Ce n'est pas souvent que je passe aux fourneaux le dimanche soir. Mais l'ami Philippe (Teva sur LPV) a fait une étape-crochet par Ambazac. Comme je ne l'avais plus revu depuis un Juratour en 2017 (le temps passe vite), j'ai fait un effort, d'autant que c'est un amateur de gastronomie très pointu, même s'il plus du genre à mettre les pieds sous la table qu'à œuvrer en cuisine. Nous avons démarré le repas avec des "toasts" à la moelle de poireau et au haddock, salicorne et bourrache. Les triangles de la base sont des "crackers" au sarrasin. La crème est à base de poireau et aromatisé au sel viking pour lui donner une touche fumée. La "moelle de poireau", c'est la tige qui porte la hampe florale du poireau qui monte. Une fois que l'on enlève une gaine de feuilles dures, elle s'avère tendre et douce. Elle cuit en quelques minutes, et c'est très bon (moins fort que le poireau).
Pour leur tenir compagnie, j'ai servi un
Menetou-Salon 2015 de
Jean Teiller : la robe est or clair, aux reflets argentés. Le nez est fin, aérien, sur un subtil bourgeon de cassis, l'anis, et le citron légèrement beurré. La bouche est ronde, ample, aérienne, avec une matière fine et élancée délivrant une fraîcheur pure qui vous submerge. Il y a un côté "lame d'acier" dans ce vin, mais une lame bienveillante, d'une irréelle douceur. La finale reste dans ce même esprit de bienveillance, avec une fine mâche gourmande sur la pomme fraîche relevée par le citron confit, et le bourgeon de cassis qui revient, toujours aussi subtil.
Un vin zen et harmonieux.
Je voulais faire goûter à Philippe mon plat rendant hommage au
champignon de Paris – même si je l'ai regoûté la semaine précédente chez mon ami Olivier. Il y a tout de même un nouvel élément que je n'avais jamais mis jusque là : une brunoise de couteaux cuits à 65 °C. En fait, ça se sent à peine, mais ça m'a permis de tester un nouveau mode de cuisson pour ces coquillages – je descendrai la température la prochaine fois.
J'ai choisi ce
Chardonnay 2015 de
Philippe Vandelle pour deux raison. 1) Je subodorais qu'il irait bien avec le plat – et sa mission fut admirablement remplie 2) J'ai acheté ce vin lors d'un Juratour auquel Philippe participait. C'était donc sympa de le regoûter plusieurs années après pour voir ce qu'il était devenu. La robe est dorée. Le nez est typiquement jurassien, sur la croûte de pain chaud, le mousseron, l'amande grillée et la noix verte. La bouche est élancée, étirée par un fil invisible, tout en déployant une matière douce, nappante, presque vaporeuse, diffusant un message oxydatif subtil, contrebalancé par un vigoureux trait de noix verte. Ce dernier se prolonge et se renforce en finale – soutenu par des notes d'écorce d'agrume. Il en devient sa colonne vertébrale, entourée d'un halo oxydatif : fruits secs grillés, fenugrec, pâte d'amande, lard fumé, épices...
Nous continuons sur la variation légumière avec le
fenouil selon Laurent Petit
. Il a cuit un peu plus que lors de mes précédents essais. Voilà ce que c'est de discuter encore et encore. Mais c'était encore plus confit et moelleux, totalement décadent. Impossible de ne pas adorer ça, même quand on croit détester le fenouil – ce qui fut longtemps mon cas.
Sur la capsule de cette bouteille, une ombelle de fenouil. Une raison suffisante pour ouvrir ce
And the winner is 2019 du
Celler Credo, un vin catalan produit en biodynamie par
Recaredo. La robe est jaune pâle, brillante. Le nez est très fin, profond, sur le beurre fumé, le fenouil (forcément !), le zeste de citron, la pierre humide... La bouche éclate de fraîcheur dès l'attaque, avant d'offrir une matière fine, cisélée, digeste (11 % alc.) qui gagne en densité et pulpeux avec le réchauffement dans le verre. Aromatiquement, on reste dans la sobriété, avec la fumée (beurrée) qui domine, très légèrement citronnée, et puis du "caillouteux" à souhait. Il persiste
grave en finale, avec une touche subtile d'amertume (écorce de pomelo), le citron qui s'affirme et s'achève sur des notes salines.
Comme Philippe a amené un
moelleux d'ananas (sic), je sors du frigo un
Bleu de Laqueuille, le pose sur de belles tranches d'un pain sorti du four 5 mn avant. Ça le ferait certainement bien si le "vin" tenait la route.
Malheureusement, le nez fait un peu trop cuit / caramélisé / surmûr, et la bouche manque sérieusement de fraîcheur et de gourmandise. A-t-il toujours été comme ça, ou est-ce qu'il aurait déjà dû être bu depuis longtemps ? On ne le saura pas,car Philippe ne l'a pas goûté jeune. S'il y a des personnes qui le connaissent, leur avis m'intéresse.
Histoire de ne pas finir sur une mauvaise impression, je suis descendu à la cave (à 12 °C en ce moment) et j'ai remonté un
Monbazillac Les Pins 2015 de
Tirecul la Gravière. La robe est d'un or intense. Le nez évoque l'orangette, la mangue et l'abricot rôti. La bouche allie ampleur et tension, avec une fine acidité amère (orange confite) qui sert de fil directeur, et une matière mûre et moelleuse évoquant la marmelade d'abricot très légèrement vanillée. On garde les mêmes en finale, mais avec plus d'intensité, d'énergie et de fraîcheur, avec toujours l'orange confite en chef d'orchestre, puis la mangue revient, accompagnée par l'abricot (noyau inclus) et une pointe de vanille. Le sucre, même si indéniablement présent, est d'une grande discrétion.
En dessert, des fraises en morceaux et en coulis au citron vert, un sorbet à l'oseille, de l'angélique confite (maison) et des mini-broyés du Poitou. Tout cela allait impec avec le vin précédent. Pas besoin de changer, donc...
Une soirée très sympa, sans complication. Ce sera une autre affaire dans une semaine (suspens...)