Au cœur du Villa d'Este Wine Symposium 2018
Le dîner de Paulée
Tous les vieux lecteurs de cette chronique se souviennent que dans ce génie d'organisation conviviale qui n'appartient qu'à lui, le Président Mauss a de tous temps eu l'excellente idée de propulser l’événement au moyen d'une Paulée.
Quel meilleur moyen pour tisser des liens et décontracter les invités que de partager ses vins avec des convives de tous horizons professionnels et nationalités ? Sortent alors de toutes les poches des bouteilles et des magnums, des jeunes costauds, des grandes finaudes, des vieux glorieux, des flacons de patrimoine, des mythes supposés, des émergents qui veulent faire leur preuve... Toute la diversité du monde du vin apparait sur les tables !
C'est le moment de choisir si l'on coure l'étiquette ou les amitiés, le dépaysement ou le confort, la découverte ou les certitudes.
En 7 ans de Villa d'Este, je garde des souvenirs émus de rencontres au doigt mouillé, quand on s'assoie à une table sans connaître personne et que la gêne des premières secondes fait vite place au plaisir de l'échange et de la découverte d'autres vins et parfois d'autres cultures !
Pour cette dixième édition, je jouerai toutefois la sécurité afin de profiter autant que je le peux de la présence et de l'amitié de ceux que je ne vois que trop rarement.
L'ami Jean Luc au quotidien si occupé.
La famille Chambriard, des amateurs par essence très affutés et à qui je dois l'un de mes plus beaux moments de vin.
Ajoutez un ami bordelais d'une discrétion charmante et le meilleur d'entre tous les oenoscientifiques, le bel Axel, un homme dont les qualités pédagogiques donnent grand espoir sur le niveau futur de la prochaine génération.
Ajoutez que ce tout joli monde est accompagné de compagnes aussi charmantes que tolérantes à nos passions coupables et vous comprendrez que sont réunis tous les ingrédients d'une soirée réussie !
Ce moment est sans aucun doute le plus redouté par les équipes de Villa d'Este car il ne faut pas plus de quelques dizaines de minutes pour voir les premiers convives circuler autour des tables, bouteilles en main et générosité en bandoulière pour partager leurs apports. Il faut alors toute l'expertise des personnels de ce niveau pour gérer les embouteillages dans les travées comme les verres qui s'empilent sur les tables.
C'est dans ce moment là que je me dis que le Président Mauss a la santé.
Car devinez quelle est la seule personne, avec Aubert de Vilaine peut-être, à être connue de tous les invités ?
Si chacun cherche à lui faire plaisir en lui faisant goûter, qui son Musigny, qui son Moulin à Vent, qui son Vin de Constance, m'est avis que la fin de soirée pourrait bien être compliquée pour notre Gentil Organisateur, aussi rodé soit-il aux libations de compétition !
Allez, on se lance ?
Tartare de burrata, tomate rôtie, croustillant d'anchois et boulette de pain frit
Domaine Guy Amiot, Montrachet, 1996
Belle robe sur un doré léger.
Le nez est... superbe ! Immédiat, magnifiquement ouvert, il irradie son classicisme par des notes confortables de sésame et de pain grillé d'une redoutable gourmandise, avec un côté riche et rassurant.
Et la bouche est toute aussi somptueuse, remarquable de volume par sa matière immédiatement tapissante à la puissance de corps idéalement mobilisée par une acidité parfaite.
Ouh la vache, rien à dire, là, y'a un sacré client !
Les goûts sont parfaitement maitrisés, compromis de notes d'évolution légères, sur le tabac blond et ce grillé minéral et chaud, génial de maîtrise.
La finale est glorieuse d'ampleur, de générosité et de persistance, se prolongeant redoutablement loin tout en gardant une fraîcheur et une évidence ébouriffante de classe.
La Bourgogne dans tout son génie.
Grand vin !
Je mise lourd sur un Perrières Coche 2005... Non ?
Montrachet ? Whaou !
Note pour l'avenir : ne jamais laisser le père Chambriard dégainer le premier ! JAMAIS !
Car pour passer après, je vous dis pas le défi !
Champagne Krug, Brut, 2002
Robe d'une petite évolution dorée grisée.
Nez complexe, sur de fines notes oxydatives qui posent un bouquet net, sur l'orangette, les fruits secs, de belles senteurs minérales. Ouvert sur table, on sent qu'un peu d'aération au préalable ne lui aurait sûrement pas fait de mal pour libérer un côté un peu comprimé.
La bouche est superbe d'impact et de densité, sur un compromis matière/acidité redoutable de puissance et de vinosité, bien titillé par une bulle crémeuse et franche. Les goûts sont très agréables, sur la coquille d'huitre, l'amande séchée, presque la noisette.
Finale dense et compacte, presque brute d'expression en l'état.
Très bien et grande sérénité pour l'avenir.
Weingut Dönnhoff, Riesling Großes Gewächs Hermannshöhle, 2011
Robe très peu teintée.
Nez monolithique et manquant d'élégance, sur de puissantes notes qui oscillent entre le pneu, le pétrole et le goudron et qui masquent totalement le fruit.
Changement de registre en bouche où s'exprime une magnifique acidité qui propulse au premier toucher de langue une matière puissante et concentrée qui enrobe parfaitement l'ensemble. Le point d'équilibre est remarquable de rythme et de persistance et ne lui manque que de l'expression aromatique pour exprimer plus de complexité.
La finale est longue et impactante mais plus sur ses qualités de texture qu'en persistance et confort de goûts.
Très bien et là encore, l'avenir est grand ouvert.
Tortelli di carbonara, fondant de broccoli et joue de porc croustillante
Plat absolument brillant de classicisme maîtrisé !
Les blasés trouveront sans aucun doute datée la simplicité déclarée de l'intitulé du plat où on évite le name dropping du légume ou la joue de porc superflue si elle ne vient pas d'une bête dont le prénom a gambadé sous les chênes centenaires d'un micro domaine en permaculture.
Les pâtes sont extraordinaires de fondant et d'intensité de goût et le jeu de texture entre la douceur délicate du brocoli et le croustillant du lard fumé est génial de peps en bouche ! Aucune esbroufe ni ego qui s'impose dans ce plat sinon saveurs et goûts. Que demander d'autre ?
Ah si !
E possibile rabiote una ripassa per favore ?
Note pour l'avenir: travailler mon italien pour parvenir à convaincre le maître d'hôtel d'une petite rallonge.
Car qu'est ce que vous voulez que je fasse d'un fer à repasser en pleine Paulée ?! J'ai l'air si défraîchi que ça ?
Domaine François Raveneau, Chablis grand cru Blanchot, 2005
Nez étonnant, avec des notes très mûres qui tirent sur le cassis et un bel ensemble minéral, sur la coquille d'huître.
Aucun doute, on est à Chavignol !
La bouche est superbement élancée, plus cristalline que le riesling, sur une sensation de densité moins en brutalité, avec moins de puissance mais plus d'harmonie. L'âge a sûrement commencé à faire son oeuvre.
Le vin déroule une matière à la fois pleine et vive, de beaux goûts purs, sur les notes coquillères mais sans le côté presque exotique du nez.
Finale droite et racée, d'une très belle allonge.
Très bien+.
Domaine Antoine Jobard, Meursault En la Barre, 2015
Robe très claire, à peine teintée.
Nez fin et très bien tourné, d'une jeunesse d'expression mais d'une grande maîtrise, quand un élevage délicat porte sans les épuiser de belles senteurs minérales.
Bouche délicieusement nerveuse, sur une acidité parfaitement mûre et désaltérante qui propulse avec un beau tonus une matière agréable.
L'ensemble est droit et pointu, plein de rythme et de relance.
La seule petite réserve en dégustation seule émerge sur la finale à qui j'ai trouvé une petite pointe d'amertume qui resserre l'envol jusqu'ici aérien.
De la très belle ouvrage à ce niveau de cru et surprise totale au vu du millésime aux excès remarquablement maîtrisés !
Très bien.
Filet de veau légèrement fumé, écume de pomme de terre, chanterelles et truffe de Norcia
Plat totalement maîtrisé, absolument idéal pour mettre les vieux vins rouges en valeur !
La cuisson du veau est exceptionnelle de fondant et jutosité. Sortir une telle perfection pour 250 personnes, chapeau au chef Zambanini !
Fabio Gea, Barbaresco, Notu Andava Riserva, 2011
Robe grenat clair sans profondeur.
Nez léger et un peu instable, avec une pointe d'acétate qui chatouille les fruits rouges et un ensemble végétal et boisé mal intégré.
Bouche à l'attaque ferme, avec de l'amertume qui, curieusement, se fond dans un équilibre à la fois riche (sensations glycérinées) et rude par la charge tannique d'une présence certaine.
Le vin manque d'équilibre et de charme aromatique pour enrober l'ensemble qui s'abime dans une fermeté finale et un côté brouillon.
A revoir hors effet de séquence.
Car il y a du vin !
Château Trotanoy, Pomerol, 1970
Magnum
Robe bordeaux marquée d'une évidente évolution marron orangée. Aucun doute, c'est pas tout jeune !
Très beau nez au bouquet droit et classique, quand de belles notes épicées (cigare, cèdre) répondent à un végétal léger et agréable et que le vin a gardé du fruit. L'ensemble est franc et posé, avec un côté confortable et très lisible.
L'attaque de bouche est juteuse, sur un beau volume sans faiblesse et offre également beaucoup de fraîcheur, dans un style bordelais parfaitement maitrisé, quand le vin concilie présence et buvabilité et répond parfaitement aux accords sur table par son équilibre tout en tempérance.
Les goûts sont épicés et mentholés et le vin répond parfaitement au fondant du veau et aux notes truffées qui l'accompagnent.
Belle finale déliée, toute en fraîcheur.
Très bien, encore plus sur le plat.
Tuma persa et courge en escabèche
Domaine Robert Chevillon, Nuits-Saint-Georges 1er cru Les Roncières, 2009
Robe toute jeune, sur un grenat pourpre assez profond.
Nez brouillon et mal en place, chafouin, quand un élevage lacté parasite de jolies notes très pinot, sur les fruits des bois.
Bouche qui manque de lisibilité et d'harmonie, sur une belle attaque veloutée, une matière bien dotée mais qu'une légère amertume et toujours ces goûts légèrement lactés viennent parasiter.
Finale encore ferme et pas du tout fondue.
A revoir car pas facile à lire en l'état.
Domaine Georges Roumier, Chambolle-Musigny 1er cru Les Cras, 2004
Robe grenat claire, presque diaphane sur l'extérieur du disque.
Nez qui m'évoque irrésistiblement un vin en vendange entière par ses notes de cendre froide et son fin végétal parfaitement porté par les petits fruits rouges.
La bouche est évanescente, sur une délicatesse sans faiblesse qui tient le vin dans un équilibre léger à la finesse sans creux.
L'ensemble reste assez pointu et l'acidité présente signe le millésime plutôt froid.
La finale est d'une allonge certaine, toute en droiture avec des tanins encore présents.
Très bien.
C'est dingue comme une fois qu'on sait que c'est un 2004, le végétal agréable de l'aveugle semble comme verdir...
Comme quoi, on trouve souvent ce qu'on cherche, faiblesse que l'aveugle permet de recadrer !
Fagottino au gianduja, sorbet myrtille
Note pour l'avenir : essayer de rentrer un sucre dans la valise !
Pétard, quelle soirée !
Y'a pas à dire, les bouteilles, c'est bien mais les partager de manière ouverte, honnête et décontractée avec des ami(e)s aussi pointu(e)s que charmant(e)s, je ne connais meilleur moment pour honorer la passion du vin !
Il y avait du Gunthard autour de la table, moi, je vous le dis !
Merci à tous et toutes pour votre générosité !
La nuit a depuis longtemps éteint la lumière au dessus du Lac de Côme qui scintille pourtant de myriades de petites étoiles, sur ses eaux comme dans le ciel.
Alors que certains courageux au pas étrangement léger quoique un brin chaloupé décident de poursuivre le moment en allumant un barreau de chaise en terrasse ou en dégoupillant encore une ou deux merveilles, en bon garçon sage auquel l'âge avançant a appris la discipline, je regagne mon lit king size2 en espérant faire une bonne nuit réparatrice.
C'est bien de profiter mais il faut aussi durer. Car demain, on remet ça !
Et quelque chose me dit que la nuit sera aussi courte que la matinée studieuse et instructive.
Buonanotte tutti.
A suivre...
Oliv