Ayant un restau thaïlandais tout près de chez moi, j’ai enfin saisi l’occasion de comparer 3 vins - blancs - susceptibles de (bien) s’accorder avec des plats thaï :
- un blanc qu’on va dire « classique », en l’occurrence la
Grande Cuvée de L'Hortus en millésime
2007 (chardonnay 70%, viognier 20%, Roussane 10%), qui présente un joli nez expressif, mais avec un boisé assez présent. Le vin est gras, avec un volume qui emplit bien la bouche, mais il se montre un peu écoeurant en dégustation seule - et au fur et à mesure qu’on le goûte, on attribue ça au boisé qui prend décidément beaucoup de place (la précédente bouteille de cette
Grande Cuvée bue un an plus tôt ne présentait pas ce défaut d’intégration).
- un blanc plutôt moelleux :
Vin de Savoie Chignin-Bergeron 2009 d’André et Michel Quenard : le premier nez est quasi muet (il s’ouvrira plus tard). La bouche en revanche est riche, sur les fruits jaunes bien mûrs. Pas très équilibré toutefois, un peu dissocié en bouche, il ne pète pas l’harmonie.
- enfin, un vin jaune, parce que ...
ça va bien avec la cuisine asiatique… non c’est pas tout à fait vrai, on le savait bien mais s’en foutait un peu, en fait le prétexte était trop beau, et puis on a pas besoin de se justifier
:
Arbois Vin Jaune 2001 de chez Daniel Dugois. Alors oui certes c’est très jeune, mais on l’a dit, on a pas besoin de se justifier. On s’est permis de craquer ce clavelin parce que son géniteur
himself nous avait dit que ce millésime était prêt à boire dès maintenant. Et effectivement, après avoir été carafé syndicalement 24h comme il se doit, ce jaune est bien ouvert et moyennement puissant. Au nez l’amande domine; en bouche c’est le poivre.
Vous l’avez compris, les vins ne se présentaient pas sous un jour flamboyant : ils étaient bien mais sans guère plus. Et c’est sans surprise qu’ils se seront repris un peu en situation de repas, avec le compagnonnage des plats suivants :
- Beignets de crevettes et sauce aigre douce
- Crevettes sautées à la sauce aigre douce
- Poulet sauté à la noix de cajou et sauce soja
- Boeuf au curry rouge et lait de coco
- Boeuf au curry masaman et lait de coco
- Canard au curry panang et lait de coco.
J’aurais aimé faire une analyse méthodique, plat par plat avec chaque vin, et livrer un joli tableau bien léché où chaque plat aurait été noté avec son accompagnement par chacun des trois blancs. Mais bon vous connaissez la chanson, j’étais pas seul à table, et ça aurait fait un peu dégustateur autiste si je m’étais muré dans ma dégustation analytique en ignorant les autres convives, voire en les faisant taire pour mieux me concentrer !
Je me bornerai donc aux impressions suivantes - recueillies discrètement, la feuille de notes presque sur les genoux, comme au bon vieux temps des examens :
Avec les deux premiers
plats à l’aigre-doux, l’Hortus blanc passe plutôt bien. Le Chignin-Bergeron, lui, souffre : la sauce sucrée-salée lui enlève son fruité et le rend insipide et presque aqueux ! (il faut le boire pour le croire). Impassible, le Jaune survole les débats, mais il ne dialogue pas vraiment avec le plat.
Le
poulet sauté à la noix de cajou et sauce soja est un plat peu épicé et aux saveurs pas trop exotiques, la sauce au soja faisant penser ici à un jus de viande. Pas d’opposition rivale, mais pas de complicité non plus avec chacun des vins blancs. Je pense qu’un rouge aurait sans doute mieux été là-dessus.
Les deux "
boeuf au curry (rouge + masaman)
et lait de coco" ont trouvé leur meilleur accord avec la GC de l’Hortus : l’ampleur du vin se marie bien avec l’onctuosité de la sauce au lait de coco - pas trop épicée non plus. Pour le Bergeron, j’ai noté : "pas mal" (un commentaire sobre, comme son auteur). En revanche, phénomène qui m’a surpris, le vin jaune passe nettement moins bien : il est un peu altéré, son goût est comme dénaturé. Étonnant… d’autant que son comportement sera très différent avec le dernier plat :
canard au curry panang et lait de coco : ce plat était le plus relevé de la série, et l’Arbois jaune fut le seul à résister à la force de l’assaisonnement : mieux, il épouse même très harmonieusement les saveurs puissantes du curry panang. Les deux autres vins ne se sont pas écroulés pour autant, mais ils ne m’ont semblé faire que cohabiter avec le plat.
En conclusion, comme toutes les cuisines de chaque pays, "la" cuisine thaï n’est évidemment pas
mono-sapide, et ses saveurs diverses réclament différents vins pour les accompagner. Un seul type de vin pour l’escorter serait donc réducteur. A partir de là, je crois que tout est dit, et surtout qu’il est préférable que j’en reste là sans rien ajouter de plus, car énoncer dans ce dernier paragraphe de telles platitudes, de telles évidences me rend digne - à ma grande honte - du
Dictionnaire des idées reçues de Bouvard et Pécuchet.