Un après-midi crescendo au château
Ce samedi après-midi, nous avons rendez-vous au château d’Arlay pour une visite dégustation. Nous sommes accueillis chaleureusement dans la salle de dégustation du pavillon d’accueil par Alain de Laguiche et son épouse. Nous commençons par une interminable mais néanmoins passionnante présentation de l’histoire de la Franche-Comté, du château et de la vigne à Arlay.
Je dis passionnant car c’est objectivement un pan de l’histoire de France qui nous a été raconté et qui plus est de façon brillante. Et interminable aussi : Imaginez la scène, 6 jurradicts tenus en haleine, maintenus aux frontières de la somnolence post-prendiale par un brillant conférencier.
Haletant et épuisant à la fois !! D’ailleurs je me dois de confesser publiquement le fantasme qui m’a traversé l’esprit peu avant qu’on attaque enfin la dégustation : J’ai pensé à me lever et brailler « Bon c’est pas le tout mais on est quand même venus pour déguster hein ! » Je ne l’ai pas fait , un peu par respect pour Jo, un peu par éducation mais probablement surtout par lâcheté
.
En tout cas, bien m’en a pris car momentanément à court d’anecdotes, Alain de Laguiche se rappelle qu’il doit nous quitter à 16h30 au plus tard et va chercher les verres à dégustation. Un instant de répit qu’on met à profit pour se congratuler d’avoir tenu et su savamment faire passer nos clignements d’yeux et affaissements de tête pour des signes d’encouragement au conférencier.
Quelques mots quand même sur les vins dégustés, un CR à 4 mains par Phil[size=x-small]ippipourah[/size] von A. et Chris d’U[size=x-small]74[/size] :
Les vins rouges :
Côtes du Jura "Corail" 2005
Cuvée élaborée avec les 5 cépages traditionnels (pinot noir, trousseau, poulsard, chardonnay et savagnin) dont 15% de blancs. 3 ans ½ d’élevage en foudres
C : La vin se présente en robe rouge clair , orangée avec un nez de vieux vin réduit, iodé ; j’y trouve des notes de peau de poulet rôti à la consternation de mes acolytes. La bouche est heureusement plus avenante, fruité, fraîche avec une légère astringence qui relâche rapidement nos pailles sur les fruits. Un vin rouge clair mais bien structuré.
P : Nez viandé de vieux vin, cuit, compoté. Bouche plus fraîche. Encore astringent, et même asséchant en finale.
Côtes du Jura "Rouge" 2007 100% pinot noir
C : Le nez est frais, joliment fruité. En bouche, un joli volume, quelques notes de tabac et une multitude de tanins fins très astringents qui assèchent un peu la bouche; un vin qui se goute très sec.
P : Joli nez. Souple sans être léger. Lui aussi présente encore une certaine astringence asséchante.
Encouragé par nos brillants commentaires, Alain de Laguiche sort des clous de la dégustation standard et va chercher une autre bouteille de rouge :
Côtes du Jura Rouge 2003 (toujours 100% Pinot noir)
C : On décolle subitement vers de nouveaux horizons, un superbe nez de pinot, riche et "bourguignon". En bouche, l’attaque est souple, c’est très frais, immensément fruité. On retrouve l’astringence précédente mais c’est beaucoup plus fondu. Superbe vin et joli rapport qualité prix.
P : Robe sans aucune trace d’évolution. Très joli nez de bourgogne. Bouche plus fondue que le 2007 ; rond et équilibré. Très beau - et pour ceux qui en revoudraient, y’en re n’a encore sur demande au château pour seulement 13 euros.
Les Blancs :
Côtes du Jura blanc "A la reine" 2008 (Chardonnay ouillé)
Du nom de la parcelle, étymologiquement, « près de la ruine», les vestiges du château médiéval ; vignes plantée en 1953. Une cuvée créée en 1998, rendement de 25 Hl/ha ; vinifié et élevé 100% en cuve sur lies avec remontage fréquent.
P : Le premier nez est plutôt discret, puis il s’ouvre sur des arômes doux. La bouche est plus expressive, pleine, volumineuse. A 8 euros la bouteille, c’est une super affaire !
C : Nez très mûr, rond, légèrement chaleureux, une pointe de réduction, brioché, des notes de massepain. La bouche est ronde, souple ; on retrouve des notes de surmaturité, de croûte de comté. Un vin mûr mais tendu et très fruité.
Côtes du Jura «Tradition» 2005
La tradition ici, c’est l’assemblage ouillé. 2/3 Chardonnay, 1/3 Savagnin vinifiés ensemble et élevés 4 ans (ou 3 ?) en fûts ouillés.
P : Au premier abord très parfumé, il décline ensuite un peu. Finale saline.
C : Le nez est chaud, épicé avec de très légères notes oxydatives comme souvent les vins longuement ouillés en Jura. La bouche est ronde et souple, très puissante sur les fruits jaunes et des notes de noix dans une finale très fraiche et très longue.
Côtes du Jura «Tradition» 1999
C : Le nez est semblable au 2005 en plus fin. La bouche est d’un caractère semblable au précédent mais c’est puissant, un peu chaud et doté d’une finale très sèche. Rappelle un vieux bourgogne.
P : Ce blanc plus évolué oscille entre le menthol, le fenouil et l’iode. Légèrement moins bien que le précédent à mon goût.
Les Jaunes :
Côtes du Jura Vin Jaune 2005 (mise mi-Avril 2012 , pas encore en vente)
C : Un nez très puissant, des notes d’alcool et de vernis, de champignons et aussi d’hydrocarbures. Joli volume en bouche, puissant mais pas exagérément. Un savoureux goût de jaune, en finesse. L’attaque est celle d’un jaune classique avec de la noix, de la pomme mûre et une touche de morille. La finale est acidulée, salivante sur des agrumes (citron) et un retour des notes jurassiennes.
P : Nez puissant sur la pomme granny. Bouche puissante qui s’assouplit à l’aération.
Alain de Laguiche nous propose de choisir un vieux millésime, ça sera :
Côtes du Jura Vin Jaune 1998
C : Le nez est assez réduit, derrière c’est fondu, on sent des fruits très mûrs (pruneau, fruits secs) et un soupçon de champignon. En bouche, c’est souple, rond, fondu mais néanmoins sur une belle trame acide et des agrumes ; un très beau jaune, pas "classique" ou alors classique de ce qu’on aime :)o
P : Côté doux au nez, sur les agrumes confites. La bouche commence à se fondre. Il évoque les jaunes évolués qui laissent apparaître de délicieuses notes miellées. J’adore !
Et pour finir cette mini verticale,
Côtes du Jura Vin Jaune 1978
P : Un clavelin généreusement apporté par notre patriarche Joseph pour cette dégustation animée par Alain de Laguiche. Très belle robe or foncé, avec quelques particules (nobiliaires
) en suspension. Nez évolué, légèrement madérisé. Bouche fondue, quoiqu’encore péchue. A mon goût un poil en dessous du 98, mais lovely quand même.
C : Une robe jaune très foncée avec des particules en suspension. Le nez est fondu, concentré, minéral sur le pétrole, les hydrocarbures. L’attaque en bouche est souple mais l’acidité est très présente et confère une belle structure. Un goût de fumé (la viande pas le feu) intense, la noix apparaît ainsi qu’une très légère réduction (le vin a été ouvert peu de temps auparavant). Merci Jo’
Les spécialités sucrées :
Vin de Paille 2005 élaboré avec 4 cépages (Poulsard, Trousseau, Chardonnay et Savagnin)
C : Nez intense qui me rappelle le quart de Chaume de Suronde, caramel, dattes, figues et raisins secs. En bouche, l’attaque est très douce, c’est très long, un peu chaud en fin de bouche, très persistant. Très bon
P : Légère dissociation au nez entre l’alcool et le sucre. La bouche est bien fondue, mais ce Paille 2005 n’est pas aussi sirupeux que le 2003 - du moins dans le souvenir que j’en ai gardé depuis 2008 où je l’avais goûté. Ah ben tiens ça tombe bien, M. le Comte nous propose précisément de goûter le 2003 :
Vin de Paille 2003 (env 70gr/l de SR)
P : Nez plus évolué que le 2005, où se mêlent le cuir et la noisette. La bouche est plus ample en sucre, avec un volume crémeux sur des arômes de caramel salé.
C : Nez plus réservé sur des notes de vieux cuir. La bouche est très fondue, suave, intense finale sur la noisette, grande persistance. Excellent
Macvin Blanc
Élaboré avec du vieux marc (7 ans de fût) et du moût de raisin de l’année puis élevé 3 ans en fût.
P : Ce macvin m’apparaît au premier abord trop marqué par le marc : il se présentera plus fondu et plus intégré dès la deuxième gorgée (et oui, c’est tout ce que j’ai noté
) .
C : Un nez très « macvin » (selon ma référence qui est Macle) avec une pointe végétale. La bouche est très fraîche, pas trop sucrée, avec une belle vivacité (due au savagnin ?) ; aromatiquement, on retrouve du champignon, de l’orange et de la bergamotte.
Madame de Laguiche, attirée par les effluves de jaune, nous a rejoint en fin de dégustation pour goûter quelques vins. Il est 18heures, Alain de Laguiche a renoncé à son déplacement pour notre plus grand plaisir; il nous serre la main chaleureusement avec un petit mot pour chacun. Etonnant de voir la transformation en quelques heures, d’abord érudit mais réservé, showman professionnel récitant brillamment sa petite Histoire puis s’ouvrant de plus en plus, déjà en fin de présentation du domaine et encore plus pendant les échanges et la dégustation, très attentif, demandant et écoutant notre avis.
Une personne très attachante et des vins qui ne le sont pas moins. Je ne connaissais que le Jaune sur quelques millésimes, j’ai découvert de superbes blancs ouillés et rouges. Que dire de plus sinon que les prix sont plutôt raisonnables (sauf le paille qui « pique » un peu) et que plusieurs vieux millésimes sont disponibles pour un surcoût limité.
La visite du week-end assurément sans rien enlever aux autres vignerons qui nous ont reçus avec tout autant de gentillesse et de patience.
Merci
Moralité : On a bien fait d’y Arlay
Phil von A. et Chris d’U