Attention : pavé
Comme chaque année, nous voilà réunis, nous les biodynamistes du webvin, pour un stage de remise à niveau en rationalité. Le stage nous permet de regagner des points. La règle c’est que moins t’as de points, plus le webvin scientifique est sévère avec toi. Autant dire que t’as intérêt à pas rater le stage.
Heureusement le prof est sympa, il aime nos vins, et je crois qu’il nous aime bien aussi, on prolonge les cours parfois tard dans la soirée.
Le thème de cette année, c’est le langage. Le comité scientifique du web (dirigé par David Cobbold) pense que le nôtre est flou, ésotérique, inconsistant, bref que c’est un charabia infâme. Il faut qu’on apprenne à parler rationnellement.
Un des points qui énerve particulièrement, parait-il, ce sont les références approximatives faites par mes collègues chevelus et moi-même à la physique quantique. Donc au programme cette année : principes mathématiques de base de mécanique quantique, perspectives ouvertes en termes de vision du monde, ce qu’on peut dire, ce qu’on ne peut pas dire dans le cadre d’une pensée rationnelle.
Je peux pas tout vous expliquer en un post mais pour ceux qui seraient intéressés je peux passer les cours en MP.
Hier la discussion avec le prof s’est prolongée très tard. On en est venu à parler des idées développées par Heisenberg, un des fondateurs de la mécanique quantique, dans son manuscrit de 1942, publié après sa mort.
En deux mots pour ceux qui ne connaissent pas, Heisenberg a formulé le fameux « principe d’incertitude ». Ce principe énonce, en termes mathématiques, qu’une particule de matière, comme par exemple l’électron, est une réalité dont les propriétés (vitesse, position dans l’espace …) ne sont que « statistiques ». Elle est une « potentialité » ou une « possibilité ». Au niveau de l’infiniment petit, il n’y a plus d’objets tels que nous les imaginons, et tels que la science elle-même les imaginait. Il y a une réalité totalement contre intuitive, qui s’exprime sous la forme d’une probabilité.
C’est dingue non ?
Et ça encore c’est qu’un aspect de la mécanique quantique je vous en passe d’aussi étranges.
Les conséquences de la mécanique quantique en termes de vision du monde sont considérables. Einstein, Bohr, Schrödinger, Heisenberg et compagnie, ont consacré beaucoup de temps, dans les années 1920/1930 à réfléchir aux perspectives qu’elle ouvrait sur notre façon de penser la science et le monde en général.
Nous les biodynamistes newage et barbus, vous pensez bien que ça nous fascine. Mais attention, on est dans un stage de rationalité, pas question de partir dans n’importe quelle interprétation, le prof y veille. On est là justement pour apprendre à parler rationnellement.
Donc, dans son manuscrit, Heisenberg fait remarquer que le langage courant est flou.
Jusque-là rien de bien nouveau pour nous. Nous savons bien que les mots n’ont jamais un sens parfaitement délimité. Un bon exemple est le mot « minéralité » Celui qui l’emploie pense qu’il exprime une pensée claire, pourtant « minéralité » est connecté à différentes « régions de réalité » pour reprendre une expression de Heisenberg. Pour certains, « minéral » signifie qui a des arômes qui évoquent le règne minéral, pour d’autres ce sera plutôt une sensation gustative, liée pour certains à la structure, pour d’autres à l’acidité...etc….
Les résonances multiples des mots constituent la richesse du langage ordinaire.
Mais en certains domaines, on a besoin davantage de précision. L’humanité a donc aiguisé certains langages. Les langages aiguisés perdent en richesse, en nuances, en connexions, ce qu’ils gagnent en clarté. Le langage scientifique, qui emprunte aux mathématiques, est un langage très aiguisé, dénué de zone de flou, parfaitement clair.
A chaque langage correspond un mode de pensée ; on apprend toujours à parler et à penser en même temps.
Au mode de pensée statique correspond le langage aiguisé des sciences.
Au mode de pensée dynamique correspond des langages moins aiguisés qui permettent des connexions variées sur différentes zones de réalités.
Heisenberg donne l’exemple suivant :
Pour connaître un territoire, vous pouvez le survoler en avion et le cartographier avec une très grande précision. Vous parviendrez ainsi, selon une démarche scientifique, à une connaissance « exacte », mais statique.
Une autre façon de connaître la région, c’est de l’habiter, de s’y promener, de la ressentir. C’est une forme de connaissance moins précise mais plus « riche », plus dynamique.
Heisenberg dit que :
Dans la forme de pensée statique, on a besoin de clarté parce qu’on explique.
Dans la forme de pensée dynamique, on a besoin de toute la richesse des connexions du langage, parce qu’on interprète.
Le cours se terminait à 17 heures mais la discussion s’est poursuivie bien au-delà, très tard dans la nuit. Finalement on s’est quitté, le prof et nous, d’accord sur l’essentiel.
Nous sommes des paysans, en prise avec des êtres vivants interconnectés, une météo imprévisible etc…un monde complexe. L’agriculture qualitative que nous menons dans nos domaines ne peut pas être guidée uniquement par une pensée statique. La « carte » des territoires que nous fournit la science, pour reprendre l’image de Heisenberg, a une échelle bien trop insuffisante. C’est une carte routière, même pas une carte IGN au 25.000 ème.
La biodynamie au contraire représente un langage non aiguisé, adapté à une forme de pensée dynamique, qui peut nous aider à accéder à des régions de réalité qui ont probablement plus à voir avec l’art, fut-il très mineur ou pris dans le sens d’artisanat, qu’avec la science.
Thierry