Clos Veličane – Pinot gris – 2017
Avril 2017. Un message privé arrive simultanément dans quatre boîtes à MP :
"Bonjour Eric, Michel, Olivier, Vincent.
Je serai ravi de vous envoyer une bouteille de mon vin.
Le but est d'avoir des retours sur sa qualité afin que je puisse fixer son prix. Je ne peux être totalement objectif le concernant.
Les conditions (il y en a !) sont les suivantes :
- poster le compte rendu quoi qu'il en soit (bon ou mauvais)
- déguster sur au moins deux jours
- dire à quel vin on peut le rapprocher
- dire combien ça vaut ou combien ça peut valoir en France
Si vous êtes d'accord, je vous remercie de m'envoyer votre adresse postale. Dès que j'ai mes étiquettes je procèderai à l'envoi.
Amicalement
Jérôme"
Un 2e mail m'est envoyé.
Me - nous - voici subitement promu « Expert » chargé de disséquer le premier vin de Jérôme PEREZ, désormais propriétaire du Clos Velicane. Lourde tâche pour quelqu’un qui, s’il aime le vin, n’en fait pas sa raison de vivre.
Expert… Drôle de mot qui résonne comme une promotion et un terrible abîme. Il va falloir juger, rendre un avis sur le premier millésime d’un néo-vigneron qui ne laisse personne insensible. J’ai failli refuser, par lâcheté. Et puis me sont revenus ces mots ; un jour prononcés par un prof de finances publiques :
« Est expert celui qui se trompe en permanence ».
J’ai finalement accepté cette lourde tâche. Je n’étais pas le seul. Découvrir que, par ordre alphabétique, Eric B, Michel MGTUSI et Oliv faisaient également partie du panel n’a pas dissipé ma peur de mal faire, mais a renforcé mon envie de goûter cette bouteille envoyée depuis Oyonnax :
"Mes experts,
Vous allez goûter et j’espère boire mon vin, mon premier vin, Clos Velicane 2017.
Ce pinot gris sec est le rescapé de ce terrible millésime : terrible pour les raisins du clos, mais plutôt bon pour mes voisins …
Vous avez sans doute entendu parler de cette putain de loi des 100 jours. Samo KUPLJEN (le vigneron qui m’a épaulé sur ce millésime) la faite sienne et n’a pas voulu en démordre : sauf que son observation du jour zéro n’était pas sur le Clos Velicane. Il était content et fier de son calme et de son coup quand il observait ses voisins ramasser, un peu moqueur. Sauf qu’il a plu plus de 100 litres au mètre carré en 3 jours et du coup, il a fallu sauver ce qu’il restait ... Ce qu’il restait, en effet, épargné par le gel de printemps et la grêle d’été.
Le riesling, on ne va pas en parler, d’autant que je n’y étais pas et que j’ai appris que « le peu » qu’il y restait avait été mélangé au riesling de Samo (mais très peu, pas plus de 200 litres …). Je n’ai pas voulu de ma part sur ce vin mêlé. (je ne vais surtout pas chercher et confronter cette volonté de race pure à ma supposée philosophie de gauche !). Dommage ! Ce que j’ai goûté était assez beau…
Le pinot gris était parti pour être liquoreux : je n’aime pas trop le pinot gris sec que je trouve souvent inélégant par excès de puissance et d’amertume. J’ai toujours préféré les fleurs blanches aux fruits jaunes dans les arômes des vins. En revanche, je n’oublie pas que l’un des plus beaux liquoreux que j’ai eu la chance de boire fut un Pinot gris (SGN Barmes Buescher 1994). Et je pense avoir bu dans ma vie de très grands liquoreux. Le Clos est sans doute la vigne la plus chaude de la région, exposée plein sud et y faire un pinot gris sec relève sans doute de la gageure (sauf en 2017 !)
Mais mes papilles sont éduquées aux clones alsaciens et le mien est allemand, comme celui de mon riesling ; un clone très qualitatif, plus vif que ceux que l’on trouve en France. Donc, l’expérience nous dira, mais l’idée du PG liquoreux est bien ancrée et sans doute une voie intéressante.
Face au contexte de ce millésime, il a fallu prendre des décisions ; la plupart se sont imposées : ramasser et trier de façon drastique. Tout ce qui a été pressé était sain.
L’intérêt de ce millésime réside dans le fait que le niveau de maturité atteint était très bon et la puissance naturelle du PG a été atténuée par l’eau abondante qui est tombée, ce qui sur un raisin immature aurait donné de la dilution.
A faire un sec, je voulais un vin dans l’élégance, sans lourdeur, en évitant le plus possible les amers du PG (là aussi, je vais sans doute découvrir que selon les clones cette caractéristique est variable).
Il a été pressé grappe entière, élevé en cuve sur ses lies, lies les plus fines, sans remuage. La mise est récente (début avril) et donc, nous avons privilégié un vin simple et frais, dans le contexte de ce millésime.
On est à mon avis assez loin qualitativement de ce que peut donner ce terroir : des vignes en forte pente, plein sud, entre 270 et 330 mètres d’altitude, sur un sol très sableux avec ça et là des argiles bleues.
Le vin titre 12,7 degrés possède un ph de 3,2 pour une acidité mesurée en acide tartrique de 6 grammes par litre, aucun sucre résiduel.
Les règles, vous les avez déjà acceptées :
- Le commentaire du vin bu sur le plus de temps possible,
- A quoi il vous fait penser,
- Tenter de nommer un vin dans le même style,
- Donner le prix d’un tel vin selon votre connaissance du marché (avec vos références françaises),
- Si vous le faites goûter à d’autres, privilégiez l’aveugle pour vos hôtes, ça peut être intéressant sur les supposés.
Voilà, je vous remercie maintenant car peut-être vais-je vous détester bientôt".
C’est parti pour un compte-rendu à quatre mains !
L'avis d'EricB :
La robe est jaune très pâle, tirant vers l'or blanc.
Le nez est expressif, plutôt frais, sur des notes florales (acacia, seringa), fruitées (mangue verte) et confisières (sucre d'orge, malabar).
La bouche allie rondeur et tension, avec une matière charnue, pulpeuse, étonnamment dense et une fine acidité traçante qui étire le vin.
La finale tonique mêle subtilement l'amertume et l'astringence, sur des notes de poire et de fleur d'acacia, et se prolonge sur de nobles amers.
Les jours suivants, le vin évolue assez peu.
Le samedi, je retente une dernière fois avant d'envoyer mon CR à Vincent.
Le nez se concentre plus sur la mangue verte et un peu d'ananas frais, ce qui pourrait presque vous orienter sur Jurançon.
En bouche, la rondeur a cédé le pas au profit de la tension : le vin a adopté un profil longiligne et la matière a gagné en limpidité/minéralité. On est plus dans le « jus de caillou »
On retrouve en finale le mix amertume/astringence qui vous tire une petite grimace de plaisir. L'aromatique est là aussi plus « minérale » avec un côté fumé/caillouteux. Le tout se conclue et se prolonge sur l'astringence tonique/végétale de la pomme Granny Smith – et une pointe d'amer (quinquina).
À quel autre vin cette cuvée me fait penser ? Pas évident. En tout cas, à aucun Pinot gris. Quitte à rester dans la même famille, je dirais plus un Pinot blanc alsacien (ou Auxerrois). Sinon, on pourrait penser à un blanc du nord de l'Italie (mais pas à un Pinot griggio). En tout cas, il ne me fait penser à aucun vin d'appellation française connue.
A quel prix je l'achèterais ? Je dirais aux environs de 10 €. 12 € serait un grand maximum pour moi.
L'avis de Michel, MGTUSI :
Lundi 14/05, 19h :
Robe : or
Nez : puissant, ouvert sur la violette
Bouche : énergique, acidité prononcée avec une aromatique riche de viognier (pêche, violette) et de la salinité perceptible. Ca goûte sec.
Longueur raisonnable. Manque de fraîcheur, aromatique fatigante et amertume prononcée en finale.
Mardi 15/05, 13h :
La robe s'est éclaircie ; plus d'acidité ressentie, la salinité a disparu. L'aromatique me plaît plus avec un côté exubérant mais ça manque de tension et de fraîcheur.
Mercredi 16/05, 20h :
L'amertume est de plus en plus présente,
Conclusion :
L'aromatique reste très variétale (viognier), l'amertume rend le vin pas très agréable à boire. L'ensemble manque de fraîcheur. Le défaut majeur de ce vin est son amertume et Jérôme sait apparemment comment le corriger sur les millésimes à venir que je lui souhaite nombreux. Connaissant l'investissement affectif que Jérôme a placé dans ce vin, je suis sincèrement navré de mon ressenti, mais hélas, il est ce qu'il est !
Analogie :
Un IGP du Languedoc à dominante de viognier.
Prix : 5-7 €
L'avis d'Oliv :
Bouchon à vis.
Robe cristalline à peine teintée d'un très léger vert de gris.
La couleur presque grise du Clos Velicane 2017, ACTE 1
Nez très primaire le premier jour, sur des senteurs florales puissantes, avec un peu de végétal qui sauvignonne et des accents froufroutants un peu écœurants qui tirent sur la guimauve et l'eau de Cologne.
C'est beaucoup mieux le lendemain et surlendemain où le nez s'est posé, comme étiré et apaisé, prenant des atours plus épurés, plus élégants et frais, sur le citron vert et toujours ce côté mi floral mi végétal assez délicat.
L'attaque est marquée d'un frisant qui accentue une acidité ferme.
Une fois dégazé, le vin reste toujours un peu raide, manquant de concentration et de chair à cœur pour équilibrer son côté pointu, exprimant une petite verdeur amère dans un corps qui manque vraiment d'ampleur pour apporter plus de confort et lui permettre d'exprimer une certaine finesse aromatique, en tout cas après l'aération.
Si la structure n'aura finalement que peu évolué, les senteurs et les goûts affinés à J+3 m'auront nettement plus convaincu que l'opulence perçue à l'ouverture.
La finale est inexistante et s'abime dans des amers assez déplaisants.
Un vin qui m'a évoqué un muscat sec qui aurait été vendangé trop tôt pour conserver de l'acidité.
Prix estimé : 6/10€
L'avis de Vougeot :
Clos Velicane 2017 : un vin qui n'intéressera pas les buveurs d'étiquettes !
Bu étiquette découverte

, sitôt sorti du réfrigérateur, à une température de 12°.
Première surprise : le vin est bouché avec une capsule métallique. Au moins, on ne sera pas ennuyé avec le TCA.
Le vin se présente dans une couleur jaune très pâle, brillante, limpide, presque grise.
Le premier nez annonce un vin très sec, sans artifice, d’une austérité toute cistercienne.
On est loin du confort beurré de certains vins de la côte de Beaune.
Petite touche fumée, note pierreuse. Belle odeur d’amande fraîche et un soupçon de poire relevé par une larme de citron. Rien d’exotique. On est dans l’expression minimaliste, millimétrée, du fruit.
Au premier nez, mon épouse s’écrie :
« C’est dingue, on dirait un muscadet ! ». Je suis d’accord avec elle. Elle juge néanmoins le nez en décalage avec la bouche.
Première gorgée : le vin propose encore un peu de gaz. Il titille la langue et apporte un petit côté vivant très agréable. Comme un muscadet.
La première impression est celle d’un vin au profil « De Villainesque ». On n’est pas là pour rigoler.
A l’aération, le nez prend du volume, devient plus rond, plus aimable.
On reste cependant dans l’aromatique d’un très beau muscadet (parallèle intéressant avec le Monnières Saint Fiacre 2009 de Véronique Günther Chéreau).
Les premières notes pâtissières apparaissent 10 mn après l’arrivée du vin dans le verre, avec le réchauffement. Le vin devient plus aimable, moins renfrogné.
En bouche, le vin est porté par une belle acidité qui reste présente après ingestion. Elle constitue l’ossature sur laquelle les notes fruitées s’amarrent. Rémanence minérale dans la finesse plus que la démonstration. Pas de notes de pierre à fusil, mais plutôt de calcaire mouillé.
Le vin propose également une fine amertume, sachant rester dans la limite de ce que mon palais peut accepter. Elle participe à l’équilibre du vin.
Ce Clos Velicane est très réussi. D’un profil austère, sans fioriture, il s’exprime dans un registre très net, pas forcément typé (bien malin celui ou celle qui pourrait reconnaître le cépage) mais précis.
Je suis prêt à dépenser 10 à 12 € pour acheter ce vin. A cette question, ma femme répond spontanément 12 €. Elle trouve néanmoins que le vin est encore «
un peu fouillis » mais le trouve «
très agréable dès maintenant ».
Nous le regoûterons demain soir, avec 24 heures d’aération, bouteille fermée et conservée au frigo.
Lendemain soir,
l'avis de Gildas :
Conservé au frais toute la journée, avec 40 km de voiture, le vin se comporte toujours aussi bien.
Il a perdu une bonne partie de son gaz puisque la bouteille fait pschiiiit à l’ouverture.
Gildas :
"Notes de citron vert, beaucoup de fraîcheur, on sent l’acidité au nez.
Notes salines, mais cela n’évolue pas trop dans le verre.
Cela paraît aérien.
En bouche, on retrouve le léger perlant que l’on a observé. Cela donne un petit peu de tension.
C’est assez vif, citron vert en bouche, amertume qui porte le vin, bien présente mais pas prégnante.
Elle ne masque pas l’ensemble, elle est plutôt intégrée.
C’est plutôt fruité avec des saveurs rappelant la pêche, l’amande".
Vougeot :
-"Peux-tu mettre un nom sur le cépage" ?
Gildas :
-"Furmint ?
- non...
- Hárslevelu ?
- non.
- Quelque chose de connu ?
- oui"...
Longues secondes de réflexion.
Je lui annonce un 100 % pinot gris.
"C’est marrant… Tout à l’heure, je me disais que cela faisait presque Alsace… Je n’aime pas du tout les pinots gris alsaciens que je trouve trop lourds, souvent viandés… Je n’aime pas. Eh bien écoute, ce n’est pas mal !
Par contre, cela fait un peu macération courte, vinification courte, un peu acidulé, bonbon anglais… Ce n’est pas très complexe.
A mesure que le verre se réchauffe, on sent la petite rondeur qui commence à s’imposer en entrée de bouche. Il y a toujours ces amers qui sont présents, mais il n’y a pas cette lourdeur qu’on peut avoir sur ce cépage, parfois. Cela manque un peu de tonicité.
Ce n’est pas mal fait, ce n’est pas désagréable…
Alors maintenant, que manger avec ça ? On n’est pas du tout sur des fruits de mer. Eventuellement des terrines, des charcuteries. Je pense que cela peut le faire".
A la question "
combien serais-tu prêt à mettre pour acquérir cette bouteille ? ", Gildas répond spontanément 12 €.
Dernière dégustation, 48 heures après ouverture :
La couleur reste identique, le vin ne faiblit pas.
Il gagne du volume en bouche et les saveurs se font désormais un peu plus présentes, plus exotiques, même : pêche blanche, ananas léger, citron. Peut-être un peu plus de notes beurrées.
Le gaz est désormais éliminé. La bouche reste vive, avec une acidité de bon aloi. L’amertume décelée le premier soir est un peu plus présente en fin de bouche, mais elle ne gâche pas le plaisir.
La finale est identique ; peut-être avec une note minérale plus affirmée, mais toujours délicate.
Je reste désespérément attaché à ma première idée : difficile, à l’aveugle, de donner le cépage et, surtout, la région de production. Aussi resté-je sur mon idée d’un vin qui pourrait aisément soutenir la comparaison avec un beau muscadet.
Les amateurs de blancs aisément identifiables (muscat, gewurzt, chardo oxydé

, chenin oxydé

) seront décontenancés. Les autres trouveront du charme à ce Clos Velicane.
Bilan :
Cinq dégustateurs, cinq opinions différentes ! Dans ces conditions, quel crédit accorder à nos comptes rendus ?
Quelques points nous rassemblent et nous divisent :
- Un premier millésime loin d'être consensuel : si Michel et Oliv ne sont pas convaincus, EricB, Gildas et Vougeot émettent un verdict plus favorable.
- Pour tous ; un vin marqué par son acidité et une amertume certaine. Rédhibitoire pour Michel et Oliv, intégrée pour EricB, Gildas et moi.
- Ce Clos Velicane 2017 reste néanmoins un vin assez simple dans son expression aromatique, plutôt timide. Pas vraiment de marqueurs aromatiques communs. Chacun y a senti ce qu'il a bien voulu y trouver et personne n'a identifié le Pinot gris !

- Ce qui remet en question le rôle "d'experts" que Jérôme nous a assigné.
- Un prix de vente estimé de 5 à 6 euros (Oliv et Michel) à 10 ou 12 euros maximum (EricB, Oliv, Gildas et Vougeot).
Nous remercions Jérôme de nous avoir choisis pour donner notre avis en toute honnêteté, en toute transparence, sans aucune autre consigne que le respect d'un protocole de dégustation minimal.
Que chaque lecteur soit assuré que nous avons goûté avec notre conscience plutôt qu'avec notre cœur, sans déférence ni partialité. Nos avis disparates et affirmés en sont l'illustration.
Longue vie au Clos Velicane !