LPV Paris Nord-Est : ça ne va que quand on suit sa voie jura Jean-François
C'est par ce calembour laborieux qui se voulait
kakemphaton
que démarre ce compte-rendu.
Pour cette sixième rencontre du cercle LPV Paris Nord/Est, les vins de Savoie et du Jura étaient à l’honneur avec une large domination des cépages blancs.
Comme d’hab, tous les vins ont été dégustés à l’aveugle dans l’ordre que notre hôte du soir a consciencieusement défini. Comme d’hab, l’ambiance était au top et les apports culinaires de chacun ont été à la hauteur des vins dégustés, avec des pâtés croûtes de toute beauté.
Allez, c’est parti pour un CR collectif auquel les joyeux compagnons pourront répondre et apporter nuance et précision à leur guise.
Vin 1. Pour la mise en bouche, nous commençons par une bulle.
Savoie, Blard & Fils, Extra-Brut Rosé
Assemblage PN/Jacquère, 18 mois de repos sur latte en méthode traditionnelle.
La robe est saumonée, le nez offre de discrètes notes vanillées et peu de fruit (mara des bois). En bouche, la bulle est peu vivace mais assez grosse. Aromatique de groseille et même de bonbon Krema dixit un membre. Finale avec des amers légers agréables. Dans l’ensemble, le groupe juge le vin honnête à défaut d’être mirobolant.
Vin 2. Nous entrons dans le vif du sujet avec ce vin-ci, et ça sort le Brenneke pour chasser le sanglier d’emblée.
Savoie – IGP Vin des Allobroges Domaine des Ardoisières – Schiste 2019
Domaine starifié de la critique. Sol de schiste avec une complantation de cépages savoyards. Constitue le milieu de gamme.
La robe est transparente. Nez mutique qui finalement émet un peu de citron et de poire, même un peu de pomme « nature ». En bouche, la sensation est d’un vin manquant de matière et de concentration. La finale est d’une amertume peu agréable. Grande surprise et déception unanime à la tombée de chaussette. Certains ont émis l’hypothèse d’un manque d’aération et donc nous décidons d’y revenir à la fin. Peine perdue, le vin ne s’est pas amélioré et pire, nous avons la sensation d’une dégradation.
Pour ma part, grand buveur de rieslings sur schistes de la Moselle, le vin m’a paru avoir la concentration d’une « gutswein » et n’a pas la race en accord avec son prix affiché.
Vin 3. On enchaine avec un nouveau blanc sec.
Savoie – Chignin Bergeron - Domaine partagé Gilles Berlioz – Les Filles 2018
Roussanne sur sol argilo-calcaire à dominante argileuse. 7000 pieds/ha et environ 25 ans d’âge moyen. Exposition sud. Très peu de soufre à la mise. Le domaine porte un projet politique communautaire et a gagné sa 3ème étoile RVF cette année.
Robe un peu plus dense et dorée que la précédente. Le nez a un peu plus de complexité entre fruits confits et pierre mouillée, certains y ont également trouvé pas mal de végétal. La bouche a une onctuosité qui donne même l’impression de quelques grammes de sucre résiduels (pour moi). La longue finale déroule des amers – certes nobles selon le consensus – mais qui préemptent l’équilibre finale pour la plupart.
J’ai plutôt apprécié ces amers auxquels je suis ordinairement défavorablement sensible. Dans l’ensemble un bon vin qui donne une prestation correcte mais dont le style n’a pas plu à tout le monde.
Vin 4. Le maître des lieux imprime un rythme ferme et nous sert le vin suivant
Jura, Arbois – Domaine Labet Chardonnay les Champs rouges 2015
L’un de ses parcellaires haut de gamme.
Robe jaune or pâle, plus claire que la précédente. Le nez est intense et complexe : fruits confits, fruits secs, zeste, craie, c’est une farandole. Le palais est comblé par une haute acidité mûre qui procure énormément d’allant au vin sans pour autant submerger les sens ni écœurer. La persistance importante citronnée satisfait à l’unanimité la tablée. C’est typique d’un vin jurassien qui présente très bien, et Jean, novice de la région apprécie également.
C’est à l’unanimité le vin qui plaît le plus au groupe.
Vin 5. Du chardo, du chardo et du chardo, vu les amateurs de bourgogne ici ce n’est pas un problème avec:
Jura, Arbois – Domaine Puffeney Chardonnay 2003
Vigneron culte et mythique de la région, 50 millésimes au compteur et une indifférence à la mode. Pionnier d’une viticulture respectueuse de l’environnement, il a pris sa retraite en 2015 et son domaine repris par le Marquis d’Angerville se nomme désormais Domaine du Pélican.
Robe or claire mais sans éclat. Nez puissant et évolutif et certains perçoivent une odeur d’écurie, à tous le moins l’impression d’une faible protection. En bouche, le vin est dans la lignée du précédent mais avec moins de panache et d’intensité. L’effet séquence joue à plein et les perceptions sont partagées.
A la tombée de chaussette, l’assemblée tombe des nues en apprenant l’âge vénérable du flacon et tend à réévaluer la bouteille : certes l’apogée du vin est dépassée mais il est encore très gaillard, et finalement la plupart des dégustateurs ont éprouvé du plaisir.
Vin 6. Sans transition, et remis du choc Puffeney, nous passons aux rouges :
Jura, Côtes-du-Jura – Domaine Ganevat – En Billat Pinot Noir 2018
Est-il encore nécessaire de présenter ce domaine ?
Robe très claire qui hurle le poulsard. Le nez partitionne le groupe entre les amateurs du style et les indifférents voire les réfractaires (comme moi). Jean, que le pinot inspire sans effort pour faire des quatrains évoque « l’entrée dans un refuge de montagne sous une pluie battante » et ses quelques comparses s’accordent sur la bouche « fine, délicate, évanescente ». L’absence de structure et l’acidité aigrelette sont pour d’autres des obstacles trop importants pour se laisser aller à notre hédonisme gaulois.Tout le monde est d’accord pour trouver ce vin idéal pour l’apéro, de soif et pour le partage mais est-ce un vin de terroir, transcendant et impressionnant ? Le doute l’habite.
Quelle surprise quand la bouteille est dévoilée : c’est un pinot noir, et ça vient du domaine le plus culte de Jura. A l’instar du PN de Claus Preisinger, ce n’est absolument pas mon style de vin duquel je passe intégralement à côté, pourtant la maîtrise est là.
En conclusion, l’écart de prix entre les blancs et les rouges peut se comprendre parce que ce style apéro est nettement moins singulier et fascinant que ses blancs.A noter que le vin était meilleur à l’ouverture que 2h après lors de son passage, et que j’ai soutenu mordicus que c’était un persan (j’en vend une qui goûte rigoureusement pareil pour 25% de l’estimation de cette bouteille).
Vin 7. Le vin suivant ralliera nettement plus facilement les dégustateurs à son flambeau.
Domaine Puffeney – Poulsard 2003
La robe est un peu plus dense et sombre que le vin précédent. Nez plus intense de fruit rouge et je perçois même une pointe de caramel salé, d’autre du vieux fût. En bouche, la matière est plus concentrée sans pesanteur avec une dominante d’orange sanguine, sangria et une finale sur la fraîcheur de zeste sans exubérance avec de la mâche. C’est agréable et bon.A nouveau, grande surprise quand la bouteille est dévoilée, le cépage n’ayant pas réputation de passer la garde. Du très bel ouvrage de Puffeney et un rouge qui plaît à tous.
Vin 8. Malheureusement on aura enchaîné avec un bouchon pour le
Puffeney Trousseau 2003 et fait tomber l’horizontale à l’eau.☹
Vin 9. Le vin suivant nous transporte dès le premier nez dans une région différente.
Savoie – Domaine Jean-François Quénard – Persan les 2 Jean 2019
Terroir de St-Jean de la Porte à sols majoritairement argilo-calcaire. 40 hL/ha, 12 jours de macération puis élevage alternant fûts de 300 & 600 L ainsi qu’un œuf béton. Peu de soufre.
La robe est sombre et brillante. Nez intense de groseille, matière agréable et sapide sur une trame acide qui me convient mieux qu’à l’ensemble du groupe. Le nez est mitigé pour une moitié du groupe. Le consensus s’oriente sur un persan et trouve le vin correct à défaut de bouleversant.
Vin 10. Nous abordons rapidement un nouveau vin dont la robe est plus sombre :
Coteaux du Grésivaudan -Domaine Finot – Etraire de la Dhuy 2018
L’Etraire de la Dhuy est un cépage autochtone de la région.
Robe plus jeune que le vin précédent. Joli nez de fruits rouges mais surtout un saut qualitatif net en bouche où pour la première fois se distingue le soyeux de tannins fondus. Le vin est une bonne surprise et fait l’unanimité autour de la table : ça se boit avec plaisir.A nouveau la tombée de chaussette étonne les convives. Bien joué Nicolas !
Vin 11. Sans plus de transition, nous passons aux vins jaunes non sans avoir promis le pire à Jean, le novice de l’oxydatif. Ils seront dégustés en paire.
Domaine Delahaye – Château-Chalon Vin Jaune 2000
Ouverte et épaulée la veille.
Robe peu évoluée. Le nez est en revanche remarquable de puissance et de complexité avec les noix, les fruits désséchés, le citron mûr, la cave cistercienne. Le palais a relativement peu le « goût de jaune » et ce sont des très nobles amers citriques qui prolongent la persistance aromatique digne de son rang.
D’après l’apporteur, ces amers citriques sont la signatures des marnes bleues de Château-Chalon qui font la grandeur d’un des 5 terroirs majeurs de France du critique Curnonsky.
Vin 12. Son pendant n’était pas de Château-Chalon même si le domaine est très vénérable.
Arbois, Château d’Arlay – Vin Jaune 1992
Ouverte et épaulée 48h avant.
La robe n’est pas plus foncée que l’autre CC de 10 ans son cadet même si moins brillante. Il y a plus de puissance globale et le côté noix, arachide, rancio est plus saillant dans cette bouteille. C’est une madeleine de Proust et très impressionnant même si l’aromatique n’a pas la séduction immédiate des vins traditionnel. La persistance est longue mais sur une aromatique plus fumée et torréfiée que le CC.
Ce duel a créé une petite division avec une majorité en faveur du Château-Chalon. Jean a trouvé les vins intéressants et a été capable de se resservir !
Comme souvent l’accord avec noix et comté est juste.
Vin 13. Pour se remettre de nos émotions, une petite migration vers le sucre s’impose.
Coteaux du Grésivaudan - Domaine Finot – Verdesse "Vendanges d’automne" 2019
Ce vin a bien 15g/L de sucre résiduel et est analytiquement demi-sec. Vendanges tardive et 15,2° d’alcool acquis.
Robe claire et visqueuse. Le nez sent l’amande amère et les fruits jaunes cuits. En bouche, le vin a la carrure d’un pousseur de bobsleigh avec une attaque tendre de texture (qui signe la présence des SR) suivie d’une puissante amertume d’amandes amères qui rince le tout. Cela goûte sec.
Ce vin annoncé demi-sec par notre hôte déconcerte, et l’effet séquence après le vin jaune ne devait aider à percevoir le sucre. Seul un courageux a émis l’hypothèse d’un vin sec vendangé en surmaturité qui n’a pas pu fermenter tous ses sucres.
C’est encore une curiosité de Nicolas et une expérience intéressante parce que le vin est indéniablement bien fait dans un style singulier.
Vin 14. Le vin suivant arrive dans une carafe avec une belle teinte ambrée
Vin de paille - Jura
C’est un ajout de dernière minute de notre hôte, pour ce qui était l’un de ses premiers achats de vin.
Robe ambrée sans éclat. Nez puissant de fruits confits et – faute d’un euphémisme adéquat – de moissisure. D’autres trouve des notes simplement oxydatives. Sous le palais, on note une concentration indéniable mais sans trace de botrytis. Il y a un peu d’acidité mais globalement l’impression d’un vin pataud domine avec une aromatique pas très propre où l’alcool prend le pas. Qu’il est difficile semblerait-il de faire des vins de paille !
C’est effectivement un vin de paille d’un domaine sans pedigree et cette fois-ci le vin ne transcende pas son origine.
Vin 15. La dernière bouteille laisse à voir un format fuselé, serait-ce un pirate ?
Allemagne, Nahe – Weingut Dönnhoff – Schlossbockelheimer Felsenberg Riesling Spätlese VST (Versteigerung) 2013
Bouteille apportée pour faire plaisir à Pauline & Stéphane et afin d’avoir un vin sucré et digeste pour rincer les gosiers après les vins jaunes. Terroir volcanique, et semblerait-il le dernier millésime où le domaine a produit un vin de Prädikat (maintenant seules des GG y sont produites). 8,5° et environ 65-80g/L de SR.
La robe est transparente et brillante. Le nez quant à lui transmet une sensation hédonique lumineuse bâtie autour de l’orange mûre et des épices, ainsi que le pamplemousse associé à l’eau de roche d’un torrent de montagne. La bouche est d’après un membre « juste » : l’équilibre sucre-acidité est optimal, c’est salivant en diable tout en restant digeste avec une trame éclatante d’orange et de pamplemousse confits (cette fois-ci). C’est d’après moi la signature du domaine d’avoir un fruité orange si brillant.
Bien sûr, cela se vaporise instantanément. 2013 a été un millésime compliqué en Allemagne mais cette cuvée de Bad Kreuznach est indéniablement brillante avec cette alliance de légèreté de corps et d’intensité de saveur dans un juste équilibre qui donne le sourire.
Ce n’est certes pas dans le thème mais c’était une très belle conclusion qui recharge instantanément les batteries, c’est euphorisant !
La soirée a donné lieu à des débats enflammés avec une dose de mauvaise foi mais mis à part le bouchon, il fut à noter que les bouteilles ont donné des prestations conformes avec beaucoup de personnalité côté Jura.
Le consensus distribue les lauriers suivants :
1) Le Labet
2) Le Poulsard de Jacques Puffeney
3) Le Château-Chalon
Comme d’habitude les sucres n’entrent pas dans la compétition
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