Une grande diagonale au plan géographique certes, mais aussi entre des valeurs sûres et des vignerons pointus plus que prometteurs : voilà ce que Mathieu nous a concocté pour cette très belle dégustation, avec des paires judicieusement sélectionnées. Il aurait pu innover encore plus en choisissant des Languedoc blancs et des Jura rouges mais il n’a pas osé… Pour une prochaine fois ?
Certains vins ont fait débat, selon les préférences des uns et des autres ; c’est souvent le cas à LPV Versailles et c'est tant mieux ! Mais tous se sont déclarés enchantés de cette soirée.
Une bulle pour préparer la bouche
Domaine des Marnes Blanches – Crémant du Jura – Réserve
Il s’agit d’un 100 % chardonnay, sur une base de 2013.
La robe est dorée.
Le nez s’ouvre bien et développe une aromatique hyper fruitée, sur des fruits blancs et des senteurs de raisins secs bien prononcés.
Avec la bouche on passe de l’autre côté du miroir. Par effet de contraste celle-ci se montre en effet plus austère, en raison d’une aromatique moins expressive, d’une grande tension et d’une bulle vive. La finale empreinte de minéralité est assez incisive.
Bien +(+)
Première paire de blancs : deux vins jeunes de domaines pour connaisseurs
Domaine Pignier – Côtes du Jura – GPS – 2018
G = Gamay blanc, ancien nom local du chardonnay, P = Poulsard et S = Savagnin
L’or de la robe est nettement rosé (influence du poulsard ?).
Le nez très intense exhale des arômes de praliné et de noisette sur un fond de pâtisserie, les fruits passant au second plan.
La bouche affiche un profil rond et fruité, étant soutenue par une acidité juste suffisante. C’est dans la longue finale qu’elle se révèle sur de fins amers et une belle salinité.
Bien ++
Ayant bu cette même cuvée sur le millésime 2015 un peu moins d’une semaine auparavant, je ne l’ai pas reconnue car le 2015 était étonnamment plus minéral. Mais elle doit avoir besoin d’un supplément de vieillissement car le 2015 aussi m’avait paru doté de moins de caractère dans sa jeunesse.
Domaine Les Dolomies – Vin de France – Les Boutonniers – 2017
La robe présente un or assez dense.
Le nez dégage une forte odeur d’acidité qui n’est pas que volatile car provenant de l’acétate d’éthyle. Après une aération vigoureuse, cette odeur va se réduire un peu pour laisser apparaître un peu d’agrumes mais cela reste désagréable pour moi.
La bouche est moins marquée mais présente tout de même cette sensation de vinaigre en rétro-olfaction. C’est dommage car après oxygénation le vin dévoile une belle matière habillée d’un certain gras.
Assez Bien
Je dois dire que beaucoup de dégustateurs ont été moins sensibles que moi à ce défaut.
Deuxième paire de blancs : vins de chardonnay ouillés de 2016, de vignerons peu médiatisés mais ô combien recommandables
Domaine Philippe Chatillon – Côtes du Jura – La Grande Chaude – 2016
La robe arbore un or moyen.
Bien ouvert, le nez présente une belle expression florale teintée de fruits jaunes.
La bouche joue dans un registre droit et long, dotée d’une tension qui lui procure une certaine percussion jusque dans la finale où la sapidité s’épanouit mieux.
Très Bien
Domaine Les Granges Paquenesses – Côtes du Jura – La Mamette – 2016
La robe est parée d’un or dense.
Le superbe nez brille par sa très belle intensité et son aromatique variée, allant des fruits jaunes à la noisette et aux belles épices, nuancée de notes florales.
La très belle matière en bouche se déploie avec une grande ampleur et affiche une magnifique sapidité. La finale persistante et saline ponctue en beauté ce très beau vin, pour moi le meilleur blanc de la soirée.
Très Bien +(+)
Ce n’est qu’une confirmation pour LPV Versailles qui avait déjà rencontré un grand vin (un savagnin ouillé) de Loreline Laborde, jeune vigneronne talentueuse, lors du
Jura Tour
. Je n’avais pu y participer et c’est donc une très belle découverte pour moi.
Troisième paire de blancs : deux cuvées de chardonnay ouillées d’un grand domaine sur le même millésime 2014
Domaine Tissot – Arbois – Patchwork – 2014
La robe est d’un or moyen.
Le nez très intense présente une fine réduction sur un joli grillé qui vient complexifier la base aromatique de noisette et de fruits blancs.
La bouche est pleine de dynamisme, d’un élan incisif sans déficit de matière. La très longue finale sur le sésame est dotée d’une acidité salivante.
Très Bien +
Domaine Tissot – Arbois – La Mailloche – 2014
L’or de la robe est teinté de reflets légèrement gris et roses.
Bien intense, le nez est très différent, sans indice de réduction, sur des arômes de fruits très mûrs et de pâtisserie, annonçant un jus d’exception.
La bouche se révèle en effet très riche par sa densité fruitée et son volume. Elle est également mobilisée par une très belle acidité, celle-ci devenant dominatrice dans la belle finale. Il y a donc toutes les caractéristiques d’un grand vin mais elles ne sont pas encore complètement fondues à ce stade, ce qui ne manquera pas d’arriver d’ici cinq ans.
Très Bien +
La comparaison des deux cuvées était fort intéressante, la cuvée « générique » se montrant moins opulente mais sans doute à son optimum alors que La Mailloche a un avenir radieux devant elle.
Première paire de rouges : une même cuvée, très particulière, d’un grand domaine, sur deux beaux millésimes voisins
Domaine La Terrasse d’Elise – IGP Hérault – Le Pradel – 2013
La robe est bien claire et jeune. Je me dis qu’une robe aussi claire en Languedoc ne peut provenir que du cinsault.
Le nez très intense affiche un fruité charmeur avec des effluves de fruits rouges, notamment de fraise, de la rose et des épices. Cela évoque l’aromatique des vins d’Emmanuel Reynaud et m’oriente donc vers la cuvée Le Pradel de la Terrasse d’Elise.
La bouche confirme avec sa texture de dentelle, sa finesse, sa sapidité enjôleuse avec même une sensation de douceur, jusqu’à une finale élancée et plus acidulée.
Je pense à 2014 ou 2015…
Très Bien + si comme moi on aime ce style, qui par ailleurs me rappelle furieusement Reynaud.
Domaine La Terrasse d’Elise – IGP Hérault – Le Pradel – 2012
La robe est bien sombre, assez trouble, ni jeune ni évoluée.
Le nez est assez mutique, il faut aller le chercher pour déceler des fruits plutôt noirs, rehaussée par une touche de volatile.
La bouche est beaucoup plus charnue, à la présence fruitée affirmée, toujours sur les fruits noirs. L’alcool ne se ressent en revanche pas du tout et c’est en finale que la belle acidité se fait jour.
Très Bien
Quelle surprise pour moi quand l’identité du vin est révélée ! Autant j’avais eu une bonne intuition sur la bouteille précédente, autant il était impossible à mon avis de reconnaître la cuvée en raison de la robe si sombre (voir photo suivante) et de sa structure en bouche.
Heuh, c'est le même vin à un millésime d'écart ?
Nota : je n'ai pensé à faire la photo qu'avec les fonds de verre qui ne montrent pas la jeunesse des robes mais bien leur différence de densité.
D’ailleurs j’ai bu deux fois ce vin (CR dans le fil dédié), la première en 2014 s’étant révélée too much et la deuxième beaucoup plus équilibrée mais dans le style du 2013 de cette fois-ci.
Il semblerait qu'une majorité des dégustateurs aient préféré le 2013…
Deuxième paire de rouges : deux beaux domaines des Terrasses du Larzac sur des millésimes d’âge moyen
Domaine Saint-Sylvestre – Terrasses du Larzac – 2014
La robe sombre montre des reflets violacés.
Moyennement intense, le nez est axé sur des fruits noirs somptueux, ce qui le rend très séducteur, avec des notes de garrigue d’un bel effet.
La bouche sait se montrer digeste grâce à sa superbe fraîcheur, sans manquer de volume ni de chair fruitée très sapide et goûteuse.
Un style épuré et élégant, peu courant en Languedoc, mais très chouette !
Très Bien +(+)
Domaine de Montcalmès – Terrasses du Larzac – 2013
La robe très sombre laisse transparaître des reflets de jeunesse.
Le nez se montre bien intense et embaume les fruits noirs, avec des inflexions fumées et de cuir.
Pleine, dense et riche, la bouche se déploie sur une opulence fruitée et réglissée. La puissance est rehaussée par la mâche et des tanins gras. Elle reste néanmoins équilibrée par une acidité sous-jacente et par de fines notes mentholées.
Un vin au très gros potentiel mais à attendre encore cinq à dix ans.
Très Bien (+) à ce stade.
Troisième paire de rouges : la même cuvée d’un grand domaine sur deux millésimes différents
Domaine Les Aurelles – Languedoc Pézenas – Solen – 2013
La robe très sombre est toujours assez jeune.
Le nez d’une bonne intensité me rappelle la syrah par ses arômes de cassis, de fumée, de menthol et de cuir. Raté, c’est un assemblage de 60 % de carignan et de 40 % de grenache.
La bouche est dotée d’une certaine classe, sur une austérité aristocratique de toute beauté. Elle joue sur une finesse de trame et une vivacité dynamique, jusqu’à une finale plus chaleureuse.
Très Bien (+)
Domaine Les Aurelles – Languedoc Pézenas – Solen – 2011
La robe est bien sombre, et elle a perdu ses reflets de jeunesse sans gagner ceux d’évolution.
Très intense, le nez est engageant par son fruité bien mûr et ses touches de garrigue.
La bouche est étoffée, charpentée et solaire, avec même un côté capiteux et des arômes chocolatés. L’acidité est présente au second plan et permet d’espérer un avenir encore meilleur.
Très Bien (+)
Cette confrontation était intéressante car les caractéristiques des deux vins étaient différentes et si on m’avait dit que j’étais en présence d’un 2013 et d’un 2011, j’aurais inversé les étiquettes… Mais la synthèse des deux devrait être formidable : elle existe, c’est le 2012 (logique !), et
la bouteille bue en octobre dernier
était un grand vin !
Quatrième paire de rouges : deux grands domaines sur un grand millésime à point
Mas Jullien – Coteaux du Languedoc – 2005
La robe très sombre montre encore quelques reflets violine.
D’une bonne intensité, le nez exhale un fruité classieux et élégant, mâtiné de notes épicées presque orientales et de belles touches de thym.
La bouche est bâtie sur un équilibre abouti entre une matière mûre et puissante et une finesse remarquable. L’acidité vibrante lui apporte dynamisme et allonge, jusqu’à une finale savoureuse.
Très Bien ++ / Excellent
Domaine de Montcalmès – Coteaux du Languedoc – 2005
Bien sombre, la robe est légèrement trouble et tuilée sur la frange.
Le nez captive par sa densité et sa complexité. Il papillonne entre les arômes de chocolat, de fruits noirs bien mûrs, d’épices et de garrigue.
La matière en bouche est à la fois dense et pulpeuse, bien enrobée par un élevage luxueux, et bien mobilisée par une acidité sans faille. Les tanins très doux et la longue finale d’une gourmandise extrême parachèvent cette belle œuvre.
Excellent
Cinquième paire de rouges : deux vins de domaines qui ont eu leur heure de gloire sur un même grand millésime.
Domaine des Aires Hautes – Minervois La Livinière – Clos de l’Escandil – 1998
La robe est presque noire, d’une légère turbidité, évoluée certes mais tant que cela.
Bien intense, le nez mêle des arômes de mûre, de suie, de garrigue et de cuir.
La bouche est d’une grande fraîcheur et d’une grande jeunesse. Le fruité est encore bien présent, traversé par une belle énergie. Des tanins légèrement asséchants montrent cependant que ce vin a dépassé son apogée et viennent s’associer à une finale de mi-longueur acidulée.
Bien ++
Prieuré de Saint-Jean de Bébian – Coteaux du Languedoc – 1998
La robe est également presque noire, également légèrement trouble, mais présente des reflets nettement fauves, signes d’une évolution certaine.
Le nez très intense est dominé par des arômes fumés, puis viennent quelques fruits noirs mais surtout des arômes végétaux peu avenants.
La bouche confirme car, même si sa matière est encore bien présente, elle part sur une aromatique végétale et un peu amère, sans persistance.
Assez Bien
Dommage car voici ce que j’écrivais sur ce vin en 2011 sur LPV, ayant cru à tort qu’il était au niveau du très beau 2001 :
J'ai commencé à boire ce vin en 2002 : fruité mais trop jeune, 15,5 /20.
Puis il s'est amélioré jusqu'en 2005-2006 : très belle bouche, 17/20
Il a ensuite décliné ; ma dernière bouteile bue en 2008 : sur le gibier, bouche un peu courte, 16/20.
Bonus proposé par Gilles qui voulait montrer que les vins du Languedoc peuvent bien vieillir.
Château La Voulte-Gasparets – Corbières – Romain Pauc – 2000
Un vin de monocépage carignan.
Malgré sa robe encore nettement sombre, les reflets bien tuilés trahissent les vingt ans de la bouteille.
D’une expression intense, le nez ravit par la belle partition jouée : des fruits noirs, une note lardée, du menthol, une touche de cuir, du cacao et même des arômes médocains et tertiaires de bois précieux et de tabac !
La bouche fait preuve d’un bel équilibre, s’appuyant sur une chair savoureuse et moelleuse, un élevage luxueux et parfaitement intégré et une fraîcheur délicate. Les tanins soutiennent bien l’ensemble mais se révèlent un soupçon asséchants en finale.
Très Bien +
Un vin oxydatif pour refaire la diagonale en sens inverse
Domaine des Marnes Blanches – Côtes du Jura – Empreinte – Savagnin – 2009
Il s’agit d’un vin élevé pendant trois ans sous voile.
La robe se teinte d’un or dense.
Le nez est puissant, sur des arômes de céleri dominants, mais avec aussi une belle gamme florale, des fruits jaunes et du curry.
La bouche est remarquablement équilibrée, avec notamment un léger gras en attaque et des arômes oxydatifs très doux. Elle marque une pause avant de reprendre son envol vers une grande finale très sapide, saline, digeste et élégante.
Très Bien +
Nous terminons donc en retrouvant le domaine avec lequel nous avions débuté cette dégustation, et la boucle est bouclée. Nous garderons un très bon souvenir de cette soirée : quasiment pas de déceptions, un niveau d’ensemble remarquable, de très beaux fleurons et pour moi deux très belles découvertes.
Un grand merci Mathieu !
Jean-Loup