Verticale Châteauneuf-du-Pape Laurent Charvin 1998-2013
Jeudi soir 17 janvier 2019, mon ami Gérard Esposito a organisé dans la région lyonnaise une verticale 1998-2013 du Châteauneuf de Laurent Charvin en présence de Laurent. Gérard achète les vins de Laurent depuis 1998 et nous a proposé une dégustation à prix coûtant (incluant la location de la salle) qui est revenue à 35€/personne pour 15 millésimes.
Laurent commence par nous dire qu'il ne fait pas trop souvent ce genre de dégustation car elle représente un chemin de vie et, à l'époque des réseaux sociaux, il faut être blindé quand on s'expose. Mais il se dit en terrain connu car il connaît pratiquement toutes les personnes présentes à cette dégustation.
Le domaine est situé au Nord-Ouest de l'appellation de Châteauneuf-du-Pape et son origine remonte à 1851; bercé par la polyculture, pas de mise en bouteille avant la fin des années 80 (les vins étaient achetés par les négoces du Nord de la vallée du Rhône).
À la fin des années 80, des vignerons comme Vincent Avril ont apporté une vision plus culturelle du vin à Châteauneuf qui n'était pas si ancrée qu'on peut le penser maintenant. Laurent a accompagné ses parents à partir de 1990 et qui se sont retirés en 2002. L'équipe est constitué de 3,4 permanents très soudés.
Dans la verticale de 1998 à 2013 qui nous est présentée, on notera une très grande homogénéité des parcelles; à partir de 2016, le vignoble s'est agrandi avec une parcelle de counoise. Les sols du domaine sont argilo-sabloneux; Laurent nous fait remarquer que les calcaires sont assez rares dans l'appellation, essentiellement présents dans le secteur de la Gardine.
L'assemblage est composé de 85% de grenache, 5% de syrah, 5% de mourvèdre et 5% de vaccarèse. Le domaine est en bio; là encore, il s'agit pour Laurent d'un chemin de vie construit par petits pas. Le vin est 100% vendanges entières qui apportent de la fraîcheur et de la complexité; il n'y a d'ailleurs pas d'érafloir au domaine! Le vin est élevé en cuves béton, avec des levures indigènes, n'est pas filtré, et composé d'une seule mise, ce qui était déjà le cas déjà le cas en 1990.
Les bouteilles ont été achetées par Gérard année après année. Elles ont été ouvertes le matin, seule le 2004 avait une légère déviance liégeuse, et Laurent a remonté un magnum de Châteauneuf. Les millésimes ont été dégustés par ordre décroissant, avec une impasse imposée par la volonté de se limiter à 15 vins qui s'est portée sur 2002 comme elle aurait pu se porter sur 2003 ou un autre millésime.
Remarque : les notes de dégustation qui suivent ne sont pas détaillées ni précises car 1) je devais aider au service des 34 invités 2) pour des raisons logistiques, le rythme de dégustation était soutenu (les vins ont été dégustés en soirée sur moins de 2h30). Mais l'essentiel était de profiter de ce moment privilégié, pas de prendre des notes.
Les millésimes 2013, 2012 et 2011
Laurent nous parle de 2013 comme un millésime très tardif, avec des vendanges du 23/09 au 04/10. À titre de comparaison, les vendanges 2012 se sont terminées le 23/09. 2011 est un millésime avec beaucoup d'alcool, qui a débuté par de la pluie suivie d'une longue période de mistral.
2013 : robe assez claire, nez plutôt fermé sur la framboise, les fruits rouges mais les arômes sont plutôt éteints. Nez froid. Le corps est frais lui aussi, avec des tannins et une acidité pointus. Un vin fin, charmant (mais pas facile). Laurent le qualifie de l'un des plus grands millésimes des années 80
2012 : Nez plus ouvert, plus ample, plus mûr, avec plus de tannins en finale. Le vin est plus dense, taillé pour une plus longue garde.
2011 : Nez très ouvert sur la fraise, la rose. La bouche est plus riche, plus mûre que les 2 vins précédents, avec les premières nuances chocolatées. Les 15% d'alcool ne se font jamais sentir dans ce vin qui possède beaucoup de finesse.
Les millésimes 2010, 2009 et 2008
Les dates des vendanges sont identiques en 2010 et 2008, du 15/09 au 26/09. Elles ont débuté le 09/09 en 2009 qui est une année très riche en tannins.
2010 : des nuances de fourrure dans le premier nez. Nez plein, épicé. Bouche équilibré, longue. Laurent dit qu'il aimerait un peu plus de niak dans ce vin aujourd'hui.
2009 : Arômes plus mûrs, de cassis notamment, sans pruneau cependant; on atteint mon seuil d'acceptation de la maturité dit Laurent. La bouche révèle une grande masse de tannins, l'équilibre est pour l'instant moins net que dans le vin précédent, mais il me semble être le vin au plus grand potentiel de la série.
2008 : Nez épicé qui rappelle le 2010, avec une peu plus de fraîcheur mais moins de densité en bouche. C'est le vin de la série qui se goûte le mieu aujourd'hui, et je suis surpris de par sa parenté avec le 2010, ce qui n'était pas évident a priori.
Les millésimes 2007, 2006 et 2005
Laurent les analyse comme des années sans problème particulier dans le cycle végétatif.
2007 : vin concentré, riche, mais la température de service fraîche fait qu'on ressent un velouté, un caractère juteux agréable et non pas un masse d'alcool. Vin complet, le nez se pose à l'aération. Il est plus imposant/massif que les 2 qui suivent.
2006 : arômes plus fins, plus frais que le 2007, avec un trait de vert. La bouche est plus svelte, mais pas moins longue. Très bien.
2005 ; on progresse encore dans la fraîcheur et la finesse du nez, avec les premières notes de terre, de suie, avec un corps plus structuré que le 2006.
Les millésimes 2004, 2003 et 2001
Avec cette série, on franchit un cap dans le plaisir que procurent les vins. Le fait d'écarter le millésime 2002 n'est pas dû à la crainte d'une mauvaise évolution du millésime (cf mon compte-rendu sur le CDR 2002 récemment) mais à la volonté de Gérard de se limiter à 15 vins dans cette verticale. Le 2003 aurait pu être écarté de la même façon que ce 2002.
2004 (en Magnum) : magnifique nez de truffe et de terre. Vin à la robe assez claire, éthéré, délicat. Tout en harmonie. Le plus agréable à boire aujourd'hui depuis le début de la série.
2003 : le nez est un peu plus refermé que le 2004, toujours avec des nuances de terre/truffe/suie. En bouche, le vin est frais, plus que les 2007/2006 et 2005. Impossible de retrouver le millésime à l'aveugle.
À ce propos, Laurent nous raconte l'anecdote de ce prof d'oenologie à qui on fait goûter ce vin à l'aveugle devant ses élèves en lui précisant qu'il est d'un millésime situé entre 2001et 2010. Je ne sais pas de quel millésime il s'agit, aurait-il dit, mais je sais celui qu'il n'est pas... 2003!
2001 : Magnifique nez avec des nuances de gibier à plume (bécasse), et toujours de la terre/de la suie. La fraîcheur tire le vin en longueur. Superbe.
Les millésimes 2000, 1999 et 1998
2000 : le nez est plus mûr, se montre plus que le 2001. Arômes de fruits surmûrs, de cendre. De la densité, de la générosité, mais sans lourdeur. Le vin semble indestructible.
1999 : nez de truffe, de terre, de réglisse, d'orange sanguine, avec un trait de vert qui rappelle le non-éraflage. En bouche, on pourrait le confondre avec une belle syrah, voire un pinot de belle origine. Magnifique, le plus beau vin de la soirée.
1998 : là encore on trouve de la réglisse, de l'orange sanguine, nez très posé, serein, qui annonce un vin qui semble indestructible. Encore un excellent vin, impossible de dire qu'il a 21 ans.
Conclusion
Cette soirée était avant tout un superbe moment de convivialité organisé par Gérard Esposito en compagnie de Laurent. Nous avons accédé à 15 ans de son travail, un chemin de vie comme Laurent le dit. Je remercie Gérard pour sa générosité pour nous offrir ces dégustations d'exception et Laurent pour sa présence et toutes les informations qu'il nous a apportées.
Je retiens de cette soirée l'excellent niveau de tous les vins, la très grande régularité quels que soient les caractéristiques et excès du millésime. Du coup, les millésimes me semblent moins différenciés qu'ils le seraient dans une verticale de syrah septentrionales. Je vois deux pistes de réflexion pour expliquer cela :
- la météo du Sud me semble plus constante que dans le Nord;
- mais il ne faut pas oublier le talent (et le travail) de Laurent qui arrive à sortir des 2003 et 2007 frais, et des 2002 bluffants malgré les inondations (même s'il n'a pas été dégusté ce soir, mon récent compte-rendu du Côtes-du-Rhône 2002 en témoigne). Un tel niveau de régularité sur 16 ans est exceptionnel.
La lecture des commentaires de dégustation montre que les vins les plus appréciés ont été les vins les plus âgés, avec une transition qui s'effectue tranquillement à partir du 2005 qui avait 13 ans 1/2 quand-même. Même si j'ouvre des 1/2 bouteilles dans leur jeunesse, j'ai constaté ce soir l'importance de laisser vieillir les Châteauneuf au moins 15 ans pour accéder pleinement à leur potentiel, comme ce que je pense des Médocs.
Cette dégustation me donne l'envie de recommencer... avec le Côtes-du-Rhône quand ma cave aura un peu grandi.
David Chapot.