LPV Versailles, le Pinot Gris et les satellites de Châteauneuf-du-Pape
J’aurais pu faire plus court comme titre, par exemple LPVV, PG et SC9P, mais le moteur de recherche de LPV, quoique performant, n’y aurait pas retrouvé ses petits…
C’est donc notre benjamin (non, pas Benji qui nous a momentanément quittés
et a été remplacé par un autre grand connaisseur, Rémi
; mais le jeune, sympathique et néanmoins très compétent farandolier
) qui s’est collé à ce thème original et plein de pièges :
- un paradoxe puisqu’un fervent défenseur du thème pinot gris n’a pu être présent,
- des difficultés car certains n’avaient aucun pinot gris en cave car ils abhorrent ce cépage qui manque d’acidité et donne trop de sucres
- et enfin un grand écart entre une région principale très septentrionale pour les blancs et une très méridionale pour les rouges.
Ah oui, au fait, vous aurez compris que la première moitié du thème aura fourni les blancs et la deuxième les rouges…
quoique nous avons eu une surprise à la fin
!
Malgré tous ces pièges, Mathieu a réussi à nous concocter des paires très pointues avec pas moins de quatre mini-verticales et des paires constituées de quasi-jumelles du plus grand intérêt. Chapeau !
Pour accompagner un amuse-bouche , crème de pomme de terre citronnée et mousse d’oseille
Un premier pinot gris esseulé, d’une région méconnue
Domaine les Béliers – Moselle – Nina – Pinot Gris – 2017
La robe est d’une couleur paille soutenue.
D’abord assez mutique, le nez s’ouvre un peu à l’aération dans le verre sur des fruits blancs et des notes fumées.
Un très léger perlant se fait ressentir en bouche qui accentue une certaine acidité et une petite sensation minérale. La finale est plus ronde mais cela manque de sapidité de bout en bout. Un vin simple et sans défaut.
Assez Bien +
Ce vin aurait dû être proposé face au Clos Vélicane, mais notre GF (Gentil Fondateur) n’a pu nous rejoindre et nous présenter ce vin espéré.
Pour accompagner des ravioles de crevettes et pieds de veau, bouillon de crevettes (toujours aussi excellent !)
Première paire : une mini-verticale d’un vin sec d’un grand domaine alsacien sur un terroir mêlant argile, grès et calcaire, sur des millésimes qui font le grand écart
Domaine Ostertag – Alsace – Zellberg – Pinot Gris – 2008
La robe est d’un doré très dense.
D’une belle intensité, le premier nez est dominé par des arômes fumés et un peu de grillé, puis les fruits jaunes viennent rééquilibrer l’ensemble à l’aération.
La bouche parait huileuse, plus que grasse, sur des saveurs plus fruitées qu’au nez. Une bonne vivacité, salvatrice, surtout présente dans la finale, contribue à une allonge honnête.
Bien +
Domaine Ostertag – Alsace– Zellberg – Pinot Gris – 2017
La robe est de couleur paille.
Le nez intense entremêle judicieusement des fruits exotiques à des arômes floraux.
Avec un léger perlant pas dérangeant, c’est l’harmonie de la bouche qui caractérise ce vin, par son fruité franc, sa grande fraîcheur, sa finesse et sa longueur bien agréable.
Bien ++
Difficile de reconnaître un air de parenté entre ces deux vins et tout le monde est très étonné lorsque Mathieu nous annonce qu’il s’agit de la même cuvée ! Le 2017 ressemblera-t-il au 2008 dans neuf ans ? Je ne le pense pas et je crois de toutes façons qu’il faudra le boire avant, avec quelques années de garde pour lui apporter un peu plus de complexité.
Deuxième paire : une mini-verticale d’un vin demi-sec d’un très grand domaine sur un très grand terroir.
Domaine Albert Boxler – Alsace Grand cru – Brand – 2014
La robe est vieil or, d’une grande densité.
Bien ouvert et complexe, le nez truffe déjà, mais il dévoile également de beaux fruits jaunes à la tendance exotique.
Après un léger perlant en attaque, la bouche se révèle par ailleurs racée, dense, enrobée par les sucres résiduels pas trop marqués. La belle sapidité et la grande persistance toute en élégance participent à l’équilibre magnifique. Un grand (rare ?) pinot gris.
Très Bien ++
Domaine Albert Boxler – Alsace Grand cru – Brand – 2011
La robe est également vieil or, mais moins dense et fait apparaître quelques reflets rosés.
Le nez intense évoque celui d’un gewurztraminer par ses notes de fruits exotiques et de rose, sans être exacerbées.
Encore une attaque perlante, peut-être voulue pour rafraîchir la bouche d’une grande richesse, à la fois en aromatique et en sucres résiduels (20 g / l ?). Une acidité bienvenue permet également de mobiliser cette matière imposante et contribuer à la belle persistance.
Issu d’une année solaire en Alsace, ce vin est paradoxalement à attendre plus longtemps que son jeune frère notamment pour que la sensation de sucre se tempère.
Très Bien + en l’état
Pour accompagner une côte de cochon au topinambour et à la tapenade (confirmation que c’est une tuerie !) on passe aux rouges en s’orientant vers le sud, aux alentours de Châteauneuf-du-Pape.
Première paire : deux cuvées jumelles de la galaxie Reynaud
Château des Tours – Côtes-du-Rhône – 2012
Bouteille ouverte une journée à l’avance.
La robe très claire et nettement tuilée donne un premier indice notable sur la provenance du vin, quand on connaît sa région.
Le nez très intense associe des arômes aussi avenants les uns que les autres, avec de la rose, de l’orange sanguine et bien sûr des petits fruits rouges. C’est d’une gourmandise extrême et le doute n’est plus possible…
En bouche le fruité est tout aussi éclatant. Certes elle s’avère un peu capiteuse mais c’est tellement bon ! La finale longue et salivante invite à reprendre une gorgée.
Très Bien (+)
Domaine des Tours – Vin de Pays du Vaucluse – 2012
La robe est un peu plus soutenue et sur le grenat.
Le nez est bien intense, un peu moins que celui du Château et ce sont les épices qui dominent, avec toujours cette touche de rose qui est souvent la signature du vigneron.
La bouche est serrée, un peu comprimée. On y retrouve quand même une belle matière fruitée et un toucher très fin. L’acidité l’élance bien mais se fait un peu trop mordante sur la finale.
Un vin sans doute à attendre encore un peu pour qu’il se détende et se fonde.
Bien ++ / Très Bien
Deuxième paire : deux cuvées jumelles d’un autre fameux domaine, en conservant le même millésime
Domaine L’Anglore – Vin de France – Véjade – 2012
La robe assez claire présente un début d’évolution.
Le nez s’ouvre bien, d’abord sur un fruité pur de cassis, puis égayé par de chouettes notes florales.
La bouche est également toute en fruit, un peu monolithique mais d’une grande évidence et d’une belle buvabilité apportée notamment par une superbe fraîcheur. C’est persistant et on ne s’en plaint pas, au contraire !
Très Bien
Domaine L’Anglore – Vin de France – Pierre Chaude – 2012
La robe est sombre et jeune.
Ouvert mais pas exubérant, le nez exhale des arômes fruités plus « chauds », avec même un côté réglissé et des notes torréfiées (chocolat et café).
Un léger perlant et une certaine fraîcheur en bouche contrastent avec le nez, ce qui n’est pas déplaisant. En revanche le fruité n’est pas bien net et paraît un peu « trafiqué », un comble pour ce domaine très nature. Les habitués du domaine évoquent un problème de bouteille, d’autant qu’il s’agit de la cuvée haut de gamme.
Du coup j’en ai gardé un peu pendant une heure supplémentaire dans le verre. Malgré la température trop chaude, le vin a gagné un peu en franchise.
Bien + et
Bien ++ après forte oxygénation.
Troisième paire : deux cuvées jumelles déjà rencontrées et qui se confrontent sur un millésime plus ancien
Château des Tours – Vacqueyras – 2008
La robe est assez sombre et trouble, très évoluée avec une teinte bien roussie.
Le nez très intense donne lui aussi des signes de fatigue inquiétants. On y dénote certes des fruits compotés, mais aussi des accents d’oxydation comme le pruneau et des touches animales prégnantes.
La bouche est dotée d’une matière riche et serrée, au bel assortiment de fruits compotés, mais ces fruits paraissent un peu cuits et l’ensemble plutôt « madérisé ».
Dommage car on sent que cette bouteille a dû offrir un grand plaisir il y a quelques années.
Non noté.
Domaine des Tours – Vin de Pays du Vaucluse – 2008
La robe est assez sombre et présente des reflets tuilés.
Très engageant, le nez propose lui aussi des fruits compotés mais très agréables, sans aucune déviance, et bien assortis de jolies notes florales.
La bouche propose une chair très fruitée, au fruit plus primaire qu’au nez. Elle est dotée d’un équilibre d’école avec plus de fond que son alter-ego de 2012, une vivacité sans faille, un grain serré mais soyeux et une persistance toute en élégance et sapidité.
Pour moi le vin de la soirée. Comment, vous avez dit une dizaine d’euros ?
Très Bien ++ / Excellent
Quel coquin-malin ce Mathieu ! Avec cette paire et la première il a réussi à nous faire deux nouvelles mini-verticales à courte distance !
Quatrième paire : une nouvelle mini-verticale de la cuvée phare du domaine phare de Lirac
Domaine de la Mordorée – Lirac – La Reine des Bois – 2015
La robe est sombre et présente de nets reflets violets de jeunesse.
Le nez généreux et expressif présente un spectre aromatique allant des épices nobles à la tapenade en passant par les fruits noirs.
Avec la bouche on passe de l’autre côté du miroir. La matière est pleine mais d’un caractère plutôt austère, les fruits n’étant pas absents mais passant au second plan derrière des tanins gras. C’est un vin plus large que long même si une bonne acidité parvient à l’élancer.
Bien ++ / Très Bien
Domaine de la Mordorée – Lirac – La Reine des Bois – 2007
La robe très sombre paraît encore assez jeune.
Le nez intense est dotée d’arômes de fruits noirs mais aussi de cuir, un cuir pas très noble virant sur des notes animales qui ne parviendront pas à totalement disparaître malgré une aération énergique.
La bouche est riche, très corsée et concentrée, aux tanins serrés et costauds. On sent bien un peu d’acidité tenir tout cela en place mais l’impression capiteuse et chaleureuse domine. C’est sûr, il y a du vin ! Mais sans doute trop et une seule gorgée, même en la recrachant, suffira…2007 est vraiment le millésime le plus « too much » de ces vingt-cinq dernières années ! Ce vin parviendra-t-il un jour à s’assagir ? Et pourtant certains Châteauneuf-du-Pape ont réussi à sortir un grand vin dans ces conditions : je le sais car j’en ai dégusté…
Bien + pour récompenser la matière.
Cinquième paire : une mini-horizontale avec deux très beaux représentants de l’appellation la plus corsée du thème, sur un bon millésime
Domaine La Roubine – Gigondas – 2010
La robe est sombre et assez évoluée.
Intensément fruité, le nez conjugue des fruits légèrement compotés à des notes mentholées bien présentes et plus fraîches.
La bouche très extraite attaque violemment le palais d’autant que ni l’aromatique réglissée ni les tanins puissants ne tempèrent cette sensation. Elle manque de fraîcheur et se goûte difficilement à ce stade.
Bien, sans plus, pour l’espoir d’un lointain avenir meilleur.
Domaine La Bouïssière – Gigondas – 2010
La robe très sombre présente des reflets tuilés.
Le nez est relativement ouvert mais, sur une base de fruits noirs, laisse surtout apparaître une aromatique désagréable, tour à tour fermentaire et oxydée, ce qui est pour le moins paradoxal.
La bouche est vraiment trop virile, montrant ses muscles sous la forme de tanins hypertrophiés et sans élégance. L’aromatique est là aussi fatiguée.
ED ?
Après ces trois derniers vins je sens mon Vivien prêt à s’écrouler…
Sixième paire : une dernière mini-verticale de la cuvée phare d’un domaine incontournable dans la région
Domaine Richaud – Vin de Table – L’Ebrescade – 2007
Cet assemblage de trois tiers de grenache, syrah est mourvèdre n’a pas eu droit à l’appellation Cairanne cette année-là.
La robe bien sombre ne fait ni jeune ni évoluée.
Très expressif, le nez se partage entre fruits noirs, épices et olives noires. C’est donc la syrah qui domine.
La bouche au fruité massif et opulent, allant jusqu’à des arômes chocolatés, possède cette fois-ci suffisamment de vivacité pour l’amener à un point d’équilibre satisfaisant. Les tanins fins et la bonne persistance vont dans le même sens.
Très Bien
Domaine Marcel Richaud – Cairanne – L’Ebrescade – 2004
La robe est un copier-coller : bien sombre, ni jeune ni évoluée.
Le nez est très intense mais aussi très réduit, allant jusqu’à des arômes d’écurie. Cela va s’atténuer à l’aération sans complètement disparaître pour évoluer vers le cuir, les fruits noirs compotés et quelques épices.
C’est beaucoup mieux en bouche avec un équilibre encore plus réussi que sur le 2007. La belle matière dense et fruitée se fond harmonieusement avec une acidité bien présente, les tanins sont très doux et la belle finale élancée ne fatigue pas le dégustateur.
Très Bien (+)
Avec un dessert à la poire,
un liquoreux dans le thème et un autre en after car je n’avais même pas remarqué que l’on pouvait rester dans le thème sur un liquoreux…
Staatsweingut – Weinsberg – Württenberg – Weinsberger Schemelsberg – Ruländer Beerenauslese – AP-035 80 – 1979
La robe est véritablement acajou, très sombre ; non, on n’est pas encore sur les rouges…
Ruländer = pinot gris !
Le nez d’une très belle intensité séduit par sa complexité : on y trouve tour à tour du caramel, des notes finement brûlées, du cuir, de la banane…
En bouche les sucres sont encore présents mais bien fondus (sans doute 120 à 150 g mais une bonne cinquantaine ressentis) et dominés par une acidité dantesque. L’aromatique décadente divise entre ceux qui adorent et ceux qui exècrent. Je fais partie plutôt des premiers d’autant que sur la fin d’une persistance XXL ce sont des arômes de café qui l’emportent.
Quarante ans pour un vin déjà si rare par sa seule origine ? Respect !
Très Bien ++ pour ce vin très clivant.
Clos Le Comte – Sauternes – Cuvée Emilie – 2015
Un assemblage avec plus de 50 % de muscadelle, ce qui doit être unique dans tout le Sauternais !
L’or de la robe est très ambré et dense.
Le nez très intense offre un festival de fruits variés. On y décèle tour à tour et parfois en même temps du pamplemousse, de l’abricot, de la pêche, de la banane, de l’ananas, des fruits exotiques, des notes florales et j’en passe…
L’harmonie et la digestabilité se disputent la première place dans les caractéristiques de la bouche. Le sucre est léger, l’acidité d’une précision chirurgicale, l’aromatique tout aussi impressionnante qu’au nez et l’allonge remarquable.
Une vraie surprise pour tous que même ceux qui n’apprécient pas ou plus les Sauternes ont été ravis de déguster.
Très Bien +
Voilà qui termine sur une bonne note une chouette dégustation, certes pas prestigieuse mais ce n’était pas le but.
Nous avons pu confirmer, sur un échantillon certainement trop faible, qu’il est difficile de réussir des pinots gris secs à la fois classieux et avec suffisamment de tenue apportée par l’acidité.
Il est par ailleurs remarquable que la majorité des dégustateurs ait préféré les rouges du Rhône méridional sur un fruit digeste, même si parfois alcooleux, à ceux possédant plus de matière mais très charpentés et tanniques.
Un grand merci à Mathieu oo , qui, par ses choix de paires très judicieux, nous a permis d’explorer le maximum de styles différents et de juger les importances relatives du millésime et du vieillissement, le deuxième ne parvenant pas toujours à compenser les excès du premier.
A la prochaine fois ! Ce devrait être en Allemagne…
Jean-Loup