Le millésime 2017 au Domaine Belluard
Ce n'est pas parce que les congés scolaires battent leur plein qu'il faut s'exonérer de la visite d'un domaine viticole. La passion pour le vin ne connaît pas de temps faible
. Au moment de définir le vigneron Savoyard qu'il convient de rencontrer, les critères qualitatifs mais également géographiques entrent en compte. Leur croisement aboutit rapidement à Dominique Belluard. J'ai déjà croisé à plusieurs reprises Mont Blanc et ce fut un plaisir à chaque fois.
Mon camarade de séjour et moi arrivons en fin d'après-midi à Ayse. Le domaine est niché au milieu des vignes. Ces dernières se situent de part et d'autre mais également dans le contrebas immédiat. En amont, une bâtisse plutôt imposante. Elle se compose d'un très grand pavillon en bois dans la tradition savoyarde et deux bâtiments plus contemporains abritant les véhicules agricoles pour l'un et une courte chaîne d'embouteillage et divers matériels pour l'autre. Nous entendons d'ailleurs une pompe à étiqueter et boucher les flacons en cours de fonctionnement. Nous poussons la porte et sommes accueillis par le bras droit du maître des lieux.
- Bonjour, nous avons rendez-vous.
- Attendez, je vais voir avec Dominique.
Notre premier hôte s'éclipse dans un petit couloir en léger dévers pour revenir au bout de quelques instants.
"Dominique est occupé avec une journaliste mais vous pouvez passer le voir très brièvement."
Nous nous engouffrons à notre tour dans ce couloir à la faible hauteur pour arriver dans une salle de dégustation figée dans la pierre et le temps. Nous y trouvons le maître des lieux en plein entretien. Il s'interrompt un instant.
- C'est vous qui venez pour acheter des Mont blancs?
- Oui, notamment.
- Allez voir mon collaborateur et revenez le temps que je termine. Je vous offrirai un verre.
De retour dans le hall initial, j'émets donc mon souhait pour quelques flacons et 5 minutes après, voilà ma commande sur le chariot. Bon, euh ça va être si court que ça la visite? :-/
Ceux qui me connaissent et me lisent un peu ici connaissent ma capacité à poser des question
Une région sinistrée par les intempéries
- Vous avez du être satisfait du millésime 2018? Il a plutôt été qualitatif et généreux dans beaucoup de régions.
- Pas vraiment, nous avons beaucoup de pertes liées à la grêle 2018.
- Je ne réalisais pas que la Savoie avait été tant touchée.
NDLR: moment de solitude inside ou note pour plus tard: se renseigner pour ne pas poser ainsi la question qui fâche :green: . Le Rhône méridional a été grandement touché par la maladie. Fut-ce aussi le cas ici? J'ai ressenti une humidité importante à l'extérieur.
- Le mildiou? C'était en 2016. En 2017, le gel. En 2018, le gel et la grêle.
- Quelle est la répartition des ventes?
- Environ 30% à l'export, 50% aux particuliers et le reste aux professionnels en France.
- Quel est le volume de production?
- Une bonne année, nous faisons 60 000 bouteilles.
- J'imagine que vous élevez vos vins en cuve pour partie.
- L'élevage dure 12 mois en cuve et/ou en oeufs béton. 12 à 24 mois sur lattes.
C'est pas tout mais il fait soif
Nous retournons rejoindre Dominique Belluard.
- Qu'est-ce que je vous sers? Nous allons commencer par le brut 2016.
Les perles du Mont-Blanc Brut 2016
"La mise a été faite en Juillet. Les dégorgements se font au fur et à mesure."
Un registre inhabituel relatif au Gringet. De l'ananas, de l'eau de coco, une grande fraîcheur, de la poire, des notes de tatin. Une belle tension et l'amertume de la peau de poire en finale. Aux gorgées suivantes, un supplément de complexité se décèle sur une petite salinité. Un vin bien supérieur à bien des Champagnes.
B-
- Quel sucre reste-t-il?
- 4g.
- J'imagine que vous protégez vos vins? A la vendange ou après soutirage peut-être?
- Je soufre un peu au pressoir.
- A combien finissez-vous en bouteille?
- 15-20 mg de total et exceptionnellement 25. Il reste 5 de libre.
- Je n'ai pas souvenir de lire le millésime sur les bouteilles.
- Le Brut n'est effectivement pas millésimé. Je me garde la possibilité d'assembler les années. Il y a du beau vin sur 2016. J'en ai conservé pour le réincorporer en 2017.
Un pionnier de la biodynamie et de l'élevage en oeuf béton en Savoie
- J'ai lu que vous étiez en Bio D. Pourquoi ce choix?
- Le premier concerné par pesticides c’est moi. Et d'un autre côté, les vins gagnent en profondeur. Les cycles de vie sont importants. Il faut d'ailleurs la variabilité dans les dégustations. Et puis intellectuellement c'est bien plus stimulant.
- Vous avez du vous sentir un peu seul au moment de commencer. Je ne crois pas que la pratique soit répandue dans la région.
- Oh que oui, j'ai eu grand moments de solitudes.
- Et climatiquement pas la Savoie n'est pas la région la plus facile. A combien de passage terminez-vous?
- Une douzaine de passages en 2018. Il s'agit de faire de plus petites doses mais plus souvent.
- Vos enfants comptent-ils prendre votre suite?
- Pas mes deux filles. Le dernier est encore bien jeune pour y songer.
Mont blanc 15
Le nez présente une densité accrue. En bouche c'est plus mûr, dense, gourmand avec une finale amère et une toute conclusion rehaussée par du citron confit. Ça me rappelle les finales que JF Germain parvient à insuffler à ses blancs. Je comprends que Dominique Belluard aime les millésimes tranchants. La matière présage ici un bel avenir.
B+
- C'est toujours millésimé.
- Elevage en cuve?
- Un peu de béton. J’aimerais virer l'inox pour du béton mais il faut de la place.
- Sur quels critères décidez-vous de séparer les Perles de Mont-Blanc? Est-ce un choix terroirs?
- Oui, le terroir de Mont-Blanc est effectivement plus intéressant.
- Qu'est-ce qui permet cette finale acidulée?
- Les éboulis calcaire sur lesquels se trouvent les vignes.
- Les bulles d'Ayse bénéficient d'une appellation village.
- C'est bien cela. On nous a déjà demandé de rentrer dans l'appellation crémant. Je ne l'ai pas souhaité. On est resté avec notre cahier des charges. Pour faire de la bulle, l'appellation crémant impose un minimum de 60% de cépages locaux tels Jacquère et Altesse. Nous avons la chance que Gringet soit un cépage spécifique. Seyssel a d'ailleurs toujours voulu être en dehors de ces contraintes.
Alpes 2017
La base est très large puis s’étire en hauteur avec les secondes. La finale est un peu lactée (alors qu'il n'y a eu pas de bois), grasse. La rémanence sur les papilles est une fin de jus de coco.
B+
- Le sol est une grosse dominante de marne jaune avec de l'éboulis calcaire.
- Procédez-vous à une ou plusieurs mises?
- Une seule. Je n'ai pas envie d'en faire tous les 4 mois. Pour 2017, elle a eu lieu en Septembre dernier.
Faire respirer et protéger le vin
Feu 17
Une texture plus fluide mais une juste épaisseur. C'est également mûr mais très digeste. Une pointe de réduction à l'entame. Et c'est long, très long.
TB+
- Avec le recours à l'inox, comment évitez vous la réduction?
- Le terroir et le cépage demandent à ce que l'on amène de l'oxygène, qu'il y ait usage de cuve ou pas.
- Du bâtonnage peut-être?
- Il faut être prudent car les lies sont remises en suspension. Non, l'apport de l'oxygène se fait avec le béton et le bois. Après je n'excède pas 6 mois béton car au-delà le vin fatigue. L'inox permet d'ailleurs de le raviver. Le besoin d'oxygène est important au moment de la fermentation.
- J'ai noté une pointe de réduction à l'attaque.
- J'ai changé le bouchage. J'ai voulu tout mettre en bouchon verre depuis cette année. Les vins sont un peu plus réduits.
- Pourquoi changer?
- Nous avons constaté des évolutions rapides avec liège. Jusqu’à 25% casse. Avec ces nouveaux bouchons et les bouteilles qui vont avec, je suis au même prix package bouchon bouteille. Et je voulais aussi mettre une pièce à mon bouchonnier
. Il m’a mis 2015 sur le bouchon pour 2016.
- Allez-vous continuer?
- Je ne sais pas pour 2018. Nous verrons. Ils n’avaient pas de belles bouteilles avant. Elles se rapprochent maintenant de ce que je souhaitais. Le verre, j’y pense depuis un moment. Quelques sommeliers m'ont fatigué en demandant des changements de bouteille systématique. En Suisse, ils sont à vis depuis longtemps. De plus on ne dit pas tout des traitements que subissent le liège. Mon ami Matthieu Barret utilise des bouchons en verre depuis quelques temps déjà. Une membrane en silicone complète le dispositif. C'est lui qui se retrouve au contact du vin.
- A combien revient le bouchon?
- A 0,80€.
- Pas de test avec des Diams ou bouchons dans le genre?
- Non, il y a relargage de colle à un moment. Tenez, je vais vous faire goûter autre chose si vous avez le temps.
Feu 2010
La bouche est encore jeune. Des fruits jaunes, de l'abricot, de la poire, une salinité que je commence à mettre sur le compte du cépage et une belle tension en fin. Un peu perlant mais surtout une très belle matière sèche. C'est long, sec et il existe cette accroche appétante. L'éventail gustatif est complété par de la cire d'abeille, du propolis.
Tb+.
- La fermentation en béton fatigue le vin. Il faut que je modifie ma vinif car il existe un côté caramel qui me dérange.
NDLR: peut-être la raison de la sensation d'élevage perçue plus tôt.
- Comment l'éviter?
- 6 mois maximum en oeuf béton. Et il faudrait que je change pour des diamants béton de 20 hl. Mon ancien fournisseur a été racheté par un grand groupe. L'intérêt de ce dernier est centré sur le business seulement. Cela m'intéresse bien moins.
La place du Gringet et des autres cépages savoyards
- Le Gringet étant finalement plutôt rare. Comment faîtes-vous pour vos remplaçants? Les pépiniéristes ne doivent pas avoir cela spontanément.
- Par la reprise de nos plants et la démultiplication par un pépiniériste. J'ai testé des clones mais je n'ai pas été convaincu.
- Beaucoup de vos confrères en sont revenus. Avez-vous essayé des sélections massales?
- La population de base n'est pas grande, 25ha. La variété est donc limitée. Nous avons également des problèmes de greffe en oméga. La greffe anglaise est plus qualitative mais elle coûte le double. Il faut du gens qualifiés.
- N'avez-vous pas essayé d'autres cépages? L'Altesse par exemple?
- J'ai eu des petites arvines, pas longtemps. Elles ont vite été arrachées. La fin des sucres est difficile, comme l'Altesse. Le sucre, les Roussettes, ce n'est pas trop mon truc. Sans compter que la conduite en palissage est plutôt compliquée. Bon vous n'allez pas partir de suite
Mondeuse 17
Passé les tanins fins mais perceptibles de l'entame, le vin est sec, très, très floral. De la violette, de la rose, de la mûre. Une finale sur le réglisse et l'accroche du zan. Mon camarade néophyte: "C'est vachement bon ça."
TB+
"Il y a de la vendange entière. Aucun intrant. J'ai travaillé 6 ans en amphore à partir de 2009. Je freine. Ca m’a gavé."
Il faut savoir que la production est très limitée, moins de 1 000 exemplaires à l'année. Dominique ne les propose qu'aux professionnels les plus fidèles.
La journaliste questionne notre vigneron sur la reconnaissance de ses vins:
- Tu n'as pas peur de la spéculation ? Certaines de tes bouteilles se retrouvent bien plus chères dans d'autres pays.
- J'ai du voir quelques cas sur le marché gris. Il faut savoir avec qui tu travailles. C'est le plus important.
- La Savoie n'est heureusement pas encore spéculative, fais-je remarquer. Un immense merci à vous.
Splendide! Le déplacement a valu notre peine. J'ai craint que le rendez-vous se limite à une simple vente, il s'est transformé en 2 heures de partage sincère et franc. Je cite mon voisin de table sur le chemin du retour "J'ai l'impression d'avoir assisté à un moment privilégié."
Je crois percevoir la préférence de Dominique Belluard pour des millésimes plus élancés - il considère 2014 comme grand - la dégustation de 2017 laisse transparaître des vins bâtis pour avancer dans les décennies. La matière conjuguée à la droiture habituelle du domaine en fait des vins à grand potentiel. Rendez-vous au prochain millésime