Il y a 7 ans, Pierre-Yves Cainjo écrivait:
> Pour avoir eu le bonheur de goûter fréquemment les
> millésimes Krug, les derniers sont tous très
> différents et une dégustation parallèle de
> plusieurs millésimes est toujours passionnant,
> afin de percevoir les différents styles de
> millésimes. Krug a notamment commercialisé un
> coffret baptisé Les Contrastes avec un Krug 1989
> et un Krug 1988, deux millésimes totalement
> opposés quoique réunis par l'inimitable style
> Krug, 1989, riche, chaleureux, opulent,
> extraverti, sensuel et 1988, introverti, un peu
> strict, légèrement austère (celle des très grands
> vins), très droit, minéral, Rémi Krug, dit "un
> sillon aussi droit qu'interminable" à l'opposé du
> 1989 qui remplit l'espace, à gauche, à droite,
Je viens de (re)lire avec grand intérêt cet article de PYC. Comme j'ai dégusté récemment 88 et 89, j'ai eu envie de remonter ce passage.
1988 est exactement comme le décrit Pierre-Yves avec les mots de Rémi Krug : un sillon aussi droit qu'interminable - et aussi avec ses propres mots : strict, l'austérité des grands, très droit (c'est rien de le dire) et minéral. Je n'avais jamais bu un champagne aussi pénétrant; le seul que j'arrive à rapprocher un peu était le Clos des Goisses 1990 dans l'aspect "droit et interminable" un peu sauvage mais il était peut-être un peu moins pur en bouche.
> 1988 reste lui le "sérieux de la bande" mais
> saura se dévoiler à qui aura l'envie, la patience
> et l'intelligence de dépasser cette apparence austère.
Mais ce n'est pas si facile. Cela rejoint un autre débat qui a animé LPV récemment sur l'évolution du champagne et sur l'année 96. Il semble que 7 années ne sont pas parvenues à arrondir ce 88. Il faut donc le prendre comme il est et lui offrir une cuisine à la hauteur pour avoir une chance de l'apprécier. Je ne suis pas sûr que 7 années de plus y feraient grand chose, mais je n'imagine pas qu'elles lui feraient le moindre mal non plus.
> Un vin d'une droiture, d'une pureté merveilleuses.
> [...] austère (dans un acception positive), sérieux,
> pur et droit.
Rien de changé.
A part sur ce détail selon comment je l'interprète :
> 1988 est le prodige, timide, qui préfère ne rien dire.
Si je prends cela au pied de la lettre, je suis tenté de dire qu'il s'est *largement* ouvert pendant ces années. Il est peut-être resté très rigide et monolithique, mais il impose son point de vue sans timidité!
Donc la trame n'a pas bougé, mais l'expression, elle, est devenue plus abordable.
Résultat : de très grandes sensations. Pas la plus grande émotion pour autant mais là je chipote, parce que je le compare inévitablement à l'autre :
> 1989 totalement à l'opposé est aussi sensuel, opulent,
> charmeur [...] 1989 est plus turbulent, pas forcément
> moins doué mais on l'entend plus, trop parfois, il
> demande à être encadré.
Lui semble s'être au contraire assagi depuis les commentaires de PYC., il semble avoir atteint sa parfaite maturité. C'est un monument mais qui ne s'impose pas comme l'autre. Je le comparerais à un joyau, il contient un monde complexe qui s'exprime avec une précision angélique doublée d'une complexité diabolique. Un cocktail remarquable. Mais il se laisse visiter, explorer, tel un monde intérieur aux reflets infinis.
Sa turbulence aurait donc été transmutée et le papillon sorti de son cocon est tout à la fois extrêmement civilisé et infiniment expressif. En revanche, les mots de Rémi Krug collent toujours parfaitement : il rempli l'espace. Un sentiment de complétude et de perfection brille dans mon souvenir.
C'est ma plus belle expérience en champagne, confirmée quelques mois plus tard avec la même perfection.
- Merci à F&S (si il leur arrivait de me lire) pour ces moments merveilleux où les vins cités ci-dessus n'étaient que deux parmi les merveilles dégustées et où la cuisine brillait tout autant.
- Ces considérations peuvent être mises en parallèle avec le débat sur la vocation ou non des champagnes à vieillir. Il me semblait à moi que Rémi Krug lui même revendiquait que ses vins étaient faits aussi, selon les millésimes, pour traverser les années, y-compris en bouteille et dans nos caves (comme dans une moindre mesure Bollinger sur les G.A. ou V.V.F.) et j'ai été surpris que P-Y.C. qui les connait mieux que moi affirme le contraire. Je ne souhaite cependant pas entrer dans ce débat-là car il existera toujours un clivage à ce propos et c'est bien ainsi.