LPV75: 2019 au Domaine des Croix, un millésime frais?
Au moment où le confinement prenait fin et que nous projetions d’aller en Bourgogne, David Croix fut l’un des premiers vignerons à accepter de rouvrir les portes de son domaine. Nous nous présentons donc en ce Vendredi matin, première heure, rue Colbert devant le bâtiment jouxtant le « périphérique » de Beaune

. Ce que nous avons goûté du millésime 2019 jusqu’à présent est plutôt marqué par la chaleur qui a intensément sévi au Printemps et à l’Eté. Les vins du domaine allaient-ils présenter le même registre de fruits noirs?
Un cycle végétatif en avance en 2020
Nous commençons par prendre des nouvelles de l’année en cours:
- Comment se passe le millésime 2020? Des discussions que nous avons eues avec d’autres vignerons, il est précoce. Et de ce que j’ai pu suivre depuis Paris, il semble y avoir eu quelques pluies au milieu de ces longues périodes d’ensoleillement.
- Tout se passe bien. Les fruits sont là. Juin a été plus frais. Il y a eu de l’eau. Son seul défaut est qu’il est effectivement en avance. Nous avons un peu d’oïdium sur les Bressandes, mais rien de significatif. Une parcelle sur Charlemagne en a également un peu et en aura. Mais au regard de la très faible quantité, ça ne m’empêche pas de dormir. Le mildiou est lui inexistant.
- Quel est le défaut de l’oïdium?
- A l’extraction, ça donne des notes indésirables, du poivron notamment.
- Effectivement.
- En 2020, nous reprenons une parcelle de blanc: Saint Romain Combe Bazin.
- Comment l’avez-vous récupérée?
- C’est une rencontre via une personne qui vendange au domaine. Ce sera une location.
- Vos confrères évoquent une avance dans le cycle végétatif, jusqu’à trois semaines.
- Ca dépend par rapport à quel millésime. 2007 était précoce. 2011 également, l’été a été pourri jusqu’au 30 Août. En 2020, nous sommes partis pour le 25 Août si ça continue ainsi. Les blancs un peu avant.
- Avec des millésimes aussi chauds, comment gardez-vous de la fraîcheur avec la succession de millésimes chauds?
- Justement, vous allez goûter et me dire.
Retour sur le caniculaire 2019
Savigny-Lès-Beaune
« Il faisait précédemment la cuvée Bourgogne. Il ne reste plus que de parcelles sur le village. On peut donc le nommer ainsi. »
C’est floral, sur la violette. C’est plutôt frais et gourmand avec des notes de noyau de cerise. La finale est un peu plus amère/verte. Un vin d’une brillante énergie pour une entame de journée de dégustation.
AB+/B-
- C’est assez digeste. Il n’y a pas de notes noires, telle la réglisse.
- Lorsque je goûtais les vins, je goûtais de la fraîcheur malgré les mois de Juin et Juillet caniculaires. Je suis allé cherché plus de maturité du coup.
- A quelle date vendangez-vous finalement?
- Le 13 Septembre.
- Avec quel niveau de rendement?
- 32hl.
- Vous avez été tenté par mettre + de rafle? On dit en général que les millésimes mûrs le supportent bien.
- Non, moins qu’en 2018. Entre 30 et 60%.
Aloxe-Corton les Boutières
C’est un peu perlant. Il y a beaucoup de fruits rouges, de cerise burlat, de fraises, de framboise. Aucune once de noirceur non plus. L’équilibre est bien trouvé puisque fort digeste. Je ne me rappelle pas avoir goûté aussi bien ce cru.
B+
- Complètement égrappé en 2019. On fait en général 20% ou 0%. Les sols sont marneux et argileux. La terre est fertile, rigoureuse et profonde. Ce n’est pas le plus grand terroir viticole. Il nécessite par conséquent beaucoup plus de travail. On effeuille un peu plus. Les vignes ont 60 ans environ.
- Je ne savais pas que vous effeuilliez. Avec les chaleurs, n’avez-vous pas peur de la grillure?
- Nous ne le faisons pas, sauf pour celle-ci. En effeuillant tôt, au moment de la nouaison, pour caricaturer le schéma et simplifier l’idée: le fruit s’habitue au soleil.
Beaune village
« Sur fût d’un vin. C’est l’assemblage de la pointe argileuse des Tuvilains et de Blanchisserie qui est argilo-calcaire. Nous séparons désormais les Teurons qui étaient précédemment inclus dans cette cuvée. »
Un peu de perlant ici aussi. Un ensemble plus retenu dans son expression et sa longueur.
- Vos verres sont bien légers. Ce ne sont pas des Zalto. Je lis Grassl.
- Oui. Ils sont plutôt bien sur les pinots. Et ils sont moins chers

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Beaune 1er cru les Teurons
« Les plants sont dans le bas des Teurons. Les terres sont rouges avec des alluvions. Les pieds ont entre 50 et 60 ans. 100% VE. Nous en faisons 2 pièces»
De la mûre, un ton aérien soutenu par une franche salinité et une finale florale.
B/B+
- Le côté salin est étonnant. Ce n’est pas le premier 2019 que nous goûtons ainsi.
- C’est une des marques du millésime.
- Qu’est-ce qui vous a motivé à laisser toute la rafle?
- Même si ce sont de vieilles vignes, ce n’est pas le terroir le plus qualitatif. Les raisins sont en revanche tout petits. Ca en fait des vins solides. Et si l’on sait être délicat et doux avec la vendange entière, ça fonctionne bien. J’ai appris cela de 2009.
Des choix dans la vigne et le chai à rebours de quelques idées reçues pour conserver de la fraîcheur et des vins pourtant frais
Beaune 1er cru les Cents Vignes
On passe un cap dans la précision. Le pourtour et l’impact tactile du vin sur les papilles forment un cylindre horizontal qui s’élance dans son attaque. C’est d’une belle portance, avec de la cerise et de la groseille. La netteté faiblit légèrement en son milieu avant de se revigorer en finale.
B+/TB-
- A quel PH êtes-vous?
- A 4,08.
- On ne sent aucune lourdeur, c’est assez bluffant.
- Et on dépasse les 14°… En 2018 quelques maturités étaient bloquées. On a ramassé à 11,5, 12 par endroits. On a chaptalisé 2 cuvées.
- Vous avez peut-être un peu plus de CO2 en 2019 pour garder de la fraîcheur?
- J’ai tenté d’en garder plus.
- Et vous n’avez pas songé à récolter plus tôt?
- Comme évoqué, les raisins se goûtaient bien. Il n’y avait pas de raison. La date de récolte c’est un choix stylistique mais elle est aussi dictée par le climat. La fenêtre de tir se réduit chaque année. C’est un souci pour avoir la main d’oeuvre au bon moment. Après, je préfère gérer ça au botrytis ou à la sous-maturité.
Savigny-lès-Beaune 1er cru les Peuillets
« 20% de VE. Les terres ont un peu de limon et elles ont un alluvion qui arrête l’eau. La maturité y est précoce. »
Le nez est parfumé et évanescent. La bouche a un côté bonbon anglais à la banane avant que la fraise vienne dominer le tout. Les tanins tapissent bien les joues. Un peu de temps sera nécessaire pour les assouplir.
B-
- Avez-vous changer votre vinification avec un 2019 plus chaleureux?
- Nous avons fait beaucoup de pigeages, jusqu’à 3 fois par jour.
- Ah oui tout de même.
- Piger ne rime pas forcément avec dureté. Il est important d’avoir des raisins mûrs et de les traiter avec douceur à la réception. Il faut absolument éviter les tanins des pépins. Ce sont eux qui donnent un toucher court, abrupt et dur. Il faut piger pour apporter de la structure.
Beaune 1er cru les Tuvilains
« Sur fût de 2017. Les vignes ont été reprises en 2016. Elles ont 80 ans. Nous faisons la cuvée pour la première fois avec de la vendange entière. »
C’est dense, salin, texturé en finale. L’attaque est arrondie, tendre et gourmande. La persistance se décline sur des fruits rouges grenat.
TB-
- Soutirez-vous vos vins?
- Jamais pendant l’élevage. Je fais tout ce qu’il faut pour ne pas le faire. Certains le font systématiquement après malo pour assainir leurs vins, pour lutter contre la réduction. Celle-ci provient souvent d’un mauvais équilibre à la vigne. Ne pas soutirer permet de garder l’éclat du fruit en conservant les vins sur lies. Par rapport aux terroirs de Beaune, il n’y en a pas besoin. Et puis au passage ça fait moins de boulot

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Beaune 1er cru les Bressandes
« Sur fût de 2016. J’ai pigé 3 fois par jour en coeur de cuvaison. Le sol est en grès avec une matrice argileuse. En profondeur, il est plus calcaire.»
Il existe un point de conversation entre les fruits et la droiture du vin qui confère un soutient haut, un échange où l’un se répond à l’autre. L’impression de consistance est renforcée par des tanins poudrés.
TB-
- La parcelle est en hélice d’avion. Elle est très pentue, avec des dévers. C’est très dangereux. Je me suis déjà retrouvé sur 2 roues avec mon tracteur. J’ai failli y passer. Il fallait que je sois debout, penché à contresens. Il y a une partie à cheval. On va l’étendre.
- Où en êtes-vous de la mise de 2018? Un de vos confrères l’a un peu retardée pris qu’il est par la précocité de 2020.
- Elle est juste finie. Un élevage long épure les vins. J’ai appris de 2003 et 2009.
- Nous voyons des bondes en bois au lieu des bondes en silicones.
- Ce sont pour les fûts qui ne contiennent plus de vin. Ils sont protégés avec un peu de soufre. Le silicone est sensible au soufre. Pas le bois.
- Avec l’importante variation de rendements entre 2018 et 2019, comment avez-vous géré votre parc?
- Les très vieux ont été libérés. Je ne les revends pas.
De l’importance du soufre naturel
Beaune 1er cru les Pertuisots
« Nous atteignons 14,4-14,5°. »
Une constitution plus large, plus dense et plus séveuse. Elle ne tombe pas dans la lourdeur puisqu’un filin horizontal acidulé sur la groseille vient trancher la bouche et l’étire vers le devant. Redoutable.
TB
- Nous avons déjà échangé sur le Bio. C’est plus facile sur une année chaude en principe.
- Oui. Après je ne suis pas certifié. Il y a 2 millésimes non bio, notamment celui attaqué par la flavescence dorée. Je suis le premier convaincu par le bio mais il y a des points négatifs pour lesquels les solutions ne sont pas encore satisfaisantes: la fréquence des passages que cela implique, notamment pendant un Printemps humide. Ca tasse les sols. Et il y a l’impact du métal lourd dans la terre.
Beaune 1er cru les Grèves
C’est le premier de la série que je perçois plus mûr, un peu plus représentatif de l’idée que l’on avait du millésime. L’accroche sur le graphite abonde en ce sens. Il n’en demeure pas moins d’une belle facture.
TB-
« Cette parcelle mûrit vite. Même vendangé à 12, il y a toujours cette sucrosité. »
- Où en êtes-vous du recours au soufre?
- Je le limite au maximum.
- Peut-être à la réception de la vendange?
- Non. Même pas à la réception. Je commence à en mettre seulement pour les toutes premières cuvées à la fermentation. Rien pour les suivantes et rien depuis. Actuellement, 80% des vins n’ont pas encore vu le soufre. Pas de SO2 après la malo. J’en mettrais probablement un peu avant les vacances. Et il y en aura au soutirage et juste avant la mise. Il faut en mettre seulement lorsque le vin en a besoin. Et je n’en mets qu’après avoir confirmé par plusieurs dégustations.
- A quel niveau arrivez-vous?
- Nous avons baissé à 30-40 au total, avec des niveaux de libre similaire à ce que nous avions avant.
- C’est Jean-Marc Vincent et Thomas Bouley qui utilisent le soufre de mine.
- Je sais

. Je partage la machine avec eux et Pascal Roblet. Pour moi ce soufre est un changement majeur. Il y a eu le travail des équilibres dans les vignes et il y a ce soufre. La pureté des fruits est plus grande. Ca ne durcit pas les vins.
Corton grand cru la Vigne au Saint
« Les vignes sont au pied du coteau, exposées Sud Ouest. Nous sommes à 30-35% de VE. »
Le nez pinote délicleusement. On perçoit également un peu de lie. En bouche la matière est poudrée et l’épaisseur confortable. Les tanins sont fins et la texture cacaotée.
TB+
- Comment ressentez-vous l’impact de la période que l’on traverse ? C’est plutôt compliqué pour la restauration lorsque des cavistes ont plutôt bien marché.
- Les marchés demandent toujours plus de vins. Les Etats-Unis sont en stand-by.
- Quelle part représentent-ils dans vos ventes?
- C’est 10 à 12% de notre chiffre d’affaires. Beaucoup de restaurants ne rouvriront pas. Et lorsque vous ajoutez la taxe Trump par dessus, ça ne facilite pas les choses.
Corton grand cru Grèves
« Des pieds orientés Sud Est. Les raisins sont complètement éraflés. Nous avions mis de la VE en 2018. Ce vin nécessite régulièrement 24 mois d’élevage.»
C’est plus strict et sérieux en bouche. Des aspérités caillouteuses, crayeuses. L’austérité possède ici un aspect noble dans la hauteur de bouche qu’elle prend.
TB-
C’est un David Croix très loquace en explications que nous avons eu. Nous le remercions pour le temps qu’il nous a accordé. Ses 2019 sont une évidente réussite. Il a pourtant récolté plus tard, pigé davantage et les degrés alcooliques sont plutôt élevés. Les terroirs n’en demeurent pas moins très lisibles. Ils n’ont pas été écrasés par le millésime. Et il n’y avait pas cette impression que nos papilles allaient saturer. Impressionnant. Une des très belles dégustations du séjour. Allez hop, direction Volnay pour la découverte d’un vigneron, lui aussi remarquable.