Va-t-on assister à un bouleversement de la vitiviniculture dans les années à venir qui sera dû aux changements climatiques et notamment au phénomène de l’augmentation de la température ?
Entre évolutions et modifications majeures, tout est affaire de prévisions, basses ou hautes, optimistes, pessimistes, mais il est très clair que la hausse des températures amorcée au milieu du XXième siècle et qui s’est accentuée brutalement à partir du milieu des années 1980 aura des conséquences sur la cartographie des vignobles, ainsi que sur les caractéristiques de ceux existants.
Entre disparition de certains vignobles, naissance d’autres, évolution de l’encépagement de certaines zones, modification de l’échelle des crus, il semble intéressant de se pencher sur cette question.
Les prévisions d’augmentation de la température, entre 1,1 et 6,4 degrés à la fin du XXIième par rapport aux années 1980/1999 ont cette amplitude liée strictement à l’évolution de l’émission des gaz à effet de serre et dépend donc directement des politiques mises en œuvre mondialement.
Dans cette incertitude, une chose est certaine cependant : l’augmentation des températures sera plus importante sur les terres émergées aux latitudes élevées de l’hémisphère nord. Quant à l’évolution des précipitations, c’est encore plus flou, même s’il y a consensus sur une forte diminution dans les régions méditerranéennes.
Deux autres éléments à prendre en compte dans la modification future de la cartographie et de la caractéristique des vignobles sont celles liées à des facteurs technico-commerciaux (possibilité de faire pousser de la vigne partout dans la mesure d’un apport scientifique et technologique) et à l’évolution de la législation (comme par exemple la libéralisation de plantation de certains cépages à l’horizon 2011) qui pourrait localement produire des modifications notables. Mais ces deux facteurs ne seront pas pris en compte dans cette étude.
La vigne propice à la production de vin (vitis vinifera en Europe et les variétés américaines et asiatiques) se développent dans des conditions optimales et qualitatives dans des régions qui possèdent une moyenne annuelle des températures comprise entre 10 et 20 degrés. (cf. travaux de Jean Ribéreau-Gayon et Emile Pénaud 1971). Cela correspond pour l’hémisphère nord très schématiquement à une bande s’étageant entre le 30ième te le 50ième parallèle et entre le 30ième et 40ième pour l’hémisphère sud. Cela doit cependant être relativisé par l’effet de l’altitude de certains vignobles qui leur permet de rentrer dans ces limites de température, même s’ils sont hors de ces « bandes » géographiques. (Comme par exemples certains vignobles argentins, cf. l’article de Claude sur Yacochuya).
Dans l’hémisphère nord, le gradient de température de 1 degré se traduit par une différence en latitude de 200 kilomètres et 150 mètres en altitude. Si l’on retient cette loi, la géographie des vignobles, au regard des prévisions de modifications climatologiques, va être modifiée à la fois par une expansion dans certaines zones et un retrait dans d’autres.
En prenant une hypothèse d’une hausse de 5 degrés à l’horizon 2100 par rapport à la moyenne de la fin du XXième selon les modèles du GIEC (groupe intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du climat – 2007), la limite de la culture de la vigne pourrait se déplacer de 1000 kilomètres vers le nord, repoussant ainsi celle-ci vers les 60ième parallèles, d’autant plus que le réchauffement de ces zones pourrait être bien plus important que celui de la moyenne mondiale.
Ce mouvement s’est déjà amorcé en fait si on se réfère aux travaux de Grégory Jones (2007) avec un transfert de l’ordre d’une centaine de kilomètre en moyenne depuis le milieu du XXième siècle. (Angleterre, Belgique, sud de la Hollande, Tasmanie, certaines zones de Nouvelle Zélande).
De la même façon, il est légitime d’envisager une remontée en altitude de la limite de la culture de la vigne de 700 à 800 mètres. Mais cela risque de favoriser l’émergence de vignobles de grande qualité, par des caractéristiques propres aux zones de montagne, comme par exemple une forte amplitude thermique journalière entre minima et maxima, une excellente insolation due à la pente, etc.
Cela pourrait bien aussi, dans un futur proche, modifier la structure de la hiérarchisation des crus à l’intérieur d’une même zone, comme par exemple en Bourgogne avec l’étagement des crus.
Si la hausse des températures permettra une expansion vers le nord (dans l’hémisphère nord), il est à prévoir une disparition de vignobles situés à la limite chaude actuelle. Et paradoxalement, si la vigne est une plante méditerranéenne, on peut penser que sa culture ne sera plus possible dans son domaine originel à moyenne échéance. Les vignoble méditerranéens, mais aussi californiens de Nappa et Sonoma, comme certains autres d’Afrique du Sud et d’Australie sont donc menacés : trop forte température, déficit hydrique et absence de dormance hivernale en serait les principales causes. Le vignoble pourrait être réduit dans ces zones à quelques aires côtières ou d’altitude. (Mais cela ne tient pas compte bien entendu d’innovations technique ou de modification de la législation comme l’autorisation en France de l’irrigation ou de l’arrosage).
De la même façon, loin de l’adoucissement climatique de l’océan, les vignobles continentaux seraient menacés, devenus trop chauds et trop secs.
Voilà donc rapidement résumés les enjeux majeurs des années à venir pour les vignobles, questions qui ne pourront être occultées : nous allons forcément vivre des changements. Les projections de cette étude sont certes pessimistes, établies à partir d’une modification de 5 degrés, mais ce n’est cependant pas le scénario le plus catastrophique.
D’autres questions restent posées, comme la modification de l’encépagement des appellations, la modification de la typicité, l’émergence de nouveaux crus très qualitatifs et la baisse de qualité de certains autres.
Il peut paraître étonnant, voire choquant, que devant l’imminence de ces changements peu de réflexions, peu de travaux, peu de prises de conscience et de position des principaux acteurs ne s’initient : il en va hélas toujours de même face aux grands enjeux : il n’y a qu’à voir comment le monde réagit face au problème énergétique ou face à la déforestation : tant qu’il y a à tirer, tirons …