Bonjour à tous,
Tout d’abord, je suis très heureux qu’une discussion se soit ouverte sur Belle-Vue, même si j’aurais bien sûr préféré que ce soit en termes plus positifs. Je suis en effet le « Papa » de ce vin (en tant que directeur technique du Château) et vais donc tenter d’apporter quelques éléments objectifs permettant d’« expliquer » votre dégustation et votre ressenti.
Belle-Vue 2005 est un vin qui a demandé un élevage beaucoup plus long que 2004 (18 mois au lieu de 12) en raison d’une matière très présente, qui demandait à s’harmoniser. D’où une mise tardive (en juin). En gros, on est actuellement en pleine maladie de la mise, qui est ce fameux passage ingrat au cours duquel le vin paraît fermé, déséquilibré, atone. On ne pouvait malheureusement pas repousser la date des FAV (on a essayé, mais cela n’a pas marché…).
Ce qui explique les commentaires de Patrick, qui vous conseillait d’attendre quelques mois. En effet, il connaît très bien ce vin pour l’avoir dégusté tout au long de son élevage.
Par rapport à la matière qui vous paraît un peu légère, je voudrais parler de nos terroirs du Sud Médoc qui sont composés de graves fines et précoces favorisant la pleine maturité du Cabernet Sauvignon et du Petit Verdot. Ces terroirs confèrent une très grande finesse tannique, lorsque les raisins sont à pleine maturité, tout en permettant de mener les vins à de très belles concentrations. Tout le travail que nous réalisons sur Belle-Vue va dans le sens d’un équilibre entre concentration et finesse. On tente ainsi d’obtenir des vins de garde restant agréables dans leur prime jeunesse. Pour caricaturer, beaucoup de tanins que l’on ne sent pas, ou du moins sans agressivité.
Sans rentrer dans des données trop scientifiques, un des indicateurs de la quantité de tanins contenue dans un vin est l’Indice de Polyphénols Totaux (IPT). On considère un vin concentré à partir du moment où cet indicateur est supérieur à 70. Dans Belle-Vue 2005, il dépasse 80.
Un point important sur le potentiel de garde réside dans cette teneur, accompagnée de la fraîcheur du vin, l’acidité soutenant les arômes. Le Petit Verdot est un cépage assez magique pour cela puisqu’il donne des vins très tanniques (IPT pouvant dépasser 130) et très frais. Lorsqu’il est mené à maturité, ces tanins ne sont pas agressifs.
Au cours du temps, la teneur en tanins diminue. C’est pour cela qu’un vin avec des tanins verts et agressifs reste vert au cours de son vieillissement, même si son agressivité ressentie diminue (seule la quantité des tanins change, pas la qualité).
Un autre élément : si la couleur dans un vin est très intense et tient au cours du temps, c’est que les tanins sont présents pour la stabiliser (on dit que le rapport idéal est de 5 tanins pour une anthocyane). Voyant la couleur de Belle-Vue 2005, vous pouviez effectivement prévoir une structure concentrée, et vous attendiez sans doute une structure un poil plus agressive.
L’autre point est que plus un vin est concentré, plus sa période de fermeture est grande. C’est pour cela qu’un Latour demande du temps à se révéler et ressort rarement dans les premiers dans une dégustation précoce du Grand Jury Européen.
Pour résumer ce post un peu long, ce qui vous a sans doute troublé, c’est donc primo le stade auquel le vin est, et je vous garantis qu’il a un autre potentiel que celui que vous décrivez ici, et secundo le type de tanins que vous avez rencontrés.
Je ne peux que vous demander de lui laisser une seconde chance et de le garder quelques mois pour qu’il se refasse la cerise. Pour moi, la période optimale de consommation sera 2015-2017, même si je ne vous demande pas d’attendre jusque là. Il devrait être revenu en ordre et avoir regagné son harmonie au début de l’année prochaine.
Pour la comparaison avec D’aighuile Querre, je comprends tout à fait votre ressenti. Ce vin est issu principalement de Merlots sur des terroirs argilo-calcaires. Il présente donc des tanins de Merlots, qui allient gourmandise et présence en bouche. Les Médocs qui présentent peu de Merlots (je vous rappelle l’assemblage de Belle-Vue qui est de 45% CS, 25% PV et seulement 30% M), demandent souvent plus de temps pour se révéler.
J’attends avec impatience vos remarques quant à ces « explications » et espère que vous éprouverez autant de plaisir à déguster ce vin dans quelques mois que j’en ai eu à le faire naître et à l'élever.
Cordialement,
Vincent