Dans mon club de dégustation, nous avons récemment découvert que le Clos Manou, auquel nous achetons du vin chaque année, utilisait un bouchon dit « technologique » pour une partie de sa production, en complément du classique bouchon en liège.
Nous avons donc sollicité Françoise et Stéphane Dief, propriétaires du Clos Manou, pour faire une dégustation comparative de ces 2 types de bouchons.
Ils ont accepté de venir nous parler de leur domaine et du bouchon technologique, tout en faisant une dégustation comparative sur plusieurs millésimes de vins bouchés au liège et de vins bouchés avec le bouchon technologique.
Le domaine
Le Clos Manou est situé à St Christoly, en nord Médoc.
Francoise et Stéphane Dief ont commencé en 1998 en vinifiant 2 barriques, et sont aujourd’hui à la tête d’un domaine de 18 ha situé sur les graves du nord Médoc qui leur permettent de produire environ 400 barriques.
L’encépagement est le suivant :
• 45% de Cabernet-Sauvignon
• 45% de Merlot, dont une parcelle pré-phylloxérique plantée dans les années 1850 ; paradoxalement cette parcelle a apparemment encore de très beaux rendements, qui défient l’entendement des pépiniéristes… et qui permettent de sortir une cuvée parcellaire les bonnes années.
• 6% de vieux Cabernet-Franc
• 4% de Petit-Verdot
L’âge moyen des vignes est de 40 ans et la densité de plantation est de 10000 pieds/ha. La vendange est manuelle, et il y a un double tri avant la mise en cuve.
Le premier vin, Clos Manou, est élevé 17 mois en fût neuf pour 80% de son volume. Les 20% restants sont élevés en œufs béton de 8 hL et en jarres de terre cuite de 7-8 hL. Les œufs béton reçoivent en priorité le cabernet franc, pour un élevage doux, avec peu de tanins, qui arrondit les angles. Les jarres en terre cuite, quant à elles, reçoivent le petit verdot , pour l’arrondir et l’oxyder, « casser les angles », par tranche de 4 mois.
Photo : Courtoisie de escapadoenophile.com
Le second vin, Petit Manou, est lui élevé 12 mois, pour moitié en barriques de 1 vin, et pour moitié en barriques de 2 vins.
Théoriquement, le cabernet sauvignon va plutôt dans le premier vin et le merlot dans le deuxième.
Le bouchon technologique
Des posts sur ce sujet ont déjà été émis sur LPV, par exemple
ici
ou
là
, mais pour moi c’est une découverte.
Françoise et Stéphane ont commencé leurs essais avec les bouchons technologiques sur les millésimes 2004-2005-2006. Les essais ayant paru concluants, c’est maintenant 1/3 de Clos Manou qui est bouché avec le bouchon technologique depuis le millésime 2014.
Ce que Stéphane nous a dit, c’est avoir constaté qu’il prenait souvent plus de plaisir avec une bouteille bouchée avec le bouchon technologique mais que surtout il constatait moins d’irrégularités d’une bouteille à l’autre par rapport à l’utilisation du bouchon en liège.
Toutes les bouteilles bouchées au bouchon technologique vieillissent de manière identique, sans déviance (fatigue, oxydation prématurée, goût de bouchon).
Enfin, sur les 14 ans de recul qu’ils ont sur l’utilisation de ce bouchon, celui-ci tient bien au vieillissement, aucune dégradation n’a été constatée.
Voici une photo de ce bouchon…
… et une coupe explicative :
Le bouchon se compose de 3 éléments :
• Une structure rigide qui assure la cohérence de l’ensemble, le guidage du tire-bouchon et le bon contact entre le goulot et le bouchon.
• Un corps compressible en élastomère thermoplastique
• Un bouclier à la base, qui est la seule partie en contact avec le vin ; la matière utilisée pour ce bouclier est le « meilleur technopolymère disponible en terme d'absence d'interactions chimiques » d’après
le site du fabricant
Du coup, en plus d’assurer l’absence de TCA transmise par le liège, ce bouchon permet de stocker le vin en position verticale.
D’après Stéphane Dief, 90% de la respiration du vin se fait entre le bouchon et le col, et seulement 10% à travers le bouchon traditionnellement. Donc ce bouchon permet d’après lui d’assurer malgré tout une respiration au vin. (Au passage, il considère que la capsule à vis bloque toute respiration, alors que d’autres techniciens m’avait assuré du contraire, mais c’est un autre sujet
).
L’embouteillage se fait de façon automatisée et assure une mise sous vide d’air dans la bouteille (avec un delta de -0.1 bar). Cette déplétion de 0.1 bar a pour conséquence une présence moindre d’oxygène et donc un besoin moindre de sulfites pour la protection du vin. Ce qui d’après Stéphane expliquerait pourquoi ce bouchon a mieux percé sur le marché des vins blancs où l’utilisation des sulfites est plus forte.
Ce bouchon est principalement utilisé en Hongrie (Tokaj) puis en Italie (pays du fabricant). En France, c’est en Bourgogne et en CDR que ça a le mieux percé, mais le bordelais est une région conservatrice où la clientèle rechigne à envisager l’abandon du liège (plus que les vignerons apparemment).
Quelques domaines qui utilisent ce bouchon :
Hongrie : Heimann, Pajzos Tokaj
Italie : Vigneti Massa, Franck Cornelissen
France : Ponsot (Bourgogne), Coulet (CDR), Liber Pater (Bordeaux)
Dernier point, et certainement pas des moindres pour les vignerons : le prix du bouchon.
Le bouchon technologique est vendu autour de 50 centimes pièce. En comparaison, Stéphane Dief utilise des bouchon en liège à 40 ct pour Clos Manou et à 30 ct pour Petit Manou. L’impact n’est donc pas majeur étant donné le prix de vente de ses cuvées.
La dégustation
Après toute cette théorie, il est temps de juger sur pièce si le type bouchon à un impact sur le vieillissement des bouteilles.
La première paire de vin que nous goûtons est un 2006 du château Layauga-Duboscq que les époux Dief ont en fermage pour Henri Duboscq (Haut Marbuzet). Il n’y a en effet plus de Clos Manou des premiers millésimes tests (2004 à 2006), et les essais ont aussi eu lieu sur ce château en fermage.
Préambule sur mes notations :
0 = raté
1 = médiocre
2 = correct
3 = bon
4 = très bon
5 = excellent avec des demi points, des + et des – qui permettent d’affiner le jugement et de classer les vins entre eux.
Médoc, château Layauga-Duboscq 2006
Bouchon classique liège.
Robe pourpre brun.
Nez ouvert, sur l’humus, les fruits cuits, le cuir, avec un léger jus de viande.
En bouche, l’attaque est souple et fraiche. C’est un vin en ½ puissance, fondu et bien équilibré. La retro révèle une belle expression aromatique avec des notes tertiaires, qui confirme le nez. C’est un vin mûr, avec des fruits cuits et des fruits mûrs un peu compotés. Très belle longueur.
Conclusion : c’est un beau vin évolué et expressif.
Note : 3,5+/5
Médoc, château Layauga-Duboscq 2006
Bouchon technologique.
Robe pourpre brun, identique à sa jumelle.
En revanche, le nez est assez discret ; on y décèle de l’humus, des fruits cuits, et un léger fumé (pas de jus de viande ici).
En bouche, l’attaque est souple. La bouche est fraîche avec des petits tanins, c’est moins fondu que dans la bouteille bouchée au liège. La retro confirme le nez, avec de l’humus, des fruits cuits et du cuir. Très belle longueur.
Conclusion : c’est un beau vin, très proche de son jumeau, en moins fondu et moins évolué.
Note : 3,5/5
Pour continuer l’expérience comparative, nous enchaînons sur une verticale 2014-2015-2016 de Clos Manou ; je m’attends à trouver de moins en moins de différence entre bouteilles jumelles, celles-ci ayant moins eu le temps de diverger…
Médoc, Clos Manou 2014
Bouchon classique liège.
Robe bordeaux.
Nez ouvert, sur la cerise noire, le grillé et le fumé.
Attaque ample et souple. La matière est belle, ronde et fraîche. Côté aromatique, on trouve des fruits noirs (cerise et mûre notamment), du fumé, du graphite et quelques notes poivrées. En finale, le côté fumé prend de l’ampleur et des tanins se font sentir. Belle longueur.
Conclusion : c’est bon, déjà buvable.
Note : 3,5+/5
Médoc, Clos Manou 2014
Bouchon technologique.
Robe bordeaux.
Nez assez ouvert, dominé par le grillé.
Attaque ample et souple. C’est frais et tannique. Côté aromatique, on trouve la mûre, le cassis, un côté grenadine, et un léger fumé. La finale est fraîche, tannique et fumée. Belle longueur.
Conclusion : c’est bon, fruité. Par rapport à sa sœur bouchée au liège, c’est moins évolué, moins complexe aromatiquement et un peu plus tannique (attention, ce n’est pas tranché, on est bien dans la nuance).
Note : 3,5/5
Médoc, Clos Manou 2015
Bouchon classique liège.
Robe violacée.
Nez ouvert, sur les fruits noirs mûrs, le grillé et les épices. C’est un nez gourmand qui donne envie de goûter.
Attaque ample et ronde. La matière est belle, ample et ronde, avec des tanins bien présents mais corrects. La retro confirme le nez. La finale, de belle longueur, est tannique avec une petite amertume.
Conclusion : c’est très bon, solaire et épicé.
Note : 4-/5
Médoc, Clos Manou 2015
Bouchon technologique.
Bouteille identique en tous points à sa jumelle. Aucune différence perçue.
Note : 4-/5
Médoc, Clos Manou 2016
Attention, pour varier, le bouchon technologique est servi en premier sur ce millésime.
Robe violacée.
Nez assez ouvert, sur les fruits et des notes fumées.
Attaque ample et suave. La matière est belle, avec des tanins déjà fondus, c’est mûr et frais à la fois. La retro est un peu discrète pour le moment (cuvée embouteillée au mois de mai), cantonnée sur les fruits noirs et les notes fumées. Belle longueur.
Conclusion : c’est très bon. Tactilement c’est du lourd, aromatiquement c’est encore fermé.
Note : 4-/5
Médoc, Clos Manou 2016
Bouchon classique liège.
Bouteille quasiment identique à sa jumelle. Une petite complexité aromatique supplémentaire en finale, avec de légères notes florales et chocolatée,s vient apporter un petit surplus de plaisir.
Conclusion : c’est très bon. Un millésime très prometteur.
Note : 4/5
La partie comparative de la dégustation s’arrête là. Le faible nombre de bouteilles goûtées ne permet évidemment pas de tirer de conclusions sur cette seule séance. Mais l’impression que j’ai eue avec les 2 premiers vins c’est que le vin évolue moins vite avec le bouchon technologique qu’avec le bouchon classique. Et le bouchon technologique du 2006 était encore impeccable, ce qui tend à montrer que c’est une alternative crédible et efficace au bouchon en liège pour les vins de garde.
Pour continuer la discussion, nous avons fini par la dégustation de Petit Manou 2016 et Clos Manou 2010.
Médoc, Petit Manou 2016
Bouchon classique liège. Cuvée issue à 80% de merlot et 20% de cabernet sauvignon.
Robe violacée.
Nez ouvert, sur le pain grillé, les fruits noirs mûr, avec une pointe de réduction.
L’attaque est souple et ronde. La matière est assez dense, mais ronde et fondue, ce qui lui confère une belle gourmandise. La retro confirme le nez, mais elle permet d’y remplacer la pointe de réduction par des notes de chocolat. Longueur moyenne.
Conclusion : c’est bon et gourmand, déjà prêt à boire.
Note : 3,5+/5
Médoc, Clos Manou 2016
Bouchon classique liège.
Robe pourpre.
Nez ouvert, sur les épices, les fruits noirs, avec un peu de cuir, un peu de réduction et un léger jus de viande.
Attaque ample et fraîche. La bouche est puissante, tendue, avec des tanins encore bien présents. L’aromatique ne m’a pas paru très sexy : on a bien des fruits noirs et du cuir, mais l’apparition en finale de notes végétales (un peu céleri) vient ternir le tableau. Belle longueur.
Conclusion : la matière est belle, mais l’aromatique est moyenne en l’état à cause de la finale. J’attendrais un bon moment (l’apparition des arômes tertiaires) pour ouvrir ce vin qui a du potentiel.
Note : 3,5/5
A noter : la plupart des personnes présentes à la dégustation ont trouvé ce vin très bon et très classe. Peut-être suis-je passé à côté…
Pour finir, voici le portrait de famille de cette dégustation:
Merci de m’avoir lu jusqu'au bout
.
Bibi