En guise de préambule, j'espère que Thierry ne me tiendra pas rigueur de démarrer une nouvelle rubrique pour une meilleure lisibilité de mon compte-rendu de dégustation, la rubrique Sociando patinant un peu au démarrage en raison du nombre important de posts déjà déposés.
On a donc déjà beaucoup parlé de Sociando-Mallet, un des plus fameux crus bourgeois actuels dont tout le monde estime le niveau à celui d'un bon 3ème cru classé et qui est capable sur certains millésimes d'égaler, voire de dépasser les plus grands, même si cela est contesté par les ardents défenseurs de la hiérarchie bordelaise archaïque (là , je prends ouvertement position !).
Sociando tient une place particulière dans mon coeur car j'en ai fait depuis de nombreuses années mon cru fétiche (il en fallait un et je ne regrette absolument pas mon choix, même si nous sommes nombreux dans ce cas et notamment parmi mes amis qui ont emboîté le pas !) et je possède tous les millésimes depuis 1990. C'est pour cette raison que c'est également le vin du Bordelais que je connais le mieux pour l'avoir goûté, souvent plusieurs fois, dans bon nombre d'années, y compris le célèbre 82 dégusté récemment par ailleurs.
D'un point de vue historique, on retrouve trace de cette propriété située à Saint-Seurin de Cadourne, à l'Ouest de Saint-Estèphe, depuis 1633, lorsqu'elle appartenait à sieur Sociando, qui lui a donné son nom pour moitié, jusqu'en 1850, date à laquelle Mme Mallet se porte acquéreur et y accole son nom pour donner naissance au château Sociando-Mallet que nous connaissons actuellement, même si la qualité n'était pas encore forcément au rendez-vous.
De 1876 à 1969, cinq propriétaires se sont succédés, qui n'ont guère laissé de souvenirs, si ce n'est qu'ils ont eu la bonne idée de ne pas rajouter leur nom à celui du domaine, ce qui l'aurait considérablement alourdi !
En 1969, la propriété compte 5 ha et n'a guère bonne réputation. Les vignes et les chais sont quasiment à l'abandon. C'est cette année-là que Jean Gautreau, négociant et ancien tennisman, à la réputation de dilettante, rachète cette propriété en bordure de la Gironde. Il n'aura de cesse alors de reconstituer un vignoble digne de ce nom, d'un seul tenant, et de l'agrandir, puis de rénover les chais et le cuvier.
Sociando-Mallet commence alors véritablement à faire parler de lui au début des années 80 avec un millésime 82 considéré comme d'anthologie. Plusieurs bonnes années se succèdent, avec un 86 à la réputation flatteuse, un 87 très réussi malgré la petitesse du millésime, et un beau 89.
Puis commence la décennie 90, objet de cette verticale, où la qualité des vins ne cesse d'augmenter, Sociando venant même titiller les plus grands. Jusqu'en 96, les prix en primeur étaient une véritable aubaine, on assiste depuis à un ajustement du fait de sa qualité et sa réputation, mais ceux-ci restent tout de même très raisonnables.
C'est donc dans la cave du Bon Echanson, à Pontarlier, que nous nous sommes réunis pour une dégustation prometteuse. Les bouteilles ont été ouvertes dans l'après-midi par notre ami caviste, non carafées, et nous avons décidé de les déguster en semi-aveugle, deux par deux comme nous avons souvent l'habitude de le faire. Les millésimes dégustés ayant été dévoilés au fur et à mesure, la dernière bouteille a été découverte par tous les participants et ce fut bien la seule !
Ambiance conviviale et bon enfant comme à notre habitude mais tout le monde a quand même bien écouté les commentaires et explications du maître de cérémonie. Nous avons donc à déguster 9 millésimes, à savoir 88, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96 et 97, servis dans un ordre connu du seul caviste.
Premier service !
Le premier vin présente une robe pourpre, légèrement trouble ; il nous semble âgé. Un nez d'abord fermé, qui s'ouvre sur du fruit mais qui y associe une pointe d'iode (de la Bétadine® pour les nombreuses personnes du milieu médical présentes dans l'assemblée). Un manque certain de longueur, avec une finale un peu courte (« il bloque devant et il n'y a plus rien derrière » souligne un des dégustateurs). Ce vin est toutefois très honnête et pas encore sur le déclin, ce qui est une petite gageure quand on connaît le millésime, en l'occurrence 92.
Le deuxième vin révèle une belle robe grenat, sans trace d'évolution, avec un beau nez agréablement fondu, sur de fines touches de havane et un léger boisé. Les tanins sont fins et soyeux et libèrent à l'aération un cassis explosif et envoûtant. Souplesse, harmonie, équilibre ! Ce vin semble encore très jeune. Beaucoup (dont moi) le situent en 97. Surprise, c'est un 91, qui étonne réellement par sa fraîcheur et sa jeunesse.
Deuxième service !
Le troisième vin nous offre une robe grenat et un nez de moka, très torréfié, avec des nuances cacaotées, des tanins fins et serrés. Flatteur, fondu et agréable, il séduit la majorité des dégustateurs même s'il n'est pas d'une grande complexité. C'est un 93.
La robe du quatrième vin est d'un grenat plus soutenu, presque opaque. On retrouve de nouveau au nez des nuances iodées qui troublent le fruité. Si la matière est dense, on peut lui reprocher un manque d'élégance et une certaine austérité avec de la sécheresse en finale. Il fait craindre à nombre de dégustateurs une évolution défavorable vers plus de sécheresse. La faute au millésime ? C'est un 94.
Troisième service !
Avec le cinquième vin, on arrive aux choses sérieuses ! Le nez est splendide, complexe, sur la boîte à cigares, le cèdre, le fumé. Il emplit les narines d'un parfum envahissant. La bouche est volumineuse avec une matière dense, noble, sur des tanins serrés et chatoyants, et présente une grande longueur. C'est un grand vin qui impressionne l'ensemble des dégustateurs. 95 ? 96 ? Eh non ! Enorme surprise, c'est le 97 ! Un vin fabuleux qui démontre que, quel que soit le millésime, il est possible de faire bon si on veut s'en donner les moyens.
Derrière ce 97 d'anthologie, le sixième vin nous semble un peu fluet, pas désagréable mais il souffre de la comparaison et ses arômes sont un peu écrasés par le précédent. Il semble plus âgé et, effectivement, c'est une relative déception : on était en droit d' attendre plus de choses du millésime 88 !
Quatrième service !
Il ne reste en principe que des grands, nous ne devrions pas être déçus. Le septième vin présente une robe sombre, presque noire, et s'ouvre sur un nez très torréfié, moka et cacao. Une matière très dense avec une acidité bien ressentie qui procure une immense longueur avec de la mâche en finale. Un vin juvénile, énorme et magnifique. Le plus grand jusqu'à présent et c'est le 95.
Le huitième vin me semble être le petit frère du précédent, tout aussi beau sur le moka et le cacao, avec une matière que je trouve légèrement en retrait par rapport à 95, mais si peu ! On joue à présent dans un registre de haut niveau. Encore un vin très jeune et vous aurez deviné que l'on a affaire à 96. Impressionnant !
Cinquième et dernier service !
La neuvième bouteille, gardée pour la bonne bouche, même si on peut considérer que c'est une erreur de la servir en dernier, les papilles pouvant commencer à fatiguer, c'est le 90. J'avoue cependant que j'aime bien ce côté crescendo car on a l'impression de franchir des paliers et le vin que l'on goûte semble toujours supérieur au précédent. L'inverse ferait trop souffrir de la comparaison les vins moins puissants. La robe de ce 90 est encore opaque avec toutefois de légères nuances plus claires sur les bords du disque. Le nez est plein, fruité, torréfié, et, en bouche, la matière est impressionnante, volumineuse, avec une rondeur, que n'ont pas encore les millésimes plus jeunes, qui tapisse et caresse le palais à l'infini. Admirable !
S'il faut hiérarchiser, mon classement personnel sera donc le suivant : 90, 95, 96, 97, 91, 93, 94, 92, 88. Mais tous les millésimes obtiennent sans problème la moyenne.
On termine la dégustation par un petit dessert, une excellente tarte aux pommes de Mme l'échansonne, accompagné d'un petit café, et c'est le retour (à pied !) à la maison, par un petit moins 10°C qui vivifie et maintient les sens en éveil. Un grand moment vient de se terminer et je dois avouer que les verticales des crus bordelais nous ont toujours procuré une immense satisfaction, même si, personnellement et actuellement, je suis plus enclin à découvrir d'autres appellations. La magie de Bordeaux fonctionne toujours ! Et Sociando-Mallet est un très grand vin, d'une régularité exemplaire !
Olif