Le millésime 2017 au Domaine Robert Groffier
Après avoir usé nos papilles sur de nombreux nectars de la Côte d'Or, il est venu le moment de prendre le clavier pour partager notre périple. Voici donc le premier compte rendu de notre récent séjour même si la visite ne fut pas chronologiquement la première.
Camarade Alex, qui prenait habituellement rendez-vous pour notre cercle avec Nicolas Groffier, n'est pas du voyage cette fois-ci. Il se sera néanmoins assuré que le contact soit établi par le biais adéquat. A l'obtention du créneau, nombre de mes autres comparses finissent d'être convaincu de la qualité du programme
Un magnifique soleil nous accompagne depuis la veille. Il est plus lumineux encore en cette fin de matinée.
- Bonjour,
- Bonjour,
- Il fait grand beau en ce moment. La végétation semble pousser. Quelques uns de vos confrères voient un début de débourrement dans leurs vignes.
- Ca va encore. Si cela persiste, nous devrions voir une accélération dans une ou deux semaines.
- J'imagine que la taille est finie.
- Oui. Et du coup nous sommes dans une période plus tranquille.
Retour sur les derniers millésimes
Nous ne descendons pas dans la cave mais pénétrons le bâtiment brun sur la gauche. La pièce s'ouvre sur une grande table rectangulaire centrale et des chaises. Nous nous asseyons face à une belle série de flacons du domaine.
- La salle de dégustation est nouvelle.
- Je voulais changer. Elle permet d'apercevoir la lumière du jour.
- Cela m'arrange pour les photos. La seule lueur de la bougie ne donnait pas suffisamment de luminosité
. Vous devez être satisfait de 2017 et 2018?
- Nous avons une grande chance. Nous ne sommes pas touchés sur 2016. En 2017 les volumes sont là mais il a tout de même fallu faire attention aux ravageurs. J'étais tous les matins à 4h30 avec ma frontale à aller vérifier la poussée de chenilles.
- Comment se traite-t-elle?
- Avec des levures pour leur donner une indigestion.
- Comment situez-vous le millésime?
- 2016 est une année minérale lorsqu'il y a beaucoup de concentration en 2017. 2017 est né dans la sécheresse. Les averses sont arrivées 10 jours avant les vendanges. Les baies étaient très concentrées et l'eau est venue adoucir cela. Comme si nous avions 75% de concentration et une petite dilution issue de la pluie. Un 2015 détendu ou un 2016 plus solaire.
- A quel rendement terminez-vous?
- A peu près 45 hl; 50 sur les petites appellations. Je n'aime plus la vendange en vert. J'ai arrêté. Et le millésime a su parfaitement tenir ces volumes. En 2013, nous faisons 25 hl. On n'aurait pas pu tenir 45 hl. Nous vendangeons à partir du 30 Septembre et le 2 Octobre c'était fini. Commençons la dégustation. Les bouteilles sont ouvertes depuis 2-3 jours.
Passetoutgrain
C'est frais, gourmand, immédiat. De la groseille. Une fine fluidité qui s'achève sur quelques épices.
AB-
- Pouvez-vous nous évoquer 2018?
- La vigne a fait 45hl toute seule. C'était parfait.
- Pourtant les températures furent caniculaires en Août. Et vous avez probablement du lutter contre la maladie en Mai/Juin.
- Nous n'avions pas eu d'eau jusqu'à l'hiver. Les nappes ont commencé à se constituer à ce moment là. Et puis oh la la, en Mai/Juin nous avons eu des 50 mm par soir. Heureusement qu'il faisait beau en journée. Il n'aurait pas fallu que cela dure 10 jours de plus. Les raisins se sont construits sous l'eau. Les baies ont rapidement pris du volume puis elles se sont concentrées et affinées. L'été a compliqué entre les alertes grêle et les températures. Les vignes ont cependant pu puiser la fraîcheur en profondeur. Et heureusement qu'il n'a pas plu avant les vendanges, les fruits auraient grossi à nouveau et les maturités se seraient diluées. Ça s'est finalement bien fini. 18 a un potentiel énorme.
- A quelle date vendangez-vous?
- Le 28 Août. J'avais passé mes vacances en haute montagne pour fuir la chaleur.
- Est-ce difficile de ne pas songer à ses vignes à ce moment-là?
- On y pense toujours un peu mais elles avaient les pieds dans l'eau
.
Bourgogne
Une palette de fruits rouges et noirs. De la groseille, des cerises vives et sombres mais également une trame "minérale", de la violette et une belle concentration. Même vendangé tôt, la maturité est plutôt belle.
AB+
- Pas de vendange entière sur le Bourgogne. La vinification est plutôt faite sur le raisin de l'année que sur le raisin de terroir. Le pinot autorise finalement beaucoup: les années fraîches et les années chaudes.
- A quelles autres millésimes compareriez-vous 17 et 18? L'enchaînement 2002 et 2003 peut-être?
- 2017 est à rapprocher de 97. 2018 serait 89 de part le climat. Juste ce qu'il faut, là où il le faut. Je trouve 2002 trop caractériel. En 2003, le débourrement est précoce. Il y a des gels ponctuels et la sécheresse est tardive. peu de similitudes avec 2018 donc.
Gevrey-Chambertin "les Seuvrées"
- Des sols sableux. Un tiers de vendanges entières. 7 à 8% de fûts neufs. J'ai décidé d'arrêter le bois neuf sur les Seuvrées. Ce sont les fûts de 3-5 ans qui lui conviennent le mieux. idéalement 4 ans.
- Que faîtes-vous des fûts entre 2 âges?
- Les fûts d'un vin jusqu'à 2 servent aux Passetoutgrain.
L'accueil est plus confortable. De la jeune fraise, de la cerise. La finale est minérale avec un soupçon métallique. Elle se prolonge sur la vivacité. Une seconde gorgée laisse entre-goûter des petits grains, une petite astringence, un vin sérieux.
B+
L'influence des sols sur la rétention de l'eau
Chambolle Musigny 1er Cru "les Hauts Doix"
"Des vignes de 80 ans. Un sol également sableux. La plante boit directement l'eau ou c'est perdu. 40 à 50% de VE car nous avons 2 âges de vignes. Celles de 40 ans sont égrappées."
Un accessibilité supérieure. Du cassis, de la mara des bois. Une grande gourmandise. La finale est étirée en un cylindre de tafta.
B+/TB-
"C'est un vin qui n'est pas prise de tête. Il sera toujours le plus ouvert. Je réfléchis d'ailleurs à réserver une partie pour la restauration. Il conviendrait très bien."
Chambolle Musigny 1er Cru "les Sentiers"
- 95% de VE. 25% de fûts neufs. C'est un vin toujours compliqué. J'adore. Il est caractériel. Il est bon tout de suite, jusqu'à un an, ou dans 15/20 ans. Il est celui qui se conserve le mieux." Des argiles dans un sol pas profond. Des terres rouges. Faut pas qu'il pleuve trop. Au lieu d'être simplement mouillé, il est très mouillé. Il devient alors compliqué d'y rentrer avec une machine. Et à l'inverse, lorsque les autres sols sont secs, lui est très sec.
- N'est-ce pas dans ce cas plus compliqué de travailler un sol aussi dur?
- Si. Il est trop sec en ce moment. Il craquèle en plusieurs endroits. Lorsqu'il pleut, l'eau passe dans les fissures. Il faut un peu de temps avant que l'argile se remette à boire. C'est ce qui fait son charme.
- Comment éviter la formation d'une croûte?
- Il faut labourer pour éviter un dessèchement du sol. C'est gagnant sur le long terme.
Un nez sur la poudre de cacao et la framboise. C'est bon depuis l'entame jusqu'à la finale acidulée. Un grand fond mûr.
TB+
- Dans 4/5 ans il va changer, se refermer et dans 10 ans et plus il va se transformer.
- N'avez-vous pas tenté de travailler sur la phase intermédiaire?
- Non, c'est comme ça que je l'aime. Il faut l'acheter en connaissance de cause. Il faudra certainement tester un coup de carafe de 24h. Je n'aime pas la carafe habituellement. Je ne suis pas sommelier. Je ne suis pas expert sur le sujet. Il faudra que je tente. Avec les Sentiers, il existe un côté "on est content du vin sans en être content à 100%". Il y a un petit truc qui interpelle.
Un choix fort pour la futaille
- Avec des rendements en hausse, comment gérez-vous votre futaille?
- Le Passetoutgrain et le Bourgogne me servent de tampon. Et lorsque j'ai fini de les utiliser, ils font de superbes bois de chauffe. Il ne reste rien après la combustion
. J'en file de temps en temps.
- Vous n'achetez jamais de fûts d'occasion?
- Non, je préfère les faire vieillir moi-même. Aucun risque sur leur provenance et leur entretien. Je suis plutôt méticuleux sur mes tonneaux. Je n'ai plus qu'un seul type de fûts. J'ai fait l'expérience de l'hétérogénéité. C'était le bazar. 1 rendez-vous / 1 livraison à chaque fois. Je travaille désormais uniquement avec Rémond. Je travaille avec filet car il y a une vraie négociation et une relation de confiance. J'ai toujours la possibilité de changer tout mon parc si un jour je n'étais plus satisfait. Différents représentants viennent régulièrement nous voir. Pour le moment ce ne sont des commerciaux. Je leur dis: "Prouvez-moi que votre produit est meilleur". Ils n'ont qu'à me laisser quelques unités et nous verrons si c'est le cas
. La confiance avec son fournisseur c'est essentiel.
Bonnes-Mares Grand Cru
"100% de VE. Un tiers de neufs. Des sols sableux, des terres rouges, des terres blanches."
L'entame est ouverte. On y trouve de la groseille, des épices, du clou de girofle, de la rose et des tanins traçant. L'acidité est un peu plus marquée mais le fond résiduel est gourmand.
TB+
- Bonnes-Mares est construit sur une base dissonante. Comme le jazz, les différentes partitions s'assemblent en un tout harmonieux. La partie des terres les plus lumineuses et froides pourrait être un terroir à vin blanc. Sur le haut, les raisins sont plus charpentés. La couleur est plus claire mais le jus est plus intense, plus énergique.
Des bouchons minutieusement contrôlés
- Tous mes bouchons viennent de chez Trescases. Depuis 2011, il y a un contrôle individuel des bouchons. Ils appellent cela NDTech. Il s'agit d'un nez artificiel pour déterminer la présence de TCA. Le seuil est paramétré à 0,2 nanogrammes. Cela correspond au nez d'un dégustateur averti sur du Riesling. Les critères les plus stricts donc. Si un défaut est révélé, le bouchon repart au lavage. Sur 3 à 4 millions de bouchons, seules 2 erreurs ont été relevées.
- Votre part de VE varie-t-elle avec les années?
- La variable se situe dans une fourchette très haute sur Sentiers, Bonnes Mares et Clos de Bèze. Un minimum situé entre 60 et 75%. C'est plutôt 10 à 20% sur Gevrey.
Chambolle Musigny 1er cru les Amoureuses
"50% de VE. 25% de fûts neufs. "
Un toucher soyeux, une grand longueur, de l'élégance. Les tanins sont suaves et fins. C'est très fin même mais d'une belle densité à la fois. L'équilibre s'articule autour d'un acidulé supportée par un fond. Il y a de l'énergie là-dedans. La fin du verre est mentholée.
Exc+
"Je reviens je vais vous chercher quelque chose."
Nicolas Groffier s'absente un instant avant de réapparaître avec un flacon qui a pris un peu de terre et de poussière.
Chambertin Clos de Bèze et les vins à maturité
- Nous n'apercevons pas le Clos de Bèze dans la série des bouteilles. Vous nous aviez évoqué l'an passé votre souhait de pouvoir proposer des bouteilles avec de l'âge. Est-ce la raison?
- Je les planque ailleurs
La première excuse, c'est effectivement d'offrir des vins à maturité. Mais c'est aussi parce que je n'ai pas envie de les vendre. J'ai envie de les vendre par passion pour des gens passionnés qui vont les boire. Je veux que ça n'aille pas trop loin. On sait que le vin, ça peut être cher. Le prix fait que c'est compliqué. Le vin doit cependant d'abord apporter du plaisir. Il faut à la fois que ça reste simple mais que ce soit bu avec une forme de respect. Ca ne doit pas être "que" du vin. C'est un instant de partage. Et j'aime pas que ça "fourgue".
- Les restaurants ne peuvent finalement plus faire ce que les anciens établissements faisaient, à savoir constituer une cave et la faire mûrir.
- Nous travaillons avec les restaurants. Je comprends que ça a un coût.
- Vous reprenez finalement cette partie de vieillissement. C'est ce que fait Emmanuel Reynaud depuis quelques années désormais.
- Oui. C'est à nous de proposer un produit fini. Les constructeurs automobiles ne vendent pas une voiture qui n'est pas peinte
.
- Comment allez-vous y parvenir? Il faut avoir suffisamment de roulement pour cela.
- On y va assez cool. Heureusement que nous ne le faisons pas pour 200 000 bouteilles
. Tenez, ça fait longtemps que je n'ai pas goûté 2011. Nous allons voir ce que cela donne.
Chambertin Clos de Bèze 2011
Un nez qui ne trompe pas sur l'évolution. Des champignons, des pleurotes, du poivron rouge. En bouche, c'est une multitudes de petites baies rouges. L'ensemble est fondu, long. On retrouve le poivron rouge également au goût. Il y a un léger animal. En réveillant un peu le vin, ça pinote de manière fort agréable.
Exc
- Ca appelle une viande ça. Nous vendangeons le 5 Septembre 2011. Les raisins sont tout petit. La pellicule a gêné la maturité.
- Au niveau phénolique?
- La phénolique était là mais il manquait du fruit. On ne va pas se mentir. 2011 ce n'est pas une tarte aux fraises
C'est comme 2004 en très, très mûr. Il n'y a pas eu beaucoup de jus.
- De quel niveau parlons-nous?
- 20 hl. C'est une année où il y a eu beaucoup d'extraction mais c'est rendu digeste par l'acidité. C'est un millésime classé à part. C'est bien ça n'a pas trop bougé.
La dégustation s'achève. D'immenses remerciements à notre hôte pour le temps qu'il nous a consacré, sa malice et ses éclairages plein de sens. Un grand moment à chaque fois. Des explications plus poussées sur l'enherbement la fois précédente. Une retranscription pertinente de la construction des millésimes cette fois-ci. Aucun doute, Nicolas Groffier est un vigneron réfléchi, précis et méticuleux. S'il était encore besoin de le répéter ici, le domaine subsiste dans le haut du panier de la Côte de Nuits et il continue à se donner les moyens et à prendre les décisions pour continuer à s'y trouver.