Grands et petits vins : on en viendrait presque qu’à dire que moyen, c’est moins bien. Des petits vins, sympathiques, il y en a de bien meilleurs que des vins moyens ! Et des petits vins qui sont en fait de grands vins, il y en a aussi.
Qu’on se rassure immédiatement, cela ne va pas être une nouvelle diatribe de lutte des classes, sur le sujet des vins starisés, chers, très chers, trop chers et pas forcément meilleurs que d’autres qui le sont moins, beaucoup moins : ça, maintenant, on le sait.
Il est question de l’intérêt que peut avoir l’amateur de vin à rechercher autre chose que les grandes appellations, dont on connait le style, style que d’ailleurs, on peut légitimement apprécier, sans faute de goût et à l’origine de nombreux grands vins. Partir à la rencontre des particularismes, cela prend du temps ; en ce sens qu’il faut d’abord avoir eu cette expérience des classiques pour comprendre tout l’intérêt que peut avoir une appellation moins huppée certes, mais qui marque sa différence, son identité, voire ses limites fussent-elles bloquées à celles des monstres sacrées, en en définissant finalement toute la grandeur. Un peu comme un amoureux des livres comprendrait mieux l’intérêt de lire les auteurs modernes parce qu’il a lu Hugo et Stendhal.
Et sans doute ces nouvelles connaissances, ces nouvelles impressions ou émotions nous confortent, ou nous font sans doute mieux comprendre ce qu’est la grandeur des autres. Non pas par opposition, mais par complémentarité.
Il faut du temps parce que ça ne vient pas comme ça : c’est une démarche et il faut avant tout avoir dépassé des caps ou passé des rites initiatiques, des points de passage presque obligés : c’est sans doute ce que l’on appelle l’éducation.
Il en faut pour comprendre tout le bonheur que peut donner ce Marcillac, par exemple, ou cette Mondeuse ou ce Jasnières, ou encore ce Pacherenc. Ce n’est pas une évidence et il ne faut pas en vouloir aux jeunes loups, dégustateurs en herbe de passer à côté de leurs charmes, voire de les rejeter hautainement et de ne pouvoir finalement y lire le paysage qu’ils dessinent.
Mais quand on a bu suffisamment de grands vins, et plus encore de mauvais qui voulaient leur ressembler, quand on a parcouru suffisamment de kilomètres, vu suffisamment de paysages, de terroirs, scruté suffisamment de rides des visages burinés qui vous servent ces vins, serré suffisamment de ces mains calleuses qui racontent l’histoire que ces hommes transportent jusque dans le jus qu’ils font couler dans votre verre, alors on a fait des pas vers cette étape ou cette destination.
Ils sont finalement nombreux, ceux qui étayent cette thèse, qui rapportent qu’ils aiment le vin mais que leur amour a changé : qu’ils recherchent moins maintenant la grande bouteille pour trouver davantage la grande émotion.
Ce qui ne pouvait se concevoir harmonieux sans cette culture, s’apprécie finalement à l’aune de toutes ces connaissances, expériences acquises : et ce Marcillac, d’un coup, a le goût de ce fer qui colore la terre qui le produit, cette mondeuse accroche dans sa jeunesse comme les affleurements rocheux du piémont savoyard, ce Jannières s’exhume intact après vingt ans dans les caves de tuffeau et ce Pacherenc s’hérisse joyeusement comme les pics des Pyrénées à l’horizon.
C’est peut-être cela le vrai goût du terroir, plutôt que la chimérique et idéale présomption de communication minérale aux fibres végétales, mais c’est sans doute moins évident à appréhender.
Cette capacité de lecture, de décryptage, de compréhension, cette accession à un stade particulier est une étape et parfois même la destination finale, une sorte de quête, qui rend encore plus humble de toute suffisance facile, à l’opposé d’une connaissance exhaustive, aux contours connus. Elle donne le vertige et fait prendre conscience de cet abîme jouissif qui s’ouvre encore plus béant à mesure que l’on avance, dans cette connaissance et dans ces découvertes.
Des grands et petits vins qui peuvent imager cette pensée :
Domaine Vacheron Sancerre Les Romains 2014 : l’expression ultime du Sancerre plus que du sauvignon. Le sauvignon est un très grand cépage quand il s’exprime comme cela sur un grand lieu.
Puklavec sauvignon 2013 : même commentaire, mais il faut enlever Sancerre et remplacer par Prlekija.
Il n’est donc pas étonnant que de très nombreux amateurs, voire grands amateurs au sens où leur passion est immense, se détournent des monstres sacrés, non pas par fatigue ou lassitude mais par l’exaltation de la découverte, par l’effervescence de ce que suscite la particularité, ce goût unique qui donne une identité originale et qui peut largement étancher la soif du connaisseur qui en connaît assez de toute façon de ce que tout le monde sait sur les très grands noms archi-publiés pour se laisser surprendre par ce petit vin que l’on sait maintenant lire.
Ce doit être un peu cela : c’était écrit trop petit et on ne savait pas lire avant hormis les caractères en lettres capitales. A l’inverse de l’évolution physiologique de la vue chez l’homme, il faut croire que la lecture du vin évolue vers la capacité à lire mieux ce qui s’écrit petit, et peut-être même le filigrane. Quand c’est écrit petit, cela laisse de la place pour lire entre les lignes.
Il en faudra, de la capacité de lecture aux néophytes pour découvrir le monde du vin qui s’ouvre à eux d’emblée : c’est peut-être un effet positif de la mondialisation que de mettre à la portée de tous, tout ce qui se produit sur terre quand le passé hérissait des barrières au moins nationales et douanières en forme d’œillères.
Mais cela peut engendre une forme d’angoisse de se perdre tant il y a à découvrir et qu’une vie ne suffira pas, alors qu’auparavant, on pouvait faire le tour de ce que l’on admettait être intéressant. Il y avait quelque chose de rassurant dans cette finitude même si les limites de pécuniaires pouvaient nous en écarter.
L’ouvrage, « les mille vins qu’il faut avoir goûtés » donnait finalement la mesure de cette finitude. Mais combien de Saint Pourçain, de Menetou recèle le monde ?