Ce matin, je suis assez fou pour faire 400km, afin de voir un vignoble inconnu, maltraité, presque inexistant. Doit-on y voir, dans un aspect de pessimisme ambiant, une parabole de l’homme moderne? J’ai du plaisir à aller mettre mes pieds et mon verre dans un espace marginal, presque inconnu. Un exotisme près de chez soi… un secret que personne n’a gardé. Mieux qu’un secret à délivrer, se rendre témoin d’un oubli et le faire partager pour le devoir de mémoire et le plaisir de la découverte…A quelques kilomètres de Nuits-Saint-Georges, on arrive à Bonnencontre où une voiture de pompier du siècle dernier vous accueille.
Le Val de Saône abritait jadis plus 550 hectares de vignobles ! La moitié de ses habitants vivait du vin. Deux évènements détruisirent presque en totalité le vignoble : les moines de Cîteaux demandèrent à Philippe II, roi d’Espagne et comte de bourgogne, la permission d’arracher les vignes pour ne pas faire de l’ombre à la noblesse du vignoble de la Côte. Au début du XXème siècle, le phylloxera acheva cette opération destructrice.
Que reste-t-il aujourd’hui de ce vignoble ? Presque rien. Mais quelque chose. Combien de viticulteurs? Un seul ! Ah, le mythe du un contre tous qui nous met tout de suite en adoration…Non, non, ce n’est pas exactement cela. Derrière la résistance d’un homme se cache un parcours, une volonté presque folle et des vins atypiques.
Au 16ème, le cépage roi est ici…le melon de bourgogne. Une des intentions du domaine du Val de Saône est de rendre ses lettres de noblesse à ce cépage. Guy Bussière vinifie aussi une cuvée de chardonnay, un aligoté, un gamay rosé, un assemblage chardonnay/aligoté et un pinot noir que je trouve vraiment délicieux (je connais encore peu les autres vins du domaine). Tout est vinifié « sans soufre libre » et Guy Bussière a obtenu sans mal le label « Déméter ».
« Pas de désherbage dans les vignes. Vendanges entières, foulages immédiats, départ immédiat des fermentations, trois grammes par hectolitres de soufre absorbé lors des fermentations malolactiques », me confie Guy. Il insiste également sur le fait qu’il garde ses bouteilles tant qu’elles ne sont pas en état d’être bues (le pinot noir 2008 par exemple n’est toujours pas à la vente). « Tout est vinifié sans soufre libre, y compris les blancs. Pas de collage, ni de filtration. » Guy Bussière est allergique, ce n’est pas une métaphorique idéologique, au sulfite.
Les vignes du pinot noir ont une soixante d’années et Guy a eu la chance de les récupérer de son père, lequel n’utilisait aucun produit chimique à la vigne. Le Melon de Bourgogne est replanté depuis 2003. Le Chardonnay a une quinzaine d’années, l’aligoté quatre-vingt-dix ans.
Géologiquement, nous ne sommes pas dans la même configuration que les vins de la Côte. Ici, pas de calcaire, mais un sol 100% argileux.
Guy est installé depuis 1986. Il dispose de 1,8 hectares de vigne. Retraité, ancien ingénieur agronome, il a vécu des années de galère sans jamais changer de bateau et de trajectoire. « Je suis le dernier viticulteur à travailler dans un vignoble qui n’intéresse personne », me dit Guy.
Un vignoble qui n’intéresse personne, ça peut intéresser quelqu’un, non ?
Les vins
Aligoté 2007 : beau nez citronné, frais. Le volume est bouche est appréciable et l’équilibre patent.
Phenix 2009 (melon de bourgogne) : nez réduit. Bouche légèrement gazeuse, arômes de fenouil et d’asperges. A laisser dormir... comme un Phenix.
Arpège 2009 (chardonnay/aligoté) : nez réduit. Bouche harmonieuse sur les fruits blancs avec un côté floral.
Chardonnay 2009 : Nez fermé. Belle chair et beaux fruits. A suivre.
La vie en rosé 2008 : nez sanguin. Bouche réduite avec une belle matière. A attendre.
Le vie en rosé 2009 : nez mûr avec de la sucrosité. Bouche mûre, mais sur la réduction. A revoir.
Pinot noir 2007 : nez rose, floral. Bouche sur la pivoine avec une pointe d’orange. Très beau.
Pinot noir 2008 : plus de matière que 2007 pour un vin sur la violette et la pivoine. Bravo !
Pinot noir 2009 : vin bluffant par ses parfums floraux (toujours rose, violette, pivoine). Aurait pas mal de choses à raconter devant les grands des deux côtes bourguignonnes.
Un grand merci à Monsieur Bussière pour les 2 heures et des poussières qu’il m’a consacrées.
A noter que Guy distille à ses heures perdues ratafia et marc de bourgogne.
www.guybussiere.fr/