oliv écrivait:
Normandie. Quelle place pour le cidre ?
Il faut bien le reconnaître, les Normands ont longtemps bu du cidre qui, à l'instar du vin, était largement préférable à l'eau des rivières des mares ou des puits, souvent contaminée.
Ainsi, ma famille a brassé depuis le début des années 50 et jusqu'au milieu des années 90. Une longue tradition cidricole qui s'est malheureusement éteinte avec la vente de la fermette dans laquelle vécurent chichement mes arrières grands-parents jusqu'en 1993. Ils possédaient de vénérables pommiers qui sont tombés dans la dignité l'un après l'autre à chaque coup de vent, réduisant chaque année un peu plus le volume de notre production.
Le jour de la cueillette des pommes, qui était un peu notre vendange à nous, tout le monde participait à la fête. Sauf le coq qui avait mystérieusement disparu dans les deux ou trois jours précédant cet événement. Mais il nous faisait toujours l'honneur de revenir le dimanche, à midi, nappé d'une savoureuse sauce au vin...
Le matin, les plus agiles montaient dans les arbres pour secouer les branches afin de faire tomber des pommes rouges ou jaunes. L'après-midi, nous ramassions tous les fruits tombés sur les bâches que nous avions tendues le matin. Finalement, nous n'avons rien inventé puisque cette méthode est utilisée de longue date pour récolter les olives.
Nous stockions les pommes dans des sacs d'engrais récupérés par un oncle grutier sur le port de Rouen !:
Il fallait attendre qu'elles aient
pourri flétri pour brasser. L'agriculteur du coin venait avec un pressoir. Une fois les pommes concassées, elles étaient pressées et le jus rejoignait les fûts. Le marc était laissé dans le pré. C'était tellement acide qu'il fallait entre 1 et 2 ans pour que l'herbe repousse à l'endroit où on l'avait déposé.
Mon grand-père faisait une première presse, qui donnait du cidre bouché, puis versait de l'eau sur les pommes pour obtenir de la "boisson". La "boisson" était un breuvage de consommation courante, très peu alcoolisé et très désaltérant. En fait, c'était surtout de l'eau avec des tanins et un vague goût de pomme. Mais cela lui suffisait. Autre temps, autres moeurs...
Nous attendions patiemment la fermentation, courant novembre/décembre et quand il était jugé assez sec, nous le mettions en bouteilles. C'était sympa. Souvent dans un froid de canard, les bouteilles étaient passées dans l'eau chaude, nettoyées au goupillon. Nous les remplissions à la champleur et elles étaient ensuite bouchées avec des bouchons en plastique. C'était moderne, mais pas franchement efficace. Les bouteilles explosaient souvent, probablement à cause d'une hygiène défaillante. Pourtant, mon grand-père les nettoyait à grande eau et mettait une mèche souffrée dans les fûts avant qu'ils ne reçoivent le jus. Ah ça ! ça ramonait les narines ! X(Mais je pense que ça faisait bien rigoler les brettanomyces...
Si, au début, notre cidre était aimable, l'âge le rendait acariâtre. Un genre de Tatie Danièle liquide, quoi. Si c'était souvent infâme, il faut bien le reconnaître, il arrivait également que cela se boive bien. Mais je n'en garde pas un souvenir impérissable...
Enfin ! Tout ceci restait un nectar par rapport au cidre conservé dans ses fûts par mon arrière grand-père.
Vu de mes yeux d'enfant, mon arrière grand-père nous demandait de lui laisser une énorme barrique (400 litres, peut-être plus) de laquelle il tirait son cidre toute l'année. Le "breuvage" évoluait donc dans le fût. Lui aimait ça. Je me souviens avoir goûté ce "dur". Il était tellement sec qu'il fallait un tube de vaseline pour l'avaler. Ceci explique probablement mon amour immodéré pour la bière entre 15 et 40 ans... Pour la vaseline aussi...
Je pense que la consommation de cidre a périclité avec la génération de nos parents, ces baby-boomers qui ont pu accéder à la société de consommation, aux sodas, alcools forts et vins -pétillants notamment - à bon marché. C'est dommage parce qu'avec la chute de consommation, c'est tout un pan de notre culture qui meurt doucement.
Dans les années 90 et dans la banlieue de Rouen, on voyait encore du marc de pommes sur les trottoirs, en milieu urbain ! Imaginez ! Rencontrer, à Paris ou Bruxelles, un mètre cube de marc au détour d'une rue. Cette réalité là était normale. C'était culturel et personne ne s'en offusquait. Aujourd'hui, je ne suis pas sûr que le service des déchets verts accepterait de collecter ces déchets...
Ceci dit, je ne suis pas inquiet pour l'avenir du cidre en France. De ce que j'ai pu constater en Bretagne, de ce que j'ai pu goûter en Normandie, des initiatives qui sont portées à notre connaissance via mon voisin du d'ssus, je pense que nous assisterons à un retour progressif du cidre sur nos tables dans les prochaines années. Les producteurs l'ont bien compris. Dumoins ceux qui misent sur la qualité.
Néanmoins, l'indécrottable urbain que je suis devenu aujourd'hui regrette ce temps béni, prétexte aux réunions familiales et, surtout, aux expériences les plus improbables.
C'était la séquence nostalgie de Vougeot. Merci, bonsoir.