Soirée de gala chez Gérard
La date était fixée depuis longtemps.
Gérard nous avait invité avec ses enfants ainsi qu'un ami de longue date amateur de Bordeaux.
Nous avions pour unique consigne d'apporter le Champagne.
Je dégoupille en premier.
Champagne Egly Ouriet, Grand cru Vieillissement Prolongé
j'ai choisi cette bouteille après avoir lu ici qu'elle se goutait déjà bien.
Une bouteille dégorgée en juillet 2020
Le nez fait assez jeune, je ne perçois rien d'oxydatif.
C'est assez gourmand sur les fruits jaunes avec des notes de fruits à coque.
La bulle est fine et la bouche sait être confortable avec une très légère sensation crémeuse qui est bien contre balancée par ce qu'il faut d'acidité.
C'est vineux, dense et assez long.
Un excellent Champagne qui parvient à avoir une personnalité assez forte tout en restant consensuel.
Maison Billecart-Salmon - Cuvée Nicolas François Billecart Brut 2002 - Champagne
C'est le champagne de Gaétan.
Le nez est encore fermé au début alors qu'il avait pourtant ouvert la bouteille en amont chez lui.
Les bulles ont pratiquement disparu.
On décèle une trame minérale qui se confirme en bouche avec un vin tout en tension.
Il est moins facile d'accès que le précédent au premier abord, il faut se concentrer et aller le chercher.
Aucune notes oxydatives et je suis le premier surpris en découvrant le millésime.
Il va gagner avec le temps et nous avions prévu d'y revenir par la suite mais ... ce n'était pas une soirée à revenir en arrière
Il parait que le lendemain soir après un bon secouage entre Metz et Paris, il était encore meilleur.
Un Champagne relativement âgé qui semble demander de l'aération après ouverture.
Domaine Roulot, Meursault 1er cru "Clos des Bouchères" 2011
Un nez dominé par des fruits jaunes, un peu de brioche tiède et un soupçon de cailloux humide.
La bouche a une très belle attaque en largeur mais le vin s'essouffle assez vite.
On a l'impression d'une grosse cylindrée qui aurait gardé son frein à main.
j'y vois seulement un village et rien qui me fasse penser à un vin de chez Roulot.
Gérard est particulièrement déçu parce que le vin se goutait très bien quelques heures plus tôt à l'ouverture.
Pas simple le vin, il aurait fallu ouvrir le Champagne plus tôt et le Bourgogne plus tard.
Nous passons ensuite à une paire de blancs servis en parallèle.
Ce sera pour nous une nouvelle occasion de vérifier à quel point deux bouteilles d'un même carton peuvent être bien différentes.
Domaine Michel Bouzereau, Meursault 1er cru "Perrières" 2008
Le 29 février dernier ( 17j avant la fin de l'ancien monde), Gérard nous avait déjà ouvert cette cuvée et elle était excellente.
Cette fois elle se présentera sous un angle nettement moins favorable.
Le nez manque de fraicheur, une légère note minérale mais rien de très excitant.
il faut dire qu'on est vite happé par le blanc stratosphérique qui est dans l'autre verre.
L'attaque est un peu rude dans un style un peu lourd.
Pour moi c'est une bouteille défaillante à des années lumières de celle bue il y a 19 mois
Domaine Coche-Dury, Meursault 1er cru "Perrières" 2008
Alors là les amis, il y a du jus !
Un nez d'une très grande complexité, bergamote, agrumes et silex.
On pourrait citer une liste de 15 arômes mais je préfère préciser qu'on trouve un peu ce qu'on peut trouver dans un chardonnay bien né.
Enfin presque tout puisqu'il n'y a pas vraiment de grillé ou alors simplement nuancé.
Rien ne prédomine, c'est harmonieux.
L'ami de Gérard dit que ça sent le grand cru !
Gérard nous avait dit lors du dernier repas avec Oliv qu'il ouvrirait un Coche le samedi.
Le nez n'ayant aucun des marqueurs coche-duryens habituels, j'imagine qu'il m'a tendu un petit piège amical et que s'il y a un Coche dans la soirée, ce sera probablement un rouge. Oliv ayant vanté les mérites de l'Auxey, je pourrais même déjà connaitre le prochain vin à l'aveugle sans même l'avoir senti. ( Petite disgression sur les dégustations à l'aveugle biaisées
)
Mais revenons à notre vin blanc.
La bouche est à l'unisson du nez, ça tapisse de partout, c'est puissant sans jamais être lourd.
C'est tonique sans être stricte, c'est long, très long que dis-je interminable dans une fin de bouche absolument parfaite.
Méditation !
Je verrais bien ça dans le secteur des grands crus de Puligny.
L'ami de Gérard propose "Chevalier", Gaétan évoque "Cailleret" et soyons fou je me demande si nous n'avons pas là tout simplement le roi Montrachet.
Surprise à la levée de la chaussette.
C'est le premier millésime de Raphaël et si nous n'avons aucun doute sur ses capacités à prolonger la notoriété qualitative du domaine, il y a semble-t-il un changement de style dès le début.
Nous passons maintenant aux rouges.
L'ami de Gérard n'aime pas trop le pinot mais nous imaginons mal un repas sans pinot chez lui.
Nous aurons donc une paire.
Domaine Damoy, Chambertin Clos de Beze 2009
Gérard nous prévient tout de suite qu'il se goûte mal depuis l'ouverture dans l'après-midi.
Le nez n'est pas très expressif, cerise noire et cassis.
La bouche est massive avec une charge tannique assez importante.
Pas vraiment le style de pinot qu'on aime alors que l'ami de Gérard l'apprécie plus que celui qui est dans l'autre verre.
Il s'est amélioré au fil du temps et nous finissons par penser que cette cuvée a probablement besoin de vieillir encore un bon moment en cave.
Domaine Sylvie Esmonin - Gevrey Chambertin 1er Cru Clos Saint-Jacques 2009
Quel bouquet ! Un nez que je trouve floral et épicé.
Là on ne doit pas être loin du Clos Vougeot ou alors sur Vosne dans les 1ers crus d'altitude si ce n'est pas un vieil Echezeaux.
Griotte, framboise et groseilles en nuances mais toujours cette évanescence de fragrances florales.
Là, Gérard a tapé dans le mille pour nous faire plaisir.
En bouche le vin est une caresse, c'est de la dentelle soyeuse tout en finesse.
La fin de bouche reste élégante et délicate.
Au petit jeu de l'aveugle Gérard annonce qu'il y a un grand cru et un 1er cru.
Les choses deviennent plus simples parce que j'imaginais bien un Damoy pour la bouteille précédente.
-C'est Gevrey ?
-oui
- Il y un grand cru de Damoy ?
-oui
- Et donc un 1er cru de Rousseau ?
-non
Alors là j'aurais bien voulu avoir Roberto Pétronio autour de la table, à l'aveugle comme nous pour voir s'il aurait trouvé le style du domaine qu'il a déjà caricaturé.
Vous ne me reprendrez pas à ouvrir un Clos St Jacques de Sylvie Esmonin avant qu'il ait au moins 10 ans.
Nous avons une nouvelle preuve qu'avec du temps, on tutoie les sommets chez elle.
Deux paires de Bordeaux nous attendent maintenant.
Château Léoville Barton, St Julien 2000
C'est vendredi saint en Belgique, une histoire de chemin de croix avec les Bordeaux 2000 ...
Une robe très profonde et des arômes de Bordeaux encore jeune et marqué par l'élevage.
En bouche, ça sèche, ça assèche, c'est rêche.
C'est le seul verre que je n'ai pas fini.
Notre nouveau compagnon de dégustation aime beaucoup ce château et en a d'ailleurs une caisse de 2000 qu'il n'a pas encore touchée.
Mais là il est inquiet.
Sincères condoléances en espérant une résurrection pour les croyants.
Château Gruaud Larose, St Julien 2000
Le second verre nous propose un vin d'un autre niveau.
La robe est tout aussi profonde mais le nez est nettement plus causant.
Un beau fruit avec des notes de tabac encore primaire si j'ose dire.
C'est jeune mais déjà très bon à boire.
On le place en rive gauche sans hésiter.
Les tannins sont présents mais déjà arrondis par le temps ou un élevage moins marqué.
Aucune astringence, c'est agréable à déguster avec une fin de bouche pleine d'énergie.
S'il n'y avait plus rien après, nous en aurions facilement repris un verre.
Unanimement nous estimons qu'il peut être bu tout en gardant certainement un potentiel de vieillissement.
Je n'avais encore jamais goûté ce château dont je ne dois avoir qu'une bouteille de 2005.
Une première expérience positive.
Château Margaux 1996
Un vin servit en carafe.
Très très grosse cartouche.
Des arômes envoutants de bois précieux, de cassis/cranberries, de tabac blond.
On se dirige immédiatement vers un médoc avec de l'élégance.
Face à moi l'ami de Gérard jubile dès le premier nez et va très vite se diriger vers Margaux.
Il connait la cave de son hôte, ce qui est généralement un atout décisif à l'aveugle
Mais j'admets que par déduction on se dirige vers cette appellation du Bordelais.
C'est moins le cas avec le 86 ou le 97 qui ont des caractéristiques du millésime qui les éloignent de l'imagerie margalaise.
En bouche la structure est imposante mais soyeuse.
Le vin s'exprime avec délicatesse.
Le final se conclue en queue de paon avec une sensation de puissance et de finesse.
La quintessence du grand Bordeaux féminin.
Le fond de verre reste impressionnant de complexité.
Qu'est-ce qu'on peut encore servir après ça ?
En plaisantant Gérard nous dit qu'il a prévu un petit vin pour nous faire atterrir
Pétrus 1989
On était déjà sur la lune, maintenant direction les étoiles.
Un nez surprenant avec un léger coté mentholé qui donne de la fraicheur.
Les épices douces sont fortement présentes pour un Bordeaux.
A l'aveugle pur, je ne serais peut-être pas resté sur cette région.
Mais qu'est-ce que ça peut bien être pour nous offrir une palette aromatique si différente ?
Il y a un coté bourguignon sur ce vin.
Je n'avais encore jamais rencontré un vin bordelais à ce point dominé par les épices, les fleurs et les végétaux nobles.
c'est comme ça que je caractérise cette sensation de fraicheur qui ne vient pas du poivron ou d'une sous maturité.
L'ami de Gérard part tout de suite en rive droite alors que je suis un peu perdu, ne retrouvant pas la fameuse truffe du Merlot.
La texture en bouche, quasi crémeuse, sapide au possible signe plus facilement un vin à base de Merlot.
C'est kaléidoscopique, les mots me manquent mais je crois sincèrement que c'est le plus grand vin que j'ai bu à ce jour avec l'impression de mêler les qualités d'un grand cru bordelais et d'un grand cru nuiton.
Pourtant, aussi grand soit-il, j'ai l'impression qu'il peut encore légèrement gagner en complexité car il donne l'impression de tout juste entamer son plateau de maturité.
Un moment exceptionnel où le temps suspend son vol.
Je vous disais que nous n'avons pas pu revenir sur les champagnes, c'est qu'il en reste encore un !
Château Yquem 1989
Un nez bien ouvert sur les fruits exotiques, mangue et papaye confites, touches de caramel
C'est vraiment agréable à sentir.
Je pré suppose que c'est Yquem mais en bouche les doutes s'évaporent.
C'est riche sans être lourd et c'est très long avec une fin de bouche qui n'est pas saturante.
Pour chipoter, je pourrais dire qu'un tout petit peu plus de finesse en ferait une plus grande bouteille mais ce serait alors un 88 d'après tout ce que j'ai lu.
Gérard qui a eu la chance de déguster le 88 au château me confirme que c'est une immense bouteille mais ne boudons pas notre plaisir avec cette excellente 89 qui conclue en beauté ce repas galactique.
Gérard, de tout coeur, un immense merci à toi et ta famille pour l'accueil et le partage.
J'ai la certitude d'avoir eu le privilège de participer à un repas qui restera à jamais gravé dans ma mémoire.