Le millésime 2017 et un nouveau cru au domaine Vincent Dancer
Pour ceux qui auront suivi, il manquait un domaine habituel à notre excursion automnale Bourguignonne. Nous n'étions en effet pas parvenus à concorder nos agendas. Il nous tenait néanmoins à coeur d'aller voir Vincent Dancer en cette fin d'année 2018. Le prétexte d'une virée dans le Rhône nous offrit l'occasion de faire un stop à Chassagne sur le chemin.
2018, les rendements et leur contrôle
C'est après trois petites heures de route que nous arrivons sur la Côte Beaunoise. La pluie nous a accompagnés une bonne partie du trajet et le temps est également humide dans la région. La végétation a bien changé puisque le manteau ocre des vignes a laissé place à des pieds et des sarments déshabillés. Dans les derniers kilomètres qui nous mènent à notre étape, nous apercevons quelques vignerons affairés à la taille. Nous voilà au 23 Route de Santenay. C'est un hôte souriant qui nous convie dans sa cave.
- Bonjour Monsieur Dancer.
- Bonjour Messieurs.
- Le millésime 2018 s'est globalement bien présenté dans la région était-ce également le cas pour vous?
- Nous avons eu de beaux raisins et de beaux volumes.
- Vous avez peut-être eu de la pluie en Août, comme ce fut le cas à Volnay?
- Non, Chassagne était l'un des villages avec le moins d'eau. Nous allons déguster 2017. J'ai prélevé puisque le millésime est encore en élevage sur cuve. Nous avons soutiré avant les vendanges.
- J'imagine que vous ferez la mise au Printemps, comme cela est souvent le cas.
- Nous le ferons peut-être en Mars, on verra.
Bourgogne blanc
Un vin d'une redoutable netteté et d'une grande précision. Il possède de la consistance, un peu de rondeur et une tension acidulée qui l'étire dans l'espace et le temps.
B
C'est remarquable pour l'appellation. Mon camarade Paul partagera cet avis: "Un des meilleurs Bourgogne blanc bus."
- Après des années à faible rendement, vous devez être satisfaits.
- En 2017, nous faisons une demi-récolte, nous rappelle Vincent. Nous faisons 80 tonneaux. Les quantités sont équivalentes à 2013, 2014, et 2015. 2012 et 2016 furent bien plus faibles. En 2018, nous faisons 120 fûts.
- A quel rendement terminez-vous?
- Pour parler d'hl par ha, il faudrait le faire vigne par vigne. Un rendement vaut par la charge que la vigne peut faire. On ne peut pas demander la même chose à une jeune vigne qu'à une vieille vigne. Si j'ose la comparaison, il ne sert à rien d'enfermer un jeune débordant d'énergie dans une "cage". A l'opposé, une personne plus âgée est plus sage, plus complexe. Il n'y a donc pas besoin de trop ébourgeonner les jeunes vignes. Je n'ai pas pour autant une cible immuable. J'ébourgeonne même les vieilles vignes. Il s'agit de les limiter pour ne pas trop leur en demander. Il faut trouver à chaque fois le bon équilibre: ni trop, ni pas assez. L'enherbement est également un bon levier pour limiter les jeunes vignes.
Chassagne Montrachet
"Les vignes sont sur des sols plats et argileux."
C'est tendu, fin et très digeste en première approche. Une matière légère est palpable entre le palais et les papilles. L'aération amène des fruits blancs, de la chair jaune, de la fleur d'acacias et une pointe de miel dépossédée de son sucre. Une virgule amère arrive à point nommé en finale.
B+/TB-
- Les maturités sont arrivées fin Août. 2011 aussi fut un millésime précoce mais l'été fut plus frais. Les maturités furent plus lentement. Et certaines années la fleur se passe plus longuement.
- De nos échanges avec vos confrères, la pluie du Printemps a favorisé les volumes de 2018.
- Lorsqu'il y a autant d'eau de manière rapprochée, les nappes ont le temps de se reformer. Il faut tout de fois être attentif à la poussée de la maladie. Heureusement cela s'est bien passé.
Meursault Corbins
"L'exposition s'étend pratiquement du Nord au Sud. La parcelle se trouve sous Volnay Santenots. Les vignes ont été plantées en 1986."
Une pointe acidulée à l'entame. Une matière encapsulée qui apporte un confort de bouche. C'est enrobé dans le pourtour et un peu accrocheur lorsque l'on "traverse" cette presque membrane. Un vin tendu qui s'achève sur une note saline et amère.
B+/TB-
Meursault les Grands Charrons
"C'est exposé Sud Est. Les pieds poussent sur une dalle calcaire. Sous les Tessons. Les plants les plus anciens datent de 1958."
La maturité paraît plus grande. Le fond est remarquable. C'est une vague ascendante qui tend vite l'ensemble par sa force. Une grande longueur et une finale salivante. De ma mémoire, le meilleur Grands Charrons bu.
TB
Un nouveau cru en haute densité
Chassagne Montrachet 1er cru Morgeot
- Les sucres ne sont pas tout à fait terminés.
- L'appellation est nouvelle il me semble. Je n'ai pas souvenir l'avoir goûtée.
- Il s'agit bien de la première année où nous le faisons. C'était une parcelle précédemment arrachée. Nous l'avons plantée en 2012 en haute densité. Nous y avons 20 000 pieds à l'hectare. C'est encore jeune mais avoir plus de peaux et de pépins apportera de la complexité.
L'ensemble est comparativement plus comprimé, timide. L'expression est plus simple. C'est un vin assez large qui se situe en bas de bouche.
B
- Comment s'organise la répartition de 20 000 pieds? demande camarade Alain (Oui, oui, vous avez bien lu je ne suis pas le seul à poser des questions
)
- Il y a toujours 1 m de large entre 2 rangs mais les pieds sont espacés de 50 cm. A 30 000 pieds, il faut planter en foule. C'est ce qui se faisait il y a longtemps. Ça permettait de concurrencer l'herbe et ainsi éviter des coups de pioche. L'espacement d'un mètre s'est fait avec l'arrivée du cheval.
- Pourquoi vous êtes-vous décidés à faire de la haute densité? Des discussions avec vos confrères peut-être?
- Meursault, ça reste du chardonnay. Pommard, du Pinot Noir. La marge de manoeuvre est limitée. Là c'était l'opportunité de chercher, trouver et décider d'une orientation, d'une densité, d'un porte greffe, d'une sélection massale, etc. Une véritable réflexion d'agriculteur.
Porter le millésime au mieux dans la bouteille
Chassagne Montrachet 1er cru la Romanée
Une petite rondeur permet une attaque en douceur. Un soupçon d'accroche donne du relief à la suite. L'ensemble est équilibré et dense. Il est porté en dualité par un filin acidulé et de l'ananas, des fruits exotiques et de la fleur d'amandier. De mon souvenir, le plus digeste des Romanées bus. Remarquable
TB+.
- C'est une Romanée plus élégante qu'à l'accoutumée. Avez-vous changé quelque chose?
- Je ne cherche pas à changer quoi que ce soit. Je veux juste prévenir les mauvais goûts. Il faut accepter l'influence du millésime. Mes actions en cave ne doivent pas changer ce que le millésime a donné.
- Même sur des millésimes chauds tels 2003?
- 2003 s'est affiné au bout de 15 ans. Et il a un résiduel sec que j'aime beaucoup.
- Pas d'acidification donc.
- Acidifier rend les vins ennuyant. J'ai reçu une année un Monsieur de l'Oregon. Il cherchait à faire du chardonnay Bourguignon sur ses sols. Il voulait savoir ce qu'il pouvait changer dans ses méthodes. Je l'ai emmené faire le tour de différents domaines au moment des vendanges. Il a vu des récoltes en cagettes, en paniers, en grands contenants. Il a vu des élevages dans différents fûts, cuves, etc. Je lui ai fait ensuite goûter les vins des différents domaines. Il a retrouvé le style qu'il considérait Bourguignon dans beaucoup. Moralité, c'est le sol, le terroir, le calcaire qui y participent largement. Il ne faut pas chercher à reproduire un vin ailleurs, il est plus important de faire un vin de sa région. Il y a des blancs très bons hors la Bourgogne. Le seul avantage de cette dernière, c'est que la vigne est là depuis plus d'un millénaire.
Le recours au soufre
Chassagne Montrachet 1er cru Tête du Clos
Une belle fraîcheur qui permet de continuer sans encombre la série. Un vin contenu, qui se porte dans le haut de la bouche. Une petite amertume, très mesurée, se manifeste au 2/3. La partition est longue, pleine et dotée d'une persistance XXL. A la seconde gorgée, on peut percevoir des agrumes japonais, du kumbawa, du citron caviar, de l'écorce de citron vert et des petites épices.
TB+/Exc- Nous nous sommes de plus en plus confortés par la belle réussite du domaine dans ce millésime.
- J'ai soufré pour la première fois il y a 15 jours. Gustativement il n'y en avait pas besoin mais il s'agit de préparer la mise.
- C'est assez éloigné de la mise. Je pensais que c'était plus rapproché de cette phase.
- Ca permet au vin de le digérer. Si tout va bien, nous n'en rajouterons pas. Il reste un soutirage.
- Que reste-t-il en libre au final?
- 15 environ, pour 20-25 en total. C'est 2.5 fois moins que l'autorisé. Le moment n'est pas non plus si précoce. Je le mets le plus tard possible pour que tout ce qui doit se faire dans le vin se fasse.
- Vous évoquez la nécessité gustative du SO2. Pour quelle raison?
- Le soufre minéralise, si l'on peut parler ainsi. Ca rend le vin plus droit, plus carré et le tend. Mais je vise plutôt à en mettre le moins possible. Et de mon point de vue d'agriculteur, je trouve le goût 100 fois mieux avant. On peut apprécier le vieillissement d'un vin avec ou sans soufre. Il faut arriver à changer l'attente des gens dans ce dernier cas. C'est une question de point de vue et d'acceptation. Bien entendu, sans soufre, on ne va pas espérer le conserver 30 ans. L'évolution sera plus rapide. Mais quel intérêt d'avoir un vin surprotégé par le soufre et de se dire au bout de 15 ans "Ah il est bien ce vin, il est encore jeune." Le vieillissement dépend également des conditions de conservation. Tout le monde n'a pas une cave de nos jours.
Meursault 1er cru Perrières
Vincent nous prévient que la fin de fermentation est difficile. "Il reste des sucres."
Le grain est supérieur mais l'arômatique est encore brouillonne. La fin colle encore un peu. Si l'on dépasse cette première impression, on trouve une belle accroche, un volume rocailleux. Il existe des bases pour un potentiel énorme. A attendre très sagement donc.
- Nous faisons moins de Perrières en 2017. 3 pièces contre 5 en 2016
- J'aurais pensé que 2017 avait été plus généreux.
- Nous avons eu un gros souci de coulures dans les vignes. Et le mildiou a fait des dégâts qu'on ne peut pas rattraper.
Chevalier Montrachet grand cru
Des effluves floraux, sur la fleur d'orgeat. Une pointe de réduction. L'altitude en bouche est supérieure encore ici. La maturité se traduit au travers de notes de citron confit, l'amertume se nuance autour d'écorce de kumquat et la tension est soulevée par un arc de yuzu. L'ensemble se fait très fluide jusqu'à une finale ponctuée par une virgule de matière très puissante, épicée. Elle laisse une matière sèche résiduelle du plus bel effet. Waouh effect inside. La seconde bouche s'infiltre dans les joues, l'amertume lui confère une complexité supplémentaire.
Exc+/potentiel Grand
Les températures, les levures et leurs influences sur les raisins et le vin
- Entreposez-vous des tonneaux par ailleurs, il nous semble que vous avez une cuverie?
- C'est le cas. C'est plutôt bien d'y avoir le froid de l'hiver et des températures plus moins fraîches en été. Il faut que le vin connaisse les variations de températures liées aux saisons. Bien entendu le lieu est climatisé pour ne pas excéder 20°C l'été.
- Avec 2018, vous avez pu être tenté de refroidir vos raisins pour éviter que les fermentations partent trop vite?
- Non, je ne refroidis rien. Il faut respecter le processus naturel. Il fallait seulement faire attention à ne pas laisser les raisins trop longtemps en cuve. Ils étaient pressés et le soir même en tonneau. Au surlendemain des vendanges de Tête de Clos, celle-ci a commencé à fermenter alors que Romanée était présente depuis 6 jours au fond sans que cela n'ait réellement commencé. Il n'y a pas eu de contamination des levures d'un tonneau à l'autre. Aujourd'hui Tête du Clos continue sur certains fûts lorsque Romanée est bien plus avancée. J'essaie de remplir assez tôt pour mettre les levures en difficulté. S'il existait une souche dominante, nous n'aurions pas des vitesses de fermentation différentes.
Pour joindre le geste à la parole, notre vigneron prélève sur 2 tonneaux côte à côte. Le premier vin, Morgeot, est d'une parfaite limpidité et le second, Tête du Clos, ... Roulement de tambours. "C'est là que mon exemple ne va pas marcher" s'amuse Vincent
. Le second est bien trouble. Et il reprend: "On veut tout analyser aujourd'hui. A tout analyser, on cherche à corriger tout ce qui ne nous convient pas. Cela tend à uniformiser les vins. Pour moi, mettre de la levure permet certes de de ne pas prendre de risque mais cela s'apparente à des couvertures de magazine où le mannequin est maquillé, retouché. C'est beau, c'est bon mais ce qui m'intéresse, c'est l'histoire racontée par le vigneron. L'appellation donne un cadre mais le plus important est celui qui fait le vin. J'ai déjà été recalé à des certifications d'appellations. Pour comprendre ce qui n'allait pas, j'ai suivi une formation sur le sujet. Ce qui m'a frappé c'est que l'on y cherche systématiquement les défauts..."
Nous continuons avec les rouges
Bourgogne rouge
"Il s'agit de la dernière année où les vieilles vignes produiront sur cette appellation. Elles apportent davantage de tanins."
La bouche est nette. Elle exprime de la violette et de la confiture de mûre. Les tanins sont perceptibles et l'acidité rend l'ensemble fort sapide. C'est simple mais efficacement bon.
AB+/B-
Pommard village
"Il se situe juste à côté du Bourgogne rouge."
Le nez est impressionnant dans sa puissance et sa variété. Une belle expression d'aubépine, de bourgeon de cassis, de cassis et de mûre. Les goûts sont le reflet du nez. C'est gourmand, moins tanique. Un délice {b]TB-[/b]
Beaune 1er cru Montrevenot
"Nous sommes ici plus hauts, à 300 mètres d'altitude. L'exposition est plus au Sud. J'ai planté la parcelle en 1996. La vigne donne beaucoup de raisins."
La structure gustative est un cylindre pierreux. La toute finale laisse échapper une pointe confite. C'est austère en approche mais les toutes petites baies en finale donne judicieusement un relief complémentaire. Un délice. {b]TB-{/b]
- En terme de vinification de rouge, faîtes-vous des remontages ou des pigeages?
- 1 action seulement le matin et seulement si le chapeau durcit. Rien sinon. La cinétique de la fermentation est importante. La cuvaison dure au total 3 semaines. Et nous décuvons lorsque la fermentation redescend en intensité.
Pommard 1er cru Pezerolles
De la confiserie de cassis, de mûre et de violette. Le registre est semblable aux précédents vins mais avec un surplus friand bien plaisant. La matière est d'une densité accrue. Les tanins assèchent à peine et leur maturité leur permet une intégration parfaite. Un vin redoutable!
TB+/Exc-
- Vous nous avez partagé une nouveauté avec Morgeot. Avez-vous d'autres projets?
- Nous avons fait des acquisitions sur Nantoux. Nous allons y planter du Pinot, du Chardonnay et je vais essayer de la Syrah. J'aime beaucoup ce cépage.
Nous venons de dépasser la mi-journée et il faut nous mettre en route pour notre prochaine visite. Vous l'aurez compris, les échanges furent ici une fois de plus passionnants. Nous ne nous en lassons pas. Et le millésime 2017 est une réussite hautement qualitative.