Bonjour tout le monde.
Franck est revenu dans le débat, je m’en réjouis. Parce que c’est un débat passionnant avec bien plus d’implications qu’on pourrait le croire.
Trois vignerons interviennent ici avec talent. Je pense que c’est une chance pour le lecteur. Ce sont des pros, nous des amateurs. Ils sont dans les vignes, nous pas. De plus, eux, comme des dégustateurs expérimentés comme Philippe Barret, Luc Javaux, Laurent Lalouette… ont plus d’expérience de dégustation que je n’en aurais jamais.
Donc, je ne me permettrai pas d’aller sur un terrain que je connais moins bien qu’eux. Les vins bio sont ils meilleurs que les non bio ? Je ne peux pas répondre à cette question. Les bio-d ? Je peux encore moins y répondre. Ce que je sais, c’est que j’ai des vins bio dans ma cave et que se sont de bons voire de grands vins. Ils vieillissent bien, sont complexes, équilibrés, longs… Seulement j’ai aussi des vins non-bio qui sont complexes, équilibrés, longs…et vieillissent bien (pour le moment).
De toute façon, je m’en tape. Ces vins, à mon sens, utilisant (en théorie en tout cas) moins d’intrants toxiques et rémanents sont plus sains pour la santé et surtout participent moins à la dégradation de l’environnement (moins, pas totalement. Pour le totalement, arrachons les vignes et laissons faire la nature). C’est bien suffisant pour moi. Ca devrait l’être pour tous. Je ne comprends pas le besoin de mettre en avant l’argument gustatif ou sensoriel. Les arguments environnementaux et sanitaires devraient être nécessaires et suffisants.
Ceci étant dit, je me permets de redire pour la nième fois, mais de façon plus concise ce qui me dérange fortement dans ce débat.
C’est l’amalgame entre bio et bio-d. Le joyeux mélange entre science, ondes, énergie. Je ne comprends pas ces amalgames
dont le corolaire est une sorte d’opposition entre deux clans les gentils « nature » et les méchants « chimistes ». Etant plutôt partisan du bio, ca me dérange fortement. Voilà c’est fait, c’est résumé. Vous pouvez arrêter la lecture, maintenant, je digresse, je divague.
Pourquoi suis-je dérangé? Parce que d’abord
cette opposition entre gentils et méchants est simplificatrice.
Bientôt les méchants du côté sombre de la force, Luc Darth Javor, Obiwan Kenobizeul (il a changé de camp dans cette version) seront opposés aux jedi Eric Skymonné, Franck Han Pascal et à leur fidèle allié Philippe Shewbarret (un jour, je vous parlerai des autres personnages C3P O12, le robot protocolaire qui parle beaucoup, fait des calembours et aime les vins anciens, la princesse Superfred et d’une peuplade mystérieuse, les Gunthards, mais ce sera un autre jour). Ils se combattent mais ne voient pas arriver leurs vrais ennemis sur la sinistre étoile ANPAA.
Bref. Les viticulteurs, comme tous les agriculteurs, sont tous soumis à des règlementations de plus en plus strictes. Même lorsqu’on est totalement en conventionnel, on utilise moins de pesticides qu’avant. On doit les utiliser mieux, en mettre moins. Il faut observer les populations de parasites, ne traiter qu’en cas de menace. Bref, on raisonne l’utilisation de produits toxiques pour l’environnement. Tous les agriculteurs sont concernés. Bien sûr, ce n’est pas assez.
D’autres agri et viticulteurs, soit dans une démarche personnelle, soit dans des démarches comme
Terra vitis
ou
tyflo
en Alsace, vont plus loin. Ce sont les viticultures qu’on appelle
raisonnées à intégrées.
Voir les quelques liens qui exposent leurs
philosophies
et
cahiers des charges.
On peut reprocher à ces chartes d’être trop laxistes, de ne pas aller assez loin… Je dis que c’est mieux que rien.
Ensuite il y a le bio. Encadré par des chartes et labellisés par des organismes de contrôles (
ecocert
) Le
label AB
est régi par une règlementation internationale, traduite dans les législations nationales souvent.
Ces différents label ne portent pas sur la qualité ni le goût des produits mais bien sur les méthodes agricoles mises en œuvre et leur respect de l’environnement. Personnellement, je suis plutôt partisan, dans le domaine des vins de qualité, d’une viticulture la plus bio possible et pas de demi-mesures. Par contre, pour la production de vins plus ordinaires, je n’y crois guère à grande échelle.
Parce que le bio peut être plus cher (quoique dans le domaine du vin, la qualité se paie de toute façon), il a un coût. Par exemple parce qu’il nécessite de passer plus de temps dans les vignes (mais là encore, un vigneron qualitatif, bio ou pas, il y passe du temps dans ses vignes), ne serait-ce que parce que les fongicides ne sont pas systémiques mais de contact et donc il faut traiter plus régulièrement. Le bio ne repose pas sur des méthodes folkloriques ou farfelues. C’est du sérieux, du scientifique. Il y a de l’argent, du temps et du travail de chercheur là-dedans. Les phéromones, la confusion sexuelle, l’emploi d’auxiliaires (guêpes, coccinelles…), ca ne sort pas de la tête d’un berger du Larzac fumeur de pétards (image fausse qui reste collée aux écolos-bios, je préfère le causse Méjean) mais de labos. Même des firmes de vilains chimistes comme BASF ou Monsanto font des produits agréés bio. L’exemple des moyens de lutte contre le ver de la grappe est particulièrement représentatif de l’arsenal à la disposition d’un viticulteur parfaitement bio. Pas d’énergie et d’ondes la-dedans. Je voulais résumer la chose mais je n’en n’ai pas le temps. Ce
lien
un peu long expose les choses .
Autre précision, ces labels ne portent que sur la viticulture, pas sur la vinification. Il n’y a pas de vins bio, rien que des raisins. La mouvance « nature sans soufre », c’est encore autre chose. Bien que sa route puisse croiser celle de la biodynamie.
Et puis, il y a la biodynamie, branche du bio, certifié et encadré en France par le label
demeter
. Mais qu’apporte donc la biodynamie en plus du bio ? Qu’est-ce qui diffère ? Et bien là je cale. Il serait préférable que des viticulteurs comme Franck Pascal et Eric Monné nous éclairent en parlant par exemple de ce qu’ils utilisent dans des cas précis : poussée de pourriture grise p.e. Cependant, la différence essentielle entre ce mode d’agriculture là et tous les autres (en ce compris le bio) est de nature philosophique. Lisons ce que nous en dit le site demeter sur cette
page
:
« L’agriculture bio-dynamique est une agriculture assurant la santé du sol et des plantes pour procurer une alimentation saine aux animaux et aux Hommes. Elle se base sur une profonde compréhension des lois du « vivant » acquise par une vision qualitative/globale de la nature. Elle considère que la nature est actuellement tellement dégradée qu’elle n’est plus capable de se guérir elle-même et qu’il est nécessaire de redonner au sol sa vitalité féconde indispensable à la santé des plantes, des animaux et des Hommes grâce à des procédés « thérapeutiques ».»
D’où vient cette « profonde compréhension » de la nature. Sur la compréhension du fonctionnement des écosytèmes qui est récente (après les années 50 disons) ? Sur les recherches de l’INRA ? Que nenni. Sur les travaux, et plus précisément des conférences de Rudolf Steiner en 1924. Bien sûr, Maria Thun, a depuis approfondi les recherches du maître. Je n’entrerai pas dans les détails et essayerai de rester neutre. D’ailleurs, je vous renvoie à ces
pages
et à
celles-ci
de l’association demeter pour vous faire une idée des principes bio-dynamistes. Ce qui me gêne, c’est que tout repose sur les affirmations, « la Parole », d’un maître, un gourou. Et qu’on applique ses recettes sans remise en question, sans qu’à aucun moment des recherches scientifiques aient prouvé quoi que ce soit. C’est là qu’est la différence fondamentale pour moi.
Autre extrait du site de demeter :
Les pratiques spécifiques de l’agriculture bio-dynamique :
1 La conception de la ferme comme un organisme agricole
2 La fabrication, l’utilisation et la dynamisation de « préparations bio-dynamiques »
3 La prise en compte des influences de la périphérie cosmique (lune, soleil, planètes, …)
Je suis tout à fait d’accord avec le point 1 : une ferme en polyculture, qui produit ses propres intrants, pas d’importation de transport, approche globale des organismes en relation avec leur environnement… Génial, mais quel viti bio-d respecte cela ?
2 : On entre là dans une conception identique à celle de l’homéopathie. Je ne me prononcerais pas, n’étant pas médecin. Mais relisez le Javaux dans le texte… Là aussi, sur le pourquoi des prépa 511 etc, demeter et Steiner aussi d’ailleurs restent très flou. On devrait se contenter d’un « Pourquoi ? Ben parce que je le dis et que c’est comme ça. »
3. Là… la position de la lune par rapport aux signes du zodiaque influerait sur les cycles végétatifs de certaines parties des plantes (ce sont les fameux jours racines, fleurs…) ; Outre le fait, que cette théorie me semble du même tonneau que le signe atrologique (bon il y a des arguments qui réfutent une quelconque influence de la lune, notamment la simple application de la loi de la gravitation, mais ce serait long et je pense que Luc a déjà abordé le sujet sur un autre thread). (Mais enfin Lanèfle, le cycle lunaire influence le cycle menstruel de la femme, c’est bien connu. Evidemment voyons le cycle de toutes les femmes fait pile poil 29,5 jours comme le cycle lunaire. Ah mais c’est parce qu’on s’est éloigné de la nature hein ! Ben oui comme l’éléphant, 4 mois, la brebis, une grosse 15aine de jours).
Là aussi, la
prose de demeter
est particulièrement parlante : on décrit avec force détail les différents cycles de la lune mais où sont les explications quant à un effet quelconque sur la plante ?
Bref, beaucoup de méthodes mais on doit se contenter pour toute explication d’un « c’est comme ça » qui me déplait. Un « tu le sentiras quand tu seras prêt » qui me dérange.
Mais pourquoi cela me dérange-t-il ? Parce qu’enfin, ca marche, les vignes peuvent donner du bon raisin et du bon vin ? Oui mais qu’est-ce qui marche ? Les pratiques propres à la bioD ? Les pratiques communes avec le bio ? Le talent du viticulteur ? Si les pratiques propres à la bioD servent d’argument commercial et d’élévateurs de prix je dis non. Mais si le biodynamiste se pose en détenteur d’une vérité en opposition avec de méchants scientifiques obtus, je dis deux fois non. Car pour moi, c’est là qu’est le problème fondamental. Les biod détenant une vérité écrite, les viti traditionnels ou presque bio sont forcément dans le faux. Ils n’ont pas la pureté. Ils n’ont pas vu la lumière. Ils participent à un complot scientifique et rationaliste qui tue la terre à petit feu.
Les excès de la science (ou simplement la recherche de rentabilité et « d’efficacité ») nous ont mis dans la merde mais c’est aussi la science qui nous en sortira. Et les discours genre « le scientisme nous a occulté une partie de la vérité, à cause de lui on a masqué les énergies, on a oublié les alchimistes du passé. On a oublié Lamarck et
Goethe
», sont dangereux. Même si, par exemple, certaines découvertes (pas si récentes) en génétique montrent des mécanismes possibles d’adaptation qui font penser au Lamarckisme, il n’en reste pas moins qu’il s’agit de cas particuliers et que l’essentiel de l’évolution suit plutôt les théories initiées par Darwin.
Là où le discours biodynamiste est inacceptable, c’est qu’il a tendance à dénigrer, injustement, les autres types d’agriculture, à faire accepter comme faits scientifiquement établis des méthodes qui ne le sont pas, à faire passer les contradicteurs pour des obtus de la calebasse. En plus, avec leur aspect planétaire, énergético-vibratoire et tout leur arsenal naturo-homéopathique, le discours est séduisant évidemment. Tellement tendance à une époque qui ayant oublié dieu depuis longtemps, étant revenue d’une science injustement promue au rang de religion, ayant perdu tout contact avec ses racines, avec la nature a tendance à combler ces manques par n’importe quelle affabulation ésotérique. Et alors, la biodynamie n’est pas seulement un mode de viticulture « propre » parmi d’autres. Non c’est le seul. Et pire, avec des principes et des méthodes en marge de la science, de la raison. Suis-je le seul que cela dérange ? Je suis sûr que non.
Je ne me permets pas de douter des convictions d’Eric ou Franck. Je les respecte même. Car effectivement, on ne sait pas tout et qui sait, peut-être un jour prouvera-t-on et expliquera-t-on le fonctionnement de la bouse de corne et même la mémoire de l’eau (pour être honnête, il y a même des explications quant à certaines prépa : la silice p.e. mais les doses ???). Et après tout, si environnementalement, il y a un mieux, moi…
Par contre je doute d’une certaine tendance « nature » et de la biodynamie en général.
Le bio traditionnel n’est pas parfait mais n’est pas figé, il évolue, le reste de la viticulture aussi, au gré des recherches. Qu’apporte la biodynamie en plus ?
Une question d’option philosophique et de croyances ? Certainement et c’est très respectable. Un argument de vente pour certains ? Certainement et ça l’est moins.
A plus pour la suite….