Top 10, Top 20, Top 50, quelle manie bizarre de vouloir toujours dire qu'untel est meilleur qu'un tel... tous les vignerons cités par Vison font de bons vins et le miracle de la Vallée de l'Agly, c'est qu'ils sont tous différents. Certains parce qu'ils portent en eux un vrai projet personnel, une vision profonde, originale et sincère, comme par exemple Gérard Gauby, d'autres parce qu'ils se laissent emporter par un grand terroir, d'autres encore parce qu'ils tentent de saisir une mode, d'imiter un vigneron ou un vin qu'ils aime ou… qui se vend bien. L'important, au fond c'est que les vins plaisent à certains, pas à d'autres, et ne ressemblent qu'à eux même. Par chez nous, la soi-disant « mondialisation du goût » que monsieur Nossiter agite nerveusement ne nous menace pas trop
).
En ce qui me concerne, je ne cours pas après la reconnaissance. Mon moteur est de bien faire mon travail avec sérieux et plaisir, de créer de l'emploi, d'aménager un petit coin de terre dont j'aime à me croire responsable et de donner du plaisir à ceux qui boivent mes vins. Devrais-je pour autant refuser cette reconnaissance lorsqu'elle m'est offerte ? Alors qu'elle permet à des amateurs dans le monde entier de se laisser tenter par un vin du Roussillon, vignoble qu'ils ne peuvent même pas situer sur un globe terrestre ? Devrais-je m'enfermer ? Jouer la star recluse ? Le vigneron inaccessible ? Installer un portier vidéo et ne parler aux journalistes ? Pas pour moi, merci.
Le débat est à mon avis salutaire, même si je vis mal la critique, comme tous les vignerons passionnés, surtout lorsqu'elle est méchante, orientée et gratuite. Et surtout anonyme car, sur ce forum et sur d'autres, je me demande souvent si l'on ne serait pas surpris de savoir qui se cache sous certains pseudos et quelles sont leurs motivations.
Quelle est la valeur d'une critique quand celui qui la balance le fait masqué ? Pourquoi ne pas simplement la signer de son nom ? Voilà un truc que je ne comprends pas. L'anonymat sur le web ? un truc de gamin, qu'on essaye en frémissant, auquel on joue quelques jours avec délices, mais dont on devrait vite se lasser. Ici, tout le monde a le droit de dire ce qu'il pense de mon vin et d'en débattre. J'ai aussi le droit d'y participer. Où est le progrès si on le fait caché ?
Si ces critiques et ces débats m'interpellent et m'enrichissent, j'essaie pourtant de faire en sorte qu'ils ne m'influencent pas : je ne vais pas me mettre à vendanger en août et à mettre en bouteilles en janvier pour faire plaisir à certains, surtout à ceux qui se gargarisent en glougloutant comme des dindons : "minéralité ceci, minéralité cela, minéralité minérale" sans jamais être capable d'expliquer ce que ce mot veut dire, ce qu'ils ressentent en disant cela. Ou qui encensent les vins légers et fruités du sud tout en refusant de porter à leurs lèvres méprisantes le moindre verre d'un pourtant délicieux beaujolais villages. Moi, j'aime le beaujolais, j'en bois volontiers, mais l'idée ne me vient pas d'en faire ici pas plus que de tenter de faire en Languedoc-Roussillon ce qui se fait à mon sens de pire en Bourgogne ou dans la Meuse avec du pinot droit pas mûr à 60 hl/ha.
Mon vin est le reflet de ma région, de mon climat et de mes cépages. 80 % de mes vignes ont été plantés par d'autres que moi, la plupart morts et enterrés depuis longtemps. Avec ce que j'ai trouvé en arrivant ici, je fais les vins que j'aime, riches, colorés, denses, corsés et capiteux, bref l'idée que je me vais d'un vin méditerranéen, d'un vin du sud, d'un grand vin, d'un de ceux que j'ai dans ma cave et que j'aime. Libre à d'autres d'aimer autre chose. Mais pourquoi alors se forcer à boire les miens si, pour eux, ce sont des purges ? 70 % de mes vins ne voient jamais une barrique parce que je les aime comme cela, 10 % seulement passent en barriques neuves. Je comprend et j'accepte qu'on ne les aime pas, je comprends mal qu'on ne les aime pas parce qu'on rejette en fait le concept même de la barrique ou parce qu'il est "intolérable" qu'en Roussillon "on ose" travailler comme dans un grand cru classé ou de vendre à des prix équivalents. Se forcer à acheter mes cuvées boisées et à les boire juste pour être bien sûr qu'on ne les aime pas et se répandre ensuite semi-publiquement sur un forum, ça porte un nom : ça s'appelle du masochisme ; c'est pas sain ; c'est une perversion. à€ un moment, il faut oser le dire. La vision d'Arno me semble plus saine : il est gêné par le bois dans les vins jeunes, sauf si son expérience lui prouve que le bois a des chances de s'intégrer. Comment ne pas lui donner raison ? Si, avec le recul, je n'étais pas aujourd'hui certain de cela, j'aurais arrêté le bois neuf depuis longtemps. Ou alors, c'est que je serais vraiment idiot de foutre autant d'argent en l'air en achetant des barriques pour le plaisir de dénaturer mes vins. Le challenge, c'est de faire un vin encore délicieux cinq, dix ans, voire plus après la mise. Arno cite le 98. S'il passe un jour, on ouvrira un Clos 2000 ou un VV 2001 et j'espère qu'il changera d'avis.
Bref, je ne fais pas des vins pour plaire à qui que soit si ce n'est à ceux qui les payent et qui les boivent. Ce sont des personnes pour qui j'ai un profond respect et auxquelles je pense souvent en me disant : dans quelques années, qui boira ce vin ? où ? avec quoi ? Pourvu qu'il ou elle ait du plaisir et ne regrette pas le sacrifice financier consenti... Au fait, j'aimerais bien comprendre en quoi, pratiquement et concrètement, mon style serait "américain" ou "bordelais" ? En passant mon « Å“nologue » (il est entre guillemets parce que je ne le vois pas souvent…) est Grec, et, s'il travaille aujourd'hui à Bordeaux, il a longtemps travaillé en Bourgogne
) A quand le style « Grec », du clos des fées, alors ? Ce qui m'intéresse chez lui, c'est justement son expérience si diverse, son ouverture d'esprit, son envie d'essayer de toujours progresser, sur les grands vins comme sur les petits.
Vendre cher quelques bouteilles de vin (plus de 65 % de ma production est vendu 11 euros, ceci étant…) me permet d'avoir une liberté totale dans mon travail, de choisir d'employer des hommes plutôt que des machines, de refaire les murets, les haies, les bois, de voyager pour parler de mes vignes, de mon vin, de ma région, de pouvoir peut-être dire un jour, à tout moment : "si ce truc est bon pour les sols, la vigne, le vin, quelqu'en soit le prix, on le fait". Je souhaite à tous mes amis vignerons (et aux autres que je ne connais pas) de arriver faire cela un jour. Moi, j'y aspire.
Enfin, je suis arrivé ici sans un rond, avec juste ma passion et ma connaissance du vin. Certains de ceux qui sont cités par "vison" ont vu alors qu'il était possible de devenir vigneron. Certains, toujours, continuent à arriver, à acheter deux ou trois arpents et à ce lancer. Si ma "reconnaissance" que certains trouvent imméritée (souvent sans avoir goûté les vins, d'ailleurs) n'a servi qu'à cela, alors, j'en suis fier. Et s'ils font un jour mieux que moi, je serais ravi pour eux et mettrait leur vin dans ma cave.
Amitiés à tous. Hervé.