Champagne LARMANDIER BERNIER Vieille Vigne de Cramant 2006
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Degorgement 06/12/12. Extra Brut.
Apres une premiere experience mitigee la semaine derniere sur Terres de Vertus 2008, j'ouvre cette bouteille de Vieille Vigne de Cramant 2006, en anticipant consciemment cette fois-ci un possible besoin d'aeration, voire de carafage (quoique pas encore convaincu par ce processus pour un mousseux) mais sans pour autant le faire, ni lire d'autres commentaires ou compte rendus sur cette bouteille, sur LPV ou ailleurs afin de savoir s'il est de bon ton de faire sauter le muselet. Je decide donc d'ignorer sciemment une situation (le besoin potentiel d'aeration de mon champagne) qui peut etre eventuellement nuisible au plaisir de mes papilles, lui refusant meme peut etre encore sa potentielle existantialite - "Mais le champagne, si je l'aere, il va perdre ses bulles! Et le Pop du debouchage alors?" comme quoi les prejuges ont la carapace dure. A posteriori, un premier signe avant courreur que cette degustation ne sera pas aussi "smooth" qu'un Paris-Londres en 1ere classe sur Eurostar.
Face a mon semi-desarroi datant de la semaine derniere, Eric B me rapporte que 2-3 ans apres degorgement, Terres de Vertus se bonnifie nettement; je m'imagine alors que cela est peut etre egalement le cas sur cette bouteille qui trone devant moi, sachant que ces 2 flacons de Larmandier-Bernier ont ete achete en meme temps, entreposes cote a cote sur leur petit casier, et remontes de la cave au meme moment. Bref, un destin partage qui renforce encore plus a mes yeux leurs liens de parentes et - l'inconscient reprenant le dessus - leur maniere similaires de reagir face a une meme situation. Cependant, nous ne sommes que 2 a la maison et la raison ethylique a su me faire separer les 2 siamoises pur produit de mon petit esprit, afin de repondre avec raison a notre besoin ce soir la.
Vaillante et ephemere survivante a mon actuelle debouchonnite aigue, Vieille Vigne de Cramant 2006 est a la fraiche au frigo, mais je me dis qu'il vaudrait mieux la descendre a la cave - ayant fait le deuil de sa feu frangine - puisque je pense au fond de moi qu'il vaut mieux attendre pour lui rendre vie, ou la descendre, a chacun son point de vue...mais je decide soudainement de l'ouvrir, allez comprendre pourquoi, en etouffant sereinement cette part de moi garante de mon self control.
Je deroule alors mon petit carnet de notes, parfois chiantes a lire car pas vraiment vibrantes, et je commence comme a mon habitude:
Oeil: Robe tres claire au vu de l'age du champagne, fines bulles.
Nez: A l'ouverture, un nez patissier, sur le pain grille, les amandes et les pistaches, dans une impression de fraicheur. Des notes de tabac froid se cachent derriere une vinosite discrete. Un nez qui ne me transporte pas, mais attendons la bouche tout de meme...
Bouche: Un champagne vivant, ou l'on sent quelque chose grouiller, des soubressauts, avec des notes patissieres en arriere plan, dans une enveloppe acide sur une finale un peu courte...bref un CR classique au possible (qui a dit chiant, la bas?) comme j'en fait histoire d'enrichir la base de donnees...mais tres rapidement, je me retrouve face a un vin qui va nous en faire voir de toutes les couleurs, et qui changera de caractere de maniere notoiremment etonnante au fil de la bouteille. Avec le recul, il me vient alors l'image d'
une enfance turbulante: des bulles fines, mais drolement agressives en bouche, dans une vivacite debordante d'energie, un peu trop piquante voir presque decapante, des bulles qui agissent sur ma langue comme une mitraillette de Messerschmidt en rase campagne francaise au debut des annees 40.
2/
La crise d'adolescence: Et la, patatra: 10 minutes apres ouverture, la bouche est envahie par une amertume desagreable, sur des agrumes agressifs...devant les attentes que suscitent cette passion du vin, et apres un debut de bouteille correct mais un peu houleux, vient un sentiment de deception, voire meme d'irritation, encore 40 ou 50 € de foutus en l'air, apres la semi-bonne Terre de Vertus 2008 quelques jours avant....la desillusion s'estompant, certainement soulagee par les Petits Mouchoirs de Guillaume Canet faisant passer mon esprit a autre chose, ma flute quasi pleine restera donc sur la table basse pendant presque 3/4 d'heure, avant qu'un reflexe de pure curiosite - couplee peut etre a un gosier asseche par la "malediction Larmandier-Bernier" qui commence a fleurir dans mon esprit, "franchement je ne comprends vraiment pas tout cette litterature face a ce jus d'agrumes desagreable" - me pousse a re-gouter l'objet de la deception liquide encore (un peu) fraiche dans la flute et beaucoup plus dans mon esprit...
3/ ...et re patatra, propulsion surprenante et presque violente dans
l'age adulte, avec le plaquage subtil mais ferme d'un raisonnement reflechi et structure, convaincant et invitant a l'echange, a la discussion aboutie, constructive et serieuse: le miracle de l'esprit...et de l'evolution, exit l'ado turbulent, place a l'adulte reflechi: le vin s'est metamorphose, l'acidite est integree, les agrumes et leur amertume se sont assagis, un cote vegetal ressort dans une bulle domestiquee...tout ce qui m'est apparu difficile a apprehender a l'ouverture, voire franchement repoussant 10 minutes apres, tout ce qui etait difficulte s'etait comme evapore, ou plutot avait tourne le dos au cote obscur de la Force, pour revenir encore plus fort, plus attrayant, voir seduisant comme jamais, de retour parmi le monde civilise, et se dote d'un aplomb et d'une impressionante maitrise de soi, transpirant de serenite. "Je sais ce que je fais, d'ou je viens, qui je suis" me dit la Vieille Vigne, moi qui suis pour ainsi dire a l'instant T aussi paume qu'aux commandes d'un 747 que je dois manoeuvrer en bout de piste.
Bref, une bouteille qui a sucite emotionS chez moi, qui n'a cesse de me surprendre tout au long de sa degustation et qui, dans un dernier pied de nez agent-provocateur, s'est termine sans meme que je m'en apercoive, le dernier verre esperé ne laissant que quelques goutes s'echapper du goulot. Vieille Vigne a rendu l'ame sans dire au revoir, la classe de son evanescence faisant echo a la distinction qu'elle offrira a mon palais dans le crepuscule des dernieres larmes petillantes roulant le long de la flute. Un depart aussi desarconnant que les impressions qu'elle aura laisse au cours de notre dialogue avec elle...comme une bonne intrigue, elle est la ou on ne l'attends pas, et j'aurai souhaite ne pas arriver si tot a l'epilogue, dont j'ai une derniere fois bien sciemment (ou inconsciemment?) choisi d'ignorer l'existence: la boucle bouclee?
J'aurai pourtant aime entendre "I'll Be Back" du goulot de la Vieille Vignator.
Une bien belle experience - des bouteilles qui me donnent du fil a retordre comme ca, j'en redemande - dont je retire les lecons suivantes:
- Tantot docile et lisible, tantot agressive et jouant la confrontation pure et sans merci, une bouteille qui m'envoie a 6000 tours, apres m'avoir laisse tombe en panne d'essence, bref un "quelque chose" (Un quelqu'un chose?) qui me fait me sentir vivant, certes en me bousculant, mais je lui pardonne bien volontiers, voire la remercie meme: je touche peut etre du doigt une des raisons de cette passion.
- Le plaisir est amplifie face a la difficulte, voire aux soubressauts emotionnels provoques, et ce meme si ce n'est certainement pas la meilleure bouteille de champagne qu'il m'ait ete donne de boire, ni meme la meilleure bouteille tout court de ces 10 derniers jours.
- Le plaisir se transforme, et l'on depasse meme sa signification initiale pour arriver a comprendre une bouteille qui reflete instantanement, tel un mirroir, ce que je suis ou ce que je ressens a un instant precis. Si tout ne fut pas agreable, ce flacon a su me faire vibrer dans l'emotion, et m'a renvoye une image de moi meme en instantane.
- La carafe vient de me faire la magistrale demonstration qu'elle a plus que jamais sa place avec un champagne digne de ce nom. Peut etre la sortirai-je en connaissance de cause la prochaine fois, ou peut etre pas...
Ce qui compte, c'est bien le voyage, pas la destination. Ce proverbe gitan tappe furieusement dans le mille.
Edit: Orthographe titre