains y arrivent régulièrement, et c’est là une petite victoire dont nous avons le droit d’être fier. Quiconque consulte régulièrement nos résultats bordelais savent qu’il y a toujours, en haut de l’affiche, des noms incontestés, des références.
Et qu’on ne vienne pas me dire que les anonymes mis soudainement sous les projecteurs sont des erreurs d’évaluation des membres du GJE :
“15 ou 20 dégustateurs ne peuvent pas tous
se tromper en même temps, au même moment, dans un même lieu, sur un même vin”.
Ce leit-motiv du GJE est plus que jamais d’actualité. Et si un “petit” vin vient se glisser parmi des classés haut de gamme, qu’on sache bien qu’il n’a jamais déduit de ce classement qu’il était à l’égal des grands et que dans dix vingt ans, il sera toujours là. Il est suffisamment heureux de savoir qu’à un instant T, il a été dignement apprécié et donnera, pendant un, deux, trois ou cinq ans, ou même plus, de réelles satisfactions gustatives, généralement à un prix particulièrement compétitif, à tout amateur peu soucieux de devenir un buveur d’étiquette.
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