Entre vins et mets corses.
Une fois par an, nous nous retrouvons autour de la soupe Corse de notre amie Dominique dont la famille est originaire du Cap Corse. Devant le peu de disponibilité de mes camarades de C&G, je proposai à quelques amis dont le trait commun est d’être corse pour certains et d’avoir des maisons sur place où nous avons tous séjourné, une dégustation de vins corses venant de ma cave. Prise au jeu et fort bonne cuisinière, Dominique, avec l’assistance de ma douce, se mit en quête des mets savoureux, d’inspiration locale, qui les accompagnèrent.
rosé
1 Nicolas Mariotti Bindi. Uve Miste 2016. 80% de vermentinu et 20% de niellucciu.
petites tomates marinées, tapenade noire sur dentelle au parmesan, olives vertes, fenouil.
Au nez, une caresse d’agrumes vite rejoints par des arômes de fraise, de pate de coing, de cédrat. Son caractère charnu, complexe, comme éclairé par une fine tension, exprime une sensualité gourmande.
La bouche coulante, puissante délivre un jus concentré, presque velouté, large, déployé de toutes parts. Les amers sont prononcés, mais retenus par la tension qui les fait refluer sur eux-mêmes, comme pour contenir l’alcool (14°) qui anime la danse sans jamais la faire déborder. La persistance résonne longtemps de ce caractère dynamique, un peu fougueux et rock’n’roll par l’énergie déployée qui a vraiment du caractère. Un rosé singulier qui n’est pas sans rappeler celui de Stéphanie Olmetta
gouté ici
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blancs
2 Comte Abbatuci. Cuvée Faustine 2016 vermentinu.
tartelettes au brocciu et prizuttu avec ratatouille fraiche.
Le nez fin, délicat, complexe, croise subtilement des arômes de pamplemousse, de petites fleurs blanches, des notes anisées, des touches de camomille. Ce caractère subtil s’adosse à une empreinte minérale (rappelant l’odeur du galet pour certains) dont l’alchimie heureuse évoquait l’harmonie d’un jardin japonais pour une autre amie présente.
La bouche au toucher fin, gourmand, aussi subtile que structurée, est presque un parangon de tension idéale appliquée au vermentinu. Comme si la précision, l’harmonie, le raffinement avaient pris corps dans le jeu de saveurs. Avec en guise de signature, une subtile touche de miel éclos sur la finale, dont le grain délicat au charme fou prend ses aises sur la persistance et semble murmurer alors : d’où vient la beauté ?
3 Clos Canereccia amphore blanc 2016 vermentinu.
id
Le nez raconte vraiment une autre histoire. Après être monté au ciel, on redescend sur terre, voire sous terre, au cœur d’une racine de gingembre croisée à une fleur capiteuse et à cet arôme entre terre et pierre (plutôt argile en l’occurrence) marquant l’élevage en amphore. Un nez puissant, « racine » aux dires de certains, presque débridé que sa juste tension fait rentrer dans le cadre, mais dont le coté étonnant détonnant, qui a du caractère, peut séduire ou rebuter.
La bouche équilibrée, tendue comme il faut, est vraiment marquée du grain de l’amphore qui donne comme une pesanteur au fruit, très légère mais un peu « voilante ». On se surprend alors à mâcher son grain comme pour en faire sortir le fil acide qui l’éclairerait. C’est subtil, honnêtement, la tension ne manque pas, mais je ne suis pas sûr, à nouveau, que l’élevage en amphore valorise toujours le fruit qui, quand on l’avale, est comme ici très légèrement « plombé » par l’amer au gout d’amphore. Paradoxalement, c’est quand la mise en amphore ne se caractérise que par son absence (de saveur) et la pureté du fruit quelle révèle, qu’elle est, à mon gout, vraiment opérante. Je pense en disant cela à la cuvée Un jour sur terre du domaine le Clos d’un jour sur Cahors.
4 Antoine Arena Bianco Gentile 2015. Patrimonio bianco gentile
brochettes de St Jacques a la saucisse Corse
Le nez parfumé, caressant, entre pêche de vigne, abricot et fleurs blanches, dégage une impression d’équilibre. Le grain aussi beau que son fruit révèle son assise minérale et une très légère touche de sucre résiduel parfumé au fruit qui procure comme de la tendresse au nez.
La bouche ample et ronde donne la mesure du volume. On ne peut s’empêcher alors de rapprocher encore le verre du nez pour se rappeler combien il remplissait tout l’espace de ses parfums que la bouche transforme à nouveau en saveurs pleines, dynamiques, comme pénétrées de lumière et de fraicheur. Une opulence aux doigts de fée que ses amers qui swinguent, transforment en émotion subtilement miellée.
5 Nicolas Mariotti Bindi Mursaglia VP 2015. Patrimonio vermentinu
id
Le nez singulier dégage beaucoup de charme. Le fruit (agrumes, abricot) est comme pénétré de fins aromes de résine, d’aiguilles de pin, d’une touche un peu végétale et fleurie (fenouil, anis, fleurs blanches). Le tout assez complexe et délicat s’harmonise joliment comme sous les doigts d’un parfumeur inspiré.
En bouche, le grain concentré, assez puissant, dégage un sacré volume : des saveurs rondes, charnues, presque plantureuses, à fois en expansion, mais aussi comme pénétrées de fruit, de résine, de fenouil dont les amers sont gorgés au plus profond, le tout tenu à la baguette par une juste tension. C’est très bon, presque un peu too much, tant ce coté expansif peut paraitre un peu fatiguant, écrivait le scribe qui dans le même instant mâchait tant et plus les saveurs de grain de fenouil parfumé de tous les aromes du nez, délivrés par la persistance.
rouges
6 Domaine Saparale. Casteddu 2014. Sartene. 80 % nielluciu et 20 % sciaccarellu.
carpaccio de lonzu et tomme de chèvre
Le nez gourmand, profond, comme éclairé par sa fine acidité, étonne par son relief singulier. Difficile de trouver les mots pour rendre compte de la caresse croisée de la cerise noire et du gibier qui rend ce nez si saillant. Complexe aussi quand il se complète de petites touches sèches de maquis, de cuir noble, sur fond de boisé fondu, qui participent à son grain.
La bouche dupliquant le nez, se donne des formes savoureuses tant son coté saillant, tendu, joyeux , s’arrondit à merveille autour de ce gout singulier que l’on fait tourner entre langue et palais avant de le mâcher comme pour en extraire l’essence savoureuse, résolument corse. Ces vins de Sartène (Saparale, Fiumiccicoli et quelques autres) ont un sacré caractère.
7 Clos Teddi. Grande cuvée 2013. Patrimonio. niellucu.
Id
Le nez boisé, un peu fumé, dégage de jolis aromes de fruits noirs, de cuir, d’herbes du maquis, une petite touche de goudron.
La bouche coulante, assez soyeuse, joue sur la même recherche d’harmonie bien réelle sur le toucher fin, joliment tendu, presque délicat. Malheureusement vite rejoint, quand le corps se précise, par des tannins asséchants qui parasitent sur la finale ce qui avait si bien commencé. Dommage, je me suis vraiment régalé de toutes les cuvées du Clos Teddi, goutées auparavant.
8 JB Arena Grotte di Sole 2014. Patrimonio. nielluciu
sauté d'agneau aux poivrons rouges
Le nez un peu réduit de prime abord, finit par dessiner un paysage superbe dont on pressent le caractère juteux, dynamique que ses aromes fins, presque délicats, de fruits noirs égayés par une touche un peu plus acide, d’herbes du maquis, de cuir et de multiples épices , expriment si bien.
La bouche est à l’avenant, charpentée, juteuse à souhait, mais si fine, si parfumée, si éclairée par sa tension développant de beaux amers qui demandent encore à se fondre pour s’épanouir totalement, qu’elle acquiert une élégance un peu corsée qui marque et touche vraiment quand la persistance se déroule à foison.
9 Clos Canarelli 2014. Figari. nielluciu syrah
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An nez, bien avant que les arômes ne se dotent de noms, on est étonné par la précision, l’harmonie qu’ils dégagent. Jusqu’à se rendre compte que leurs parfums animés d’une fine tension, évoquant la garrigue, la tapenade, la grenade, les fruits noirs chauffés au soleil, dessinent une bien jolie composition.
La bouche tout aussi harmonieuse lui donne des formes, souligne son relief. Le grain se pare d’épices, d’une note empyreumatique un peu fumée qui se prolonge sur la finale dont le seul reproche qu’on pourrait lui faire, est qu’elle sèche un chouia. Impression contrastée car le tannin un peu revêche s’accompagne d’une mâche délivrant des parfums gourmands dont les amers au gout de cyste vous ramènent au cœur du maquis.
fromage
10 Clos Canarelli blanc 2015. vermentinu
brin d’Amour et autres fromages corses de brebis ou de chèvre.
Le nez plein, au caractère aérien, plus sur la finesse que sur la puissance, s’ordonne, s’élève comme une architecture : l’anis, le fenouil prédominants fondus aux agrumes (dont un zeste de citron vert émouvant) se présentent avec grâce et délicatesse. Ce nez appartient à ceux que l’on déguste.
La bouche au toucher fin, rehaussé d’une fine salinité, développe un volume superbe, aussi large que long, gorgé de saveurs pleines où le pamplemousse, l’anis, la pierre à fusil et une touche de miel, s’expriment avec délicatesse et plénitude. L’écho du toucher de bouche, marqué du sceau de la précision, résonne longtemps de ce caractère aérien, transparent, si bien posé.
11 Orenga de Gaffory. Cuvée des Gouverneurs rouge 2013. Patrimonio. Nielluccu.
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Nez assez soyeux sur les fruits noirs, le moka, le pain grillé, le cuir noble.
En comparaison, la bouche en demi corps, parait un peu atone, comme si elle manquait de rondeurs, de relief. L’équilibre est au rendez vous, mais l’élevage en futs de chêne se fait un peu trop sentir au détriment du fruit. Ce n’est pas mauvais, loin de là, et si on avait que ce vin là sous la main, on pourrait s’en satisfaire, mais après Arena et Canarelli, çà manque un peu d’éclat, à mon gout. Mais je reconnais que la persistance parfumée est assez sympathique.
12 VDN de Mursaglia. Impassitu dix ans d’âge. Domaine Pietri. malvoisie.
verrine de clémentines a la crème de marrons.
Au nez, un panorama de pruneaux cuits, de caramel, de dattes, assez enjôleur, malgré son coté un peu brut de décoffrage (manque de précision, de clarté).
La bouche confirme ce coté rustique, redoublé par l’impression que la texture n’est pas au rendez vous du fil acide, de l’alcool et du sucre qui, du coup, pédalent un peu dans le vide pour résorber la plainte des amers. Pas sur que la matière au départ « malvoisie récolté surmuri puis passerillé pendant 20 jours » valait le coup d’ « être élevé en barrique pendant 10 ans ». Vraiment rien à voir avec l’Impassitu génial de Nicolas Mariotti Bindi,
dégustés avec C&G
dont la bouteille de 50 cl qui me reste, aurait été un peu légère en quantité face à une si grande tablée.
Mais les amis présents qui apprécient le vin sans être habitués à déguster douze vins différents d’affilée, (qui ont fini plus dans les gosiers que dans les crachoirs) avaient déjà un peu décroché.
Merci de m’avoir lu.
Daniel