L’abondante littérature sur le vignoble fait état de trois terroirs bien distincts à Gaillac : le terroir des premières côtes, celui du plateau cordais et enfin le terroir de graves de la rive gauche du Tarn. Il suffit cependant de prendre une carte de l’appellation pour remarquer cette enclave à l’Est de l’appellation, qui pourtant la comprend : Cunac.
La réalité semble d’ailleurs ne pas être si simple en terme de géologie et permet de comprendre d’ailleurs qu’il est un peu simple d’opposer comme on l’a fait trop souvent rive gauche et rive droite, la première étant favorable aux vins rouges et l’autre aux vins blancs. Il est tout à fait possible de revisiter cette division en isolant la plaine du Tarn, composée d’alluvions récentes, peu propice à la culture de la vigne et pourtant largement plantée. Les coteaux du nord étant constitués de terreforts calcaires peu à moyennement profonds, sensibles au stress hydrique et pauvres. Au sud, on trouve plus d’argiles à graviers. Le plateau Cordais est bien individualisé : il est composé de sols calcaires peu profonds, pauvres, qui emmagasinent rapidement la chaleur. Ils sont sensibles à l’érosion. Mais que l’on tourne la question dans tous les sens, l’enclave excentrée de Cunac ne rentre dans aucune de ces catégories et force est de reconnaître que les sources sont bien rares, comme si il y avait une volonté de l’éliminer, de l’éradiquer, à l’image d’ailleurs de l’évolution de la surface plantée qui diminue comme peau de chagrin. Du reste, le nom même de Cunac qu’arboraient fièrement les étiquettes des bouteilles qui en contenait l’essence est aujourd’hui renié et seul « Gaillac » est autorisée sans mention de l’origine précise, comme si l’administration locale avait voulu gommer ce particularisme. On peut d’ailleurs s’étonner de ce mouvement unificateur, voire uniformisateur, quand partout dans les zones de production de vins de qualité, la politique est à l’individualisation des crus. Et pourtant, ce terroir de Cunac existe bel et bien, clairement différencié du reste de l’appellation, avec ses sols caillouteux, acides, reposant sur des argiles à graviers. C’est d’ailleurs peut-être aussi cette différence qui crée l’oubli et le traitement qui a été réservé à cette zone. Une différence telle que la caractéristique du vin n’a pas été comprise (et ce terme est à prendre dans ces deux sens), ne correspondant en rien à ce qui se faisait dans le reste de l’appellation. Dernière infamie faite à ce terroir, l’inclinaison donnée à éliminer la richesse ampélographique de la zone, où l’on trouvait par exemple du Carignan, pour y planter presque exclusivement du gamay. Est-ce la présence de schistes qui a laissé penser que ce terroir s’y prêtait mieux qu’un autre ? Toujours est-il que c’est cette réalité aujourd’hui qui prévaut et qu’effectivement, « on » a fait de cette enclave une zone bien terne, pratiquement dévolue à la production de vins primeurs à base de gamay, la totalité du raisin étant livré à l’antenne locale de la cave coopérative de Labastide de Levis.
Quelle injustice, pourtant ! Le vin rouge de Cunac est le plus ancien vin rouge de Gaillac reconnu officiellement : Pendant près de 50 ans, au cours du XXème siècle, il a été le seul VDQS (Vin Délimité de Qualité Supérieure) du département (le Gaillacois était alors spécialisé dans les vins blancs et mousseux). Si l’AOC avait été obtenue en 1938 pour les vins blancs, ce n’est qu’en 1970 que Gaillac a été reconnue appellation d’origine contrôlée pour ses vins rouges et le mérite en revient d’abord à la qualité des vins de Cunac.
Il est certes un peu romantique de s’inscrire dans cette vision de la belle oubliée, du fabuleux terroir qui sommeille. Ce qui est certain cependant, c’est que ce terroir si particulier vaut bien mieux que le sort qui lui a été réservé. A l’heure où l’on cherche des terroirs de qualité pour le vin, là où la vigne n’avait jamais été plantée, il conviendrait peut-être de chercher dans ceux que l’on a laissé s’éteindre avant qu’ils ne soient totalement oubliés.
Quelques repères historiques :
- Implantation romaine la culture de la vigne dans le Gaillacois
- X ième siècle, développement du vignoble sou s’influence des bénédictins de Gaillac. Le vignoble de Cunac est rattaché à l’entité gaillacoise.
- XI ième Siècle : extension du vignoble de Cunac à l’époque des templiers
- Renommée des vins de Cunac diffusés par voie fluviale jusqu’en Angleterre
- François Ier consacre le vin de Cunac
- Richelieu en fait, dit-on, son vin de messe
- Le phylloxéra décime le vignoble au XIX ième siècle
- Reconstitution entreprise dès le début du XXème siècle de manière précipitée et désordonnée. L’arrivée des plants hybrides, très productifs et peu exigeants, perturba le marché viticole (avec notamment la grande crise de 1907).
Evolution récente :
Autrefois présente sur la plupart des communes du canton de Villefranche d’Albigeois ainsi que quelques communes limitrophes, ce n’est que vers la fin des années 1970 que la vigne a commencé son recul, d’abord sur la partie haute du canton puis, au fil des cessations d’activité, sur toutes les communes.
Ainsi, en 2004, seulement 101 hectares de vigne subsistent (il y en avait encore 333 en 1987 !) répartis sur les communes suivantes :
CUNAC 59ha
BELLEGARDE 20ha
CAMBON 9ha
FREJAIROLLES 9ha
MOUZIEYS-TEULET 4ha
Ces 101 ha sont cultivés par 20 viticulteurs (dont 8 sur la commune de CUNAC) adhérents à la cave coopérative de Labastide-de-Lévis et livrant la totalité de leur récolte à la cave de CUNAC.
Petit à petit, l’abandon des vieux cépages bordelais, mérille, jurançon et carignan a laissé la place à 2 cépages dominants : le gamay et le duras.
Depuis la fin des années 1990, la législation stipule de ne plus mentionner le nom de CUNAC sur les étiquettes ; en effet, seule l’appellation Gaillac est autorisée.