Le millésime 2021 au Claude Dugat
Toute première dégustation de notre séjour. Et pas des moindres. Quelques temps auparavant, Madame Dugat a en effet accepté de rouvrir les dégustations lorsque nous l'avons sollicitée. 3 heures de routes et un soleil à faire plisser les yeux et les paupières nous accompagne jusqu'à Gevrey. Notre hôte du jour, nous ne l'avions qu'aperçu, même si nous avions déjà pu brièvement converser avec lui. Cette fois-ci, c'est lui qui nous fait la dégustation. Lui, c'est Bertrand Dugat, le garçon de la fratrie. Celui qui s'affaire constamment aux vignes.
Nous commençons avec une triste nouvelle:
- Nous n'apercevons plus votre cheval dans la cour?
- Il est parti il y a 2 ans. Cela faisait quelques temps que nous ne le faisions plus travailler. C'était plutôt le cheval de mon père. Il avait ses habitudes avec lui.
- N'avez-vous pas songé à le remplacer?
- Il faudrait mais si je le fais, ce sera pour la plus grande partie du domaine. En attendant, mon ami Arnaud Mortet nous a conseillé un prestataire auquel il a recours. Nous l'avons testé et cela se passe plutôt bien. Il s'occupe par conséquent des grands crus et de la Marie.
Retour sur 2021
Nous passons dans la salle du fonds où sont encore entreposés les 2021. Le nombre de fûts visibles dans la pièce rappelle les faibles rendements de l'année.
- Pouvons-nous évoquer 2021 ? Une année difficile.
- Je vais être poli. C'est une année de m. On fait -30 à -40%. Il a gelé. Il a plu tout le temps et la pression du mildiou a été très forte. Après on ne va pas se plaindre, on reste rentable. Il y a pire lorsque l'on regarde le contexte international. Et le résultat me semble plutôt inespéré. Goûtons-le, nous ne l'avons pas encore descendu. Vous me direz.
Bourgogne rouge sur fût d'un vin.
Une verticalité conférée par des notes iodées et salines. C'est également vif. Très long, avec un petit grip calcaire. D'évidentes notes de sureau et de groseille. Revoilà la si plaisante finesse de la Bourgogne.
B-
- C'est sur des années aussi difficiles que posséder l'ensemble de ses parcelles sur Gevrey est appréciable. On peut surveiller, traiter et vendanger assez rapidement. Nous n'avons pas à courir jusqu'à Nuits, voire Beaune. 2021 est une année de petites maturités. Il fallait couper avant que cela ne devienne pire
. Nous ne mettons pas en cuve le vin que nous ne voudrions pas avoir en bouche.
- A quel moment récoltez-vous?
- On a commencé tôt. Nous avons été les premiers à faire le suivi des maturités. Et nous avons vendangé assez tôt. J'aime bien faire l'analogie à la cuisine. La date de vendange c'est désormais comme une cuisson à feu vif. Tout bascule vite. Avant c'était plutôt un plat qui mijotait, on pouvait vendanger jusqu'au 15 Octobre. Ce n'est plus le cas.
La place du Japon
- Il fait plutôt beau depuis quelques jours mais en arrivant, il nous a semblé manquer d'eau un peu partout. C'est assez sec.
- Par rapport à l'an passé, le cycle n'est pas autant en avance mais cette semaine ça a bougé.
- Nous avions été reçus par chacune de vos soeurs les 2 dernières fois. En 2019, c'était Laetitia, avant son départ pour le Japon. Elle y allait pour la première. Vous y avez repris les voyages depuis?
- J'avais réussi à la convaincre
. Non pas de voyage pour le moment.
- Le Japon a contribué au succès du domaine.
- Ils sont d'une très grande gentillesse, humbles et d'un grand respect pour les gens. C'est un peuple précis, sans exubérance. Un peu comme nos vins. Je ne dis pas que nous faisons du vin pour les Japonais mais ça correspond beaucoup à l'éducation que nous avons eue. Après je dis qu'il ne faut pas trop s'habituer aux bonnes choses
Nous sommes à chaque fois très/trop bien reçus là-bas. Tous les 2 ans c'est bien, pas plus souvent. Il faut garder le sens des réalités que nous pouvons avoir ici.
Gevrey Chambertin sur fût neuf.
Une matière enrobée, sans goût d'élevage. Le coeur est d'une grande netteté, toujours sur les fruits rouges vifs. Une nervure centrale sur la groseille vient élancer la bouche.
B+
- Un registre plus frais, moins mûr que les 3 dernières années. Le vin s'apprécie déjà.
- C'est comme 2017 qui se goûte très bien en ce moment, ajoute camarade Paul.
- Nous avons été étonné de faire si bon avec autant de quantité en 2017. Lorsque nous avions pu voyager, nous avons eu un très bel accord 2017 et poisson cru.
Continuer l'oeuvre des parents
Gevrey-Chambertin, 1er cru
"L'assemblage de Craipillot et Perrières. Les vignes ont été plantées il y a plus de 30 ans."
Une corpulence supérieure. Un premier temps sur une verticalité plus affirmée. Il s'étire ensuite horizontalement avec les secondes dans un filet de jus d'airelles. La salinité de la finale rend l'ensemble plus salivant encore.
TB-
- Filtrez-vous vos vins?
- Non jamais. Mon père disait que le dépôt fait partie du vin.
- En parlant de votre papa, vous êtes désormais seuls au domaine. La transmission n'a-t-elle pas été difficile au regard des prix désormais pratiqués à l'ha?
- Cela devient déraisonnable. Une ouvrée peut se vendre près d'un million d'euros par endroit. Les grands groupes s'intéressent toujours plus à la Bourgogne... Henri Rebourseau a été racheté par Bouygues il y a peu.
- Les prix de référence doivent s'en ressentir et venir alourdir les successions.
- La nôtre a été organisée il y a longtemps. Nos parents étaient prévoyant heureusement. Aujourd'hui notre père nous conseille régulièrement de regarder à acheter. Mes soeurs et moi sommes plutôt contents de la superficie que nous travaillons. Nous verrons.
Gevrey-Chambertin, 1er cru Lavaux Saint-Jacques
- Avec un t?
- Avec un x, l'origine du mot provient normalement de la voix.
L'entame est d'un fruit franc, sur une jeune fraise. De la groseille également. La suite est un peu plus douceureuse en pourtour mais plus complexe en son noyau: du poivre, du clou de girofle, de la muscade. La longueur est assez remarquable. La conclusion se fait sur une petite pointe noire en bout de langue.
TB+
Pendant que Bertrand nous verse le vin suivant, un invité de marque se joint à nous: son papa, Claude.
- Vous avez de la chance, mon père ne vient pas souvent
.
- Monsieur Dugat bonjour. Cela nous fait plaisir de vous voir.
- A moi aussi.
- Avec la levée des contraintes, vous devez être contents du retour des gens dans la région.
- Il y a un côté enchanteur à recevoir plein de monde. Nous avons la chance que des personnes de pays différents, de cultures différentes s'intéressent et viennent en Bourgogne.
Charmes Chambertin, grand cru
Un nez davantage marqué par l'élevage et la réduction. La bouche occupe la largeur sur un registre plutôt de fruits noirs et quelques notes de torréfaction. La matière et la consistance sont bien plus conséquentes.
TB
- A quel moment s'effectue la mise?
- En Février, lorsque le temps est plus calme. Le Bourgogne est embouteillé en Décembre.
Chapelle Chambertin, grand cru
Une géographie plus centrale en bouche, tant au niveau vertical qu'horizontal. Un espace également occupé sur la largeur mais une précision supérieure avec une extrémité plus acérée. Viennent se greffer en périphérie des notes de graines de coriandre et de noix de muscade. Les tanins procurent un toucher rocailleux d'un bel effet.
TB+/Exc-
- Avec le changement de génération, avez-vous cherché à apporter des choses nouvelles?
- A la sortie d'école, on veut toujours faire plein d'essais pour bouger. Mais il n'est pas nécessaire de le faire tout le temps. Nous avons surtout appris à nous simplifier la vie.
- Qu'avez-vous appris de votre père?
- A se lever tôt, à travailler beaucoup dans les vignes et pour le reste, intervenir au minimum.
Nous sommes alors invités par Claude à une dégustation qui nous était inédite:
- Vous voyez les gouttes qui ont séché sur les fûts, près de la bonde? C'est le vin sans son alcool, comme une petite confiture. Si c'est bon, c'est un bon signe.
Gevrey-Chambertin, village, séché
Nous en prélevons sur un fût de Gevrey village. De la gelée de groseille tant dans sa densité que son goût, très précise. De la jeune fraise. C'est immédiat, gourmand et d'une expressive concentration. Une véritable friandise. Un excellent signe donc. Et effectivement il n'y a plus une once d'alcool.
Les secrets de Griotte (?) et le patrimoine végétal
Griotte Chambertin, grand cru
Je pensais Chapelle bien situé dans l'espace gustatif. Griotte parvient à améliorer encore ce positionnement. Sa délimitation est sphérique au coeur des papilles et du palais dès son entame. La forme s'allonge en un cylindre parfaitement dessiné qui confère une deuxième attaque sur le devant. Peu de marqueurs d'élevage. Une sacrée densité. On parle pourtant bien du millésime 2021. Du concentré de cassis et de groseille. Une longueur et une finesse superlatives.
Exc
- Le fût neuf a déjà été absorbé de façon impressionnante.
- Oui alors qu'il n'y en a pas moins que sur les autres grands crus.
- Et il existe une fraîcheur incroyable que l'on ne met pas sur le compte du millésime.
- La parcelle est exposée à l'Est. Griotte est un peu plus froide. Les pieds reposent sur un nez de roche. Ce sont surtout les sols qui donnent ce caractère.
- Les vieilles vignes peut-être?
- Non pas forcément. Les vignes y ont en moyenne 60 ans. Nos pieds les plus anciens sont La Marie sur l'appellation Gevrey village. Ils datent de 1907. Et pour La Chapelle, ce sont des VV d'origine.
- Vous avez peut-être été touchés par le 161-49?
- Vous êtes au courant?
J'ai dû arracher 5 000 pieds, ça fait à peu près 0,5 ha.
- Ouch! Avec quoi allez-vous replanter?
- Nous allons faire des essais avec des portes-greffes du Sud qui supportent les différences de température importantes et les météos plus sèches.
Un aperçu de 2020
"Voilà pour 2021. Je vous propose de profiter du soleil et d'aller déguster quelques 2020 dehors. J'aime bien le faire dehors maintenant. La mise est assez récente." Nous retournons à l'extérieur, sur le banc en béton dans la cour.
Gevrey-Chambertin, 2020
On réalise d'emblée avec ce premier extrait de 2020 les différences qui peuvent exister avec 2021. Des fruits rouges à point, de la fraise foncée par le soleil, de la mûre. Une teneur en tanins vifs et saillants accrue. Une épaisseur qui procure une petite résistance entre la langue et le palais. Et une impression de ronce qui allonge encore cet vin très appétent.
TB
- Vous avez commencé la BioD en 2016, année plutôt terrible en pression de maladie. Où en êtes-vous?
- Marie et Chapelle sont retravaillés en bio depuis 2 ans. Et la tendance est de toute façon à produire en bio puisqu'un nombre croissant de produits phytosanitaires rentrent dans des classes plus nocives.
Gevrey-Chambertin, 1er cru 2020
Un effet placement ici aussi d'une grande justesse. Rien ne dépasse. La portance est à la fois aérienne et solidement assise. Des notes florales sur la pivoine, les pétales de tilleuls et des fruits rouges en large abondance: cassis, fraise, griotte.
TB+
- Au regard des millésimes solaires comme nous en avons eu récemment, n'avez-vous pas été tenté d'inclure de la rafle?
- Non, ce n'est pas prévu. Je trouve que nos vins sont suffisamment frais ainsi.
- Vous avez grandement réduit vos quantités de soufre. Sans verser dans le Nature, avez-vous été tenté de baisser davantage le niveau encore?
- Nous savons faire du sans-soufre aujourd'hui. Mais nous ne souhaitons surtout pas le faire. Nous devons aux gens qui boivent nos vins de pouvoir faire voyager nos bouteilles. Si l'on parle de projets. Mon rêve serait plutôt d'enlever complètement le tracteur et de remettre le cheval partout. Mais il faut pouvoir en maîtriser le prix. Un cheval ne peut pas travailler non stop sur une journée.
Charmes Chambertin, grand cru 2020
De la ronce et de la confiture de fraise en open bar. De la sève de cassis et de rose. Une texture déjà pâtinée et une rémanence XXL.
Exc
- Avec la faiblesse des volumes sur 2021, la tendance haussière des prix n'est pas prête de s'arrêter.
- Les prix sont devenus fous. Les domaines augmentent leurs prix mais il faut rester raisonnable. Les vignerons en Bourgogne vivent tout de même fort correctement. Après lorsque l'on voit les sommes auxquelles peuvent ensuite être revendues les bouteilles, c'est du délire. Il faudrait presque obliger les clients à boire leurs allocations sur place
. Et on ne compte plus les grandes fortunes qui s'intéressent à la région. Ce n'est pas prêt de se calmer.
Il est temps de partir. Première visite de notre séjour et nous avons été immédiatement plongés dans le contraste entre 2021 et 2020. Au Cellier des Dîmes, il est délicieux dans les 2 cas. Nous renouvelons nos immenses remerciements à Bertrand et Claude pour nous avoir partagé cette longue heure et leurs vins. Un flacon du domaine, ici ou ailleurs, est en effet très souvent la promesse tenue d'un petit moment de bonheur.