Ceux qui lisent ce forum régulièrement savent qu'il y a quelques convergences de vues entre Hervé Bizeul et moi, que j'apprécie particulièrement le personnage, tant par ses écrits, ici ou sur son blog, que par les vins qu'il produit. Ce n'est pourtant pas pour cela qu'on se connaît particulièrement, je ne l'avais rencontré, assez brièvement, qu'à une seule reprise, chez un caviste bruxellois chez qui il venait présenter ses vins (il doit y avoir un CR de cette dégustation dans cette rubrique). Nos échanges sur LPV ont fait naître en moi l'envie d'en savoir un peu plus sur le domaine, les vignes et les derniers millésimes produits.
J'ai donc profité de mes vacances dans la région de Carcassonne pour pousser une pointe jusqu'à Vingrau où Hervé et son épouse Claudine ont très aimablement accepté de me recevoir.
Hervé à la tête des mauvais jours et je le vois tracassé. Il m'explique que la journée a très mal commencé, avec la défection aussi soudaine qu'inattendue de quelques employés, pour la plupart débauchés par des confrères. La rupture d'une grosse canalisation d'eau dans la matinée, pour couronner le tout, semblant confirmer que cette rencontre n'était pas placée sous les meilleurs auspices. Un petit tour dans les vignes s'impose pour se changer les idées !
Le paysage est très beau mais aride, le sol caillouteux, les vignes pour la plupart vieilles voire très vieilles, le travail doit y être très ardu, mais manifestement effectué de main de maître, tant la santé des plants et des raisins semble parfaite, en comparaison avec quelques vignes voisines.
Le domaine a beaucoup grandi ces dernières années, arrivant aujourd'hui à la taille respectable et probablement définitive d'une trentaine d'hectares.
Voici quelques photos prises au cours de cette promenade dans les vignes :
Une vieille vigne de grenache sur sol caillouteux, dont les grappes sont bien protégées des brûlures su soleil
De très vieux ceps de grenache blanc qui donneront naissance au bien nommé grenache blanc vieilles vignes
Une jeune vigne de tempranillo, en pleine véraison, issue d'une sélection massale de Pingus
La même vigne, en plan large. Hervé a également planté une vigne de cabernet franc, issue d'une sélection massale d’un domaine de Pomerol dont je n'ai pas retenu le nom (les bordelais n'ont qu'à bien se tenir !).
Après cette très intéressante visite d'une partie du vignoble, il est temps de passer à la dégustation.
Grenache Blanc - Vieilles Vignes 2006
Un blanc très parfumé, rond, suave, gourmand et épicé, avec une pointe de sucre résiduel, dans un style puissant sachant cependant rester parfaitement équilibré grâce à sa belle acidité. Très agréable dès aujourd'hui.
Les Sorcières 2005
Les sorcières sont désormais vinifiées dans la même cave que Walden, pour des raisons de manque de place dans la cave "historique" du Clos des Fées.
Ce 2005 présente un fruité très mûr, à la limite du confit, tout en gardant un côté frais indéniable. Pas de bois, c'est mûr, c'est rond, très bien équilibré, parfait à boire dès aujourd'hui, avec beaucoup de plaisirs.
Les Sorcières 2006
Le style est similaire au précédent, avec là aussi une belle maturité, peut-être un petit supplément de fraîcheur qui lui donne une très grande buvabilité. A boire sans modération, superbe rapport qualité-prix !
Vieilles Vignes 2004
Un peu moins facile d'accès, je le trouve d'un grande finesse au nez, sur les fruits noirs, le chocolat et une belle note minérale. En bouche, on monte clairement d'un gros palier par rapport aux Sorcières, avec une ampleur et un volume remarquables, très bien tenus par l'acidité jusqu'en finale, longue sur des tannins encore fermes. J'adore !
Vieilles Vignes 2005
Au nez, il semble plus mûr avec des notes de bananes séchées et de chocolat. La bouche est d'une très grande ampleur mais avec également de la verticalité, parfaitement équilibrée, une belle qualité de tannins, présents mais soyeux, et une grande longueur. Très grand potentiel et déjà succulent !
Clos des Fées 2004
Le nez est certes plus boisé, mais ce bois me semble très bien intégré et apporte au bouquet, fruité et minéral, une grande élégance. Bien sûr, ce vin est puissant, il dérangera peut-être certains palais délicats, mais cette puissance me semble parfaitement domptée, permettant d'obtenir un grand vin équilibré et long, d'une qualité de texture rare. Décidément, ces 2004 m'épatent ! Ils me semblent assez largement supérieurs aux 2003, et s'ils n'ont pas le caractère exubérant des 2005, ils possèdent un côté élancé qui me ravit.
Clos des Fées 2005
Il est plus chocolaté et plus mûr au nez, avec un boisé un peu moins perceptible, signe sans doute d'une matière plus imposante, et toujours une grande élégance. En bouche on retrouve la puissance bien contenue du 2004, peut-être même encore plus exacerbée, un équilibre remarquable, une très longue finale sur des tannins serrés mais nullement asséchants. Une bouteille remarquable, à attendre.
La Petite Sibérie 2005
Voilà un vin qu'il est certainement de bon ton de critiquer car le couvrir de louanges reviendrait à prendre le risque de se faire passer pour un buveur d'étiquettes. Tant pis, je me lance, car j'ai vraiment du mal à comprendre qu'on puisse ne pas aimer un tel vin ! Certes, c'est encore boisé à ce stade, c'est d'une grande puissance, c'est très mûr et sanguin, mais en même temps quel tour de force pour conserver une telle fraîcheur et obtenir un équilibre aussi parfait ! Un vin qu'on pourrait imaginer sphérique alors qu'il est verticalité et longueur. Un grand vin qui mérité qu'on casse au moins une fois sa tirelire pour s'en procurer une bouteille.
Encore un peu sous l'émotion de ce magnifique moment de dégustation, Hervé et Claudine me proposent très gentiment de partager leur déjeuner en famille, ce que j'accepte avec grand plaisir. Hervé me gâte décidément trop, car pour accompagner le repas, il va chercher une nouvelle grande bouteille :
La Petite Sibérie 2001
Nez exubérant, évoquant presque un VDN, épicé, poivré, chocolaté, fruits rouges et noirs à l'alcool. En bouche, la puissance est décoiffante tout en restant d'une grande buvabilité (d'ailleurs je l'ai bu, et pas qu'un verre !) car la fraîcheur, une fois encore, est belle et bien là, et pas qu'un peu ! L'équilibre sudiste par excellence, longueur superlative, grand...
Au final, une dégustation de haut et même de très haut niveau, avec des vins qui me semblent en net progrès depuis mes premières expériences sur le millésime 2000. 2004, 2005 et 2006 représentent, de l'aveu même d'Hervé, une sorte d'accomplissement dans le style qu'il veut obtenir pour les vins du Clos des Fées.
Que dire de plus à part remercier Hervé et Claudine pour leur accueil chaleureux et pour leur grande générosité, malgré les problèmes du quotidien dans la gestion d'un tel domaine.
Luc
PS : les fées existent, elles sont deux, gardées par un preux chevalier armé de l'épée de Dark Vador !