Quand l’ami Claude fête ses 70 ans, il ne le fait pas à moitié ! Nous nous sommes donc retrouvés hier midi au restaurant à son invitation, à quatorze autour de la table. Chacun n’était pas un fou de vin (il y en avait quelques-uns !) mais tous étaient des amateurs : les échanges ont donc été nombreux et avisés sur les plats, les vins et les accords.
Le menu avait été concocté conjointement par Claude et Didier Guyot, le propriétaire du restaurant « Le Beauvoir » à Bourges. C’est une excellente adresse, utilisant de très bons produits, avec des recettes sortant de l’ordinaire mais pas trop tarabiscotées, juste ce qu’il faut pour magnifier les goûts et les accords. Je dois dire que sur ce plan, les choix se sont révélés très judicieux et, au-delà de la somptueuse qualité des vins, ce sont ces mariages millimétrés et grandioses que je retiendrai.
Champagne – Billecart-Salmon – Cuvée Nicolas François Billecart – 1999 (magnum)
Un assemblage de 50 % chardonnay et 50 % pinot noir, servi avec des amuse-bouche (feuilleté au ris de veau, toast au tartare de saumon et terrine de volaille aux herbes) puis une petite soupe froide de poisson et grillé de pain.
La robe très engageante présente un or clair et un train de bulles élégantes.
Le nez est doté d’un fruité généreux, sur les fruits blancs et les fruits secs, agrémenté de notes grillées prononcées et de touches briochées.
La bouche réussit la synthèse entre vinosité et densité d’une part, élégance et nervosité d’autre part. De très fins amers viennent parfaitement relancer la finale très persistante.
Grâce à sa puissance maîtrisée, ce vin s’accorde à merveille avec les différents accompagnements, y compris avec l’excellente petite soupe dont le goût prononcé ne prend pas le dessus.
Très Bien ++ / Excellent
Saumur blanc – Domaine des Roches Neuves – Clos Romans – 2011
Je ne connaissais pas cette cuvée confidentielle de Thierry Germain : c’est une excellente découverte !
Carafé pendant une heure, ce vin a été servi avec une royale de girolles aux langoustines rôties.
La robe est d’un or brillant.
Le superbe nez est à la fois riche et d’une fraîcheur élégante : il exprime d’abord des arômes de fleurs blanches et de tilleul, puis, à l’aération dans le verre, apparaît une minéralité cristalline.
La bouche est charnue et suave, bien équilibrée par une belle vivacité. Le caractère fruité et floral l’emporte sur la minéralité, jusque dans une finale élancée de bonne facture.
La rondeur de ce vin répond très bien à la chair savoureuse des magnifiques langoustines et ses arômes floraux s’accordent particulièrement avec ceux des girolles.
Très Bien +(+)
Sancerre – François Cotat – La Grande Côte – 1989 (magnum)
Ce vin a accompagné un pavé de turbot aux asperges vertes, beurre de truffes d’été.
D’un bel or pas très marqué, la robe ne présente aucune trace d’évolution !
Servi directement depuis le magnum, les arômes du nez ne sont pas engageants pendant les premières secondes. Mais très vite il se révèle à l’aération dans le verre d’une complexité folle, évoluant sans cesse, d’arômes de fruits blancs vers des fruits plus exotiques, puis des senteurs anisées, truffées et même fumées…
La bouche n’est pas en reste et monte encore d’un cran : son équivalent géométrique est la sphère, celui sensoriel est la plénitude ! Le superbe fruité et la richesse de la matière donnent une impression de sucrosité alors que ce vin doit être parfaitement sec… L’équilibre est d’anthologie grâce à une acidité pas démonstrative mais suffisante qui porte très loin cette bouche merveilleuse.
C’est un mariage fusionnel, d’abord de texture, très serrée pour le vin et le turbot. Puis la douceur de la bouche s’allie superbement avec l’amertume des asperges, et enfin les arômes anisés du vin relancent les grains de fenouil du plat. Un seul petit bémol : les truffes d’été ont été un peu masquées par ces flaveurs dominantes d’anis.
Excellent (+)
Hermitage – Domaine Ferraton Père et Fils – Le Méal – 2005 (magnum)
Ce vin a été servi avec un pigeon de grain rôti aux petits pois frais.
La robe noire est dotée de quelques reflets grenat, signes d’un début de vieillissement que je ne retrouverai ni au nez ni en bouche.
Le nez puissant est d’un classicisme d’école : de belles épices, dominées par le poivre, et des arômes de violette s’appuient sur une base solide de fruits noirs, notamment le cassis. C’est tellement bon qu’on hésite entre y rester pour encore en profiter, et passer à la bouche pour vérifier si elle est à l’unisson.
Construite sur un équilibre magnifique entre fruité, finesse et toucher soyeux, celle-ci est à l’opposé d’un matador un peu « m’as-tu-vu » que l’on aurait pu craindre. Au contraire, sa belle rectitude lui confère une élégance rare et une persistance impressionnante.
C’est un bel adolescent qui atteint tout juste sa maturité, promis à un très bel avenir, surtout en magnum.
Un accord d’une évidence rare, aussi bien de texture que de saveurs, entre la générosité contenue, fruitée et épicée, du vin et la chair serrée et goûteuse du pigeon.
Très Bien ++ / Excellent
Sauternes – Château Guiraud – 2003
Ce vin a été servi avec une trilogie de fromages persillés accompagnée de salade de noix.
La robe est d’une couleur miellée, moins soutenue que sur d’autres millésimes de Guiraud.
Le nez est très intense, sur un botrytis très pur, complété d’arômes de fruits secs.
Dotée d’un volume magnifique, la bouche frappe par sa liqueur très riche et une très grande sapidité qui se prolonge jusque dans la belle finale. On peut lui reprocher un certain manque de fraîcheur mais ce n’est sans doute qu’en apparence et l’avenir nous le dira.
Les accords entre Sauternes et les fromages persillés sont très classiques, notamment avec le roquefort et la fourme d’Ambert. Mais pour moi, l’accord le plus réussi a été avec le gorgonzola, la richesse du vin arrivant à rivaliser avec l’onctuosité du fromage. Un accord sur la même longueur d’onde et pas d’opposition comme on les recherche parfois avec les fromages, l’ensemble se fondant au-delà des saveurs champignonnées des deux comparses.
Très Bien pour lui-même,
Très Bien + sur le gorgonzola
Rivesaltes – Château Mossé – 1945
Ce vin, du même âge que la personne à l’honneur de ce superbe repas, a conclu en apothéose une magnifique série, pour accompagner un gâteau « surprise » d’anniversaire au chocolat.
La robe est d’un acajou tirant sur le rouge, limpide et presque translucide.
Le nez est puissant mais c’est sa finesse et sa complexité qui frappent le dégustateur ! Tour à tour, les épices nobles, les thés orientaux, le caramel, les arômes floraux, le bois précieux se disputent la première place !
L’attaque en bouche est très concentrée et sapide, puis une vivacité dominante prend le relais et allonge ce vin qui sait garder longtemps ces saveurs d’un autre temps.
Un grand classique que ce mariage ! Mais avec un gâteau au chocolat (Trianon) de cette qualité et un vin aussi épanoui et vénérable que ce Rivesaltes 1945, c’est exceptionnel. Le vin a encore gagné en équilibre car l’effet de séquence entre puissance et acidité s’est complètement fondu, depuis l’attaque jusqu’à la finale.
Très bien ++
Pour finir, je tiens à remercier l'ami Claude pour son extrême générosité, et je lui laisse le dernier mot, en reprenant les citations qu’il avait choisies pour illustrer le menu documenté et personnalisé remis à chacun d’entre nous :
« L’amitié n’exige rien en échange, que de l’entretien » Georges Brassens
« L’amitié est comme les vins vieux, les années la rendent plus précieuse » Erasme
Jean-Loup