AVERTISSEMENT : cette publication n’est pas un compte-rendu. Ami lecteur, si tu cherches des informations précises, passe ton chemin. Par contre, si tu as envie de voyager paisiblement, de t'imprégner de l'ambiance, il se peut que cet écrit soit fait pour toi.
Lorsque Moderator1 propose un voyage express à Sancerre, on n’est pas long à se décider. D’une part parce que Sancerre n’est qu’à 3 heures de voiture de la verte Normandie, d’autre part parce que le village fut un lieu de rencontre et d’agapes mémorables. On y a bien mangé et on a bu encore meilleur. Souvenirs émus d’un divin chauve, spécialiste du Bel Canto qui, remarquablement mis en condition par du calva fermier, nous avait tous couchés. Et réveillés.
N’y aller que par nostalgie serait un peu vain. Au-delà de savoureux souvenirs, Sancerre a bien d’autres choses à offrir : un joli vignoble tout en courbes sensuelles et doux mamelons, de savoureux fromages et, surtout, quelques expressions de pinot et de Sauvignon parmi les plus belles et abouties qui soient.
Amateur de pipi de chat, passe ton chemin. Cette balade gourmande n’est pas pour toi.
Samedi matin, 9 h 30. Le doux feulement du 2l CDI teuton s’arrête net devant un caveau que bien des amateurs connaissent.
Un chai et un caveau sans fard, à l'image du propriétaire.
Gérard BOULAY nous accueille avec le sourire même si, nous confie-t-il,
« nous sommes un peu inquiets en ce moment ». La discussion s’engage immédiatement et nous apprenons que la vigne est soumise à la pression du mildiou alors même que la floraison n’a pas vraiment démarré. Période cruciale teintée d'incertitude...
Le vignoble a été arrosé. Ici comme ailleurs, les orages ont déversé des trombes d’eau, mais la grêle a été évitée. Pour l’instant, rien n’est perdu. Gérard BOULAY nous confie que si l’orage venait de l’Est - de la vallée de la Loire - les conséquences pourraient être dramatiques. En effet, il viendrait butter contre les
Monts Damnés et le
Cul de Beaujeu et n’en partirait qu’une fois son chargement infernal délesté. On imagine sans peine les ravages que cela induirait sur ce coteau…
Mais, pour le moment, c’est un grand soleil et une douce chaleur qui nous accompagneront durant la matinée.
Après la prise de contact avec les 7 membres que compte notre groupe, Gérard BOULAY nous propose spontanément d’aller faire un tour dans les vignes avec, néanmoins, une double limite : la terre est amoureuse et les enjambeurs traitent là où ils le peuvent. Nous devrons donc nous adapter au travail des uns et à l’accessibilité des autres.
Belle lumière bleutée sur Sancerre.
Le Kangoo totalement électrique de Monsieur BOULAY nous ouvre le chemin et nous voici parvenus au pied de La Côte. Le panorama est splendide.
De belles vignes, d’un vert tendre et croquant, sont en pleine bourre.
« C’est presque trop vigoureux » constate Gérard BOULAY qui évoque les travaux de relevage à venir.
Nous faisons quelques pas, constatons que chacun n’a pas la même notion de la viticulture et nous arrêtons devant une parcelle qui entame sa 4e feuille. Gérard BOULAY nous confie qu’il a étendu 20 tonnes de fumier sur cette parcelle avant de la planter. Les raisins qui en seront issus entreront très probablement dans la cuvée
Tradition. Le sol en enherbé dans l’inter-rang. Nous constaterons une pratique identique dans la parcelle de la
Comtesse, avec une tout autre vocation.
"C'est presque trop vigoureux !" constate Gérard BOULAY, dans une jeune vigne
.
Nous parlons rendements, vendanges, terroir. Gérard BOULAY nous montre ses parcelles : là où passe l’enjambeur, c’est La côte.
Un peu plus loin, cette parcelle pentue à 45°, c’est
La Garde (respect à ceux qui y vendangent).
La parcelle de La Garde, vue de La Côte.
Au fond, à gauche, le Clos de Beaujeu.
Gérard BOULAY nous montre le Clos de Beaujeu et Les Monts Damnés.
En face entre le sommet et l’espèce de zig-zag à droite : les Monts Damnés.
La Côte des Monts Damnés.
Peut-être moins connus du grand public, ces noms résonnent en moi comme « Les Clos », « Montée de Tonnerre », « La Roche aux Moines »… Je suis - nous sommes - aux anges.
Seule la Comtesse se fait désirer. Nous lui rendrons visite tout à l’heure. De l’avis de ce grand vigneron, les sols kimmeridgiens sont les plus qualitatifs de Sancerre. Ils expriment une race, une aptitude à la garde difficile à prendre en défaut.
Cyril BASCO, bien meilleur observateur que nous, constate que les feuilles des vignes situées sur a parcelle de
La Garde sont un peu plus jaunes que les autres.
Finement observé.
Les teintes jaunes des vignes situées sur la parcelle de La Garde.
Gérard BOULAY nous explique que ces vignes sont atteintes de chlorose mais que, à la fin de la période de végétation, tout rentrera dans l’ordre. Le feuillage retrouvera alors sa couleur vert-foncé.
Il est temps de redescendre vers Chavignol.
Le Kangoo dévale la pente, freine avant d’attaquer la rue principale, tourne à gauche puis oblique à droite et stoppe enfin sur un parking. Toujours alerte, Gérard BOULAY s’en extrait sans peine, franchit un pont, grimpe sur le talus et nous attend au pied de la
Comtesse. Etre au pied de la
Comtesse produit un sentiment bizarre. On rend les honneurs à la noblesse alors que les privilèges ont été abolis il y a plus de 220 ans. Gérard BOULAY nous rassure bien vite : la
Comtesse en question n’a pas laissé une trace impérissable dans l’histoire de France et encore moins à Sancerre...
Au pied de la Comtesse. Vigne de 4 000 m² et vin superlatif...
Nous sommes frappés par la pente de cette parcelle d’environ 40 m de large, en bas de la côte et grimpant à flanc de coteau sur environ 100 mètres. Une fois encore, nous plaignons les vendangeurs. Ici, pas moyen de faire passer une machine à vendanger. Tant mieux, d’ailleurs…
Gérard BOULAY nous apprend qu’il a repris cette parcelle à un vigneron qui lui avait fait promettre de ne pas toucher aux vieux pieds de sauvignon. La promesse fût – est ! – tenue et les ceps noueux et torturés, que n’aurait pas reniés CESAR, sont toujours là.
Un vieux cep de sauvignon qui donne encore du meilleur de lui-même.
La vigne est magnifiquement tenue. Sa voisine de droite semble avoir plus de mal. Gérard BOULAY nous indique qu’elle devrait, en principe, être mieux entretenue par ce propriétaire très connu que je ne nommerai pas. On se dira qu’il a dû prendre du retard avant de rendre un jugement péremptoire...
Repère peint en bleu pour faciliter le travail de l'enjambeur qui passera dans le rang.
L’heure tourne. Un livreur letton attend au caveau. Il vient charger des palettes qui doivent être livrées en Norvège. Gérard BOULAY nous invite à ne pas le faire attendre trop longtemps. Cela tombe bien, nous détestons être en retard lorsqu’une dégustation est annoncée.
A Sancerre, on sait recevoir. Sans chi-chi, sans flon-flon, mais avec panache et générosité.
Le « nouveau » caveau est simple, sobre, à l’image de notre hôte. Pas de chichis, pas de fioritures. A peine quelques fossiles marins nous indiquent-ils qu’une mer recouvrait cette terre il y a plusieurs millions d’années.
Et dire qu'il y a quelques millions d'années, personne ne pouvait déguster ça avec un bon coup d'Sancerre...
Nous évoquons l’ancien caveau, son charme désuet, sa collection de vieux objets autour d’un verre de
Tradition 2017 :
Le vin s’annonce dans une couleur jaune très pâle, presque grise.
Le nez est opulent, un peu fou-fou, légèrement fermentaire avec ses odeurs de fruits exotiques. Il présente une curieuse expression, presque sucrée.
Pourtant, en bouche, le vin se goûte très sec. On est en face de l’archétype du sancerre bien mûr, de belle expression. C’est franc, droit, net, bien fait. Difficile de cracher cette mise en bouche !
Cette année, je fais fabriquer les miens avec "Clos de Rougeot" marqué dessus. En or.
La dégustation s’annonce bien !
Type de modérateur aux anges après avoir bu un truc de dingue.
Gérard BOULAY ouvre ensuite un
Clos de Beaujeu 2016.
On franchit un palier supplémentaire dans l’expression du sauvignon, avec une bouche plus large, plus pleine, mieux définie. Le vin s’exprime dans la largeur, facilement, sans que rien ne dépasse. L’expression aromatique paraît un peu plus épicée. Tout est en place pour faire un très beau vin. C’est déjà diablement bon, mais Gérard BOULAY annonce qu’une garde de 30 ans ne fera pas peur à ce millésime. J’ouvrirai probablement ce vin pour ma retraite…
En parlant millésime, le propriétaire nous livre une anecdote. Récemment invité à New-York, le Sancerrois a goûté une verticale de ses vins s’étalant entre 2014 et… 1959.
« La bouteille de 59 était quasiment au niveau vidange, explique-t-il.
La sommelière a fait tomber le bouchon dans la bouteille en coupant la capsule. Le vin était très bon ».
Très bon. Commentaire à la fois laconique et… précis. Rien de plus. A l’image de la modestie du bonhomme.
Monts Damnés 2016.
Mont Damnés 2016 est dans la droite ligne de
Clos de Beaujeu tout en étant complètement différent dans son expression. On reconnaît le style de Gérard BOULAY, fin, ciselé, tranchant, mais dans une expression peut-être un peu plus radicale, moins consensuelle. D’aucuns diront plus… Minérale. Le vin offre un gros volume en bouche, mais sans le moelleux confortable du
Clos de Beaujeu.
A l’instar du
Clos de Beaujeu, il s’agit d’un sancerre de haute volée, précis, redoutable, imparable.
Pour conclure, Gérard BOULAY sacrifie La Côte 2016. J’écris « sacrifie » car La Côte 2016 est un vin… Qui n’existe plus ! Gérard BOULAY s’excuse :
"tout a été vendu". Mais nous aurons le loisir de goûter ce vin plus minéral que fruité. Une fois encore, le lien de parenté est frappant, mais l’expression est différente. Le vin est droit, austère. Gildas en parlera probablement mieux que moi puisqu’à ce moment, pris dans les discussions, j’ai un peu perdu le fil de la dégustation.
Comment sortir, avec le même cépage, quatre expressions aussi différentes ?
- "C'est ce qu'on appelle le terroir, mon gars".
- "Bu comme ça, je comprends".
Avant de nous intéresser à Oriane 2015, nous posons nos lèvres sur cette fameuse
Comtesse 2016. En tout bien tout honneur, bien sûr.
Cette comtesse est d’une expression baroque, avec un fruit plus marqué, un nez plus envoûtant et une structure en bouche plus volumineuse ; presque plus grasse. Si l’on reste dans les canons du sancerre, ce vin est néanmoins superlatif. Il y a un peu plus de tout et il faut bien reconnaître que c’est
absolument génial. Certains aiment cette expression presque exotique, d’autres préfèrent les traits minimalistes – mais ô combien précis – des
Monts Damnés.
Pour finir, nous dégustons les derniers millésimes de la cuvée
Oriane issue de Pinot noir. Le millésime 2015 est gourmand, de belle expression aromatique (rose, pivoine, poivre), mais en phase de fermeture. Pas d’inquiétude : tout est en place pour faire une très jolie bouteille. Gildas avoue l’avoir mieux goûté l’année dernière.
Sa cadette d’un an est quant à elle plus ronde, plus volumineuse, plus pulpeuse avec, toujours, un beau fruit bien mûr et très pur. Plus ouverte, elle emporte les suffrages des dégustateurs. Quant à moi, toujours à contre-pied, je préfère l’aînée.
Vous cherchez un alternative qualitative aux bourgognes rouges 2008 ?
Oriane 2015 et 2016 sont faites pour vous !
Au terme de cette dégustation, il faut reconnaître une chose : le néo retraité sait faire du vin. Et du bon. Du très, très bon. Tout est millimétré, cohérent, différent, pertinent. Absolument brillant.
Lu comme cela, c'est un peu hagiographique. Mais ce qu'il y a dans le verre démontre que la main des Saints n'y est pour rien et que les divins breuvages ne sont que le fruit du travail d'un homme. Un homme qui a compris ses vignes, leurs sols, la météo. Bref... Les terroirs.
Durant la dégustation, je me suis dit que le monde est à la fois mal et bien fait.
Mal fait parce que tout le monde se précipite sur des bouteilles à plusieurs dizaines, voire centaines d’euros, qui ne valent pas le moindre centilitre d'une
Clos de Beaujeu ou d’une
Comtesse. Après tout... Pourquoi pas. Il faut de tout pour faire un monde.
Bien fait parce que Gérard BOULAY récompense les amateurs qui passent le voir. Il leur donne de son temps, discute, déguste en leur compagnie, écoute leur opinion et leur vend du vin à des tarifs somme toute raisonnables par rapport à bien des vins qui pètent plus haut qu’ils n’ont le goulot.
Le domaine passe désormais aux mains du fiston ; futur ex-prof d'histoire. Gérard BOULAY restera pour donner un coup de main ; se réservant la parcelle de
La garde pour garder la main.
Les blancs de Gérard BOULAY figurent assurément dans le top de l’appellation. Les tarifs peuvent paraître élevés (de 14 € pour le tradition à moins de 30 € pour une Comtesse) mais il faut les mettre en rapport avec la production de vignerons ayant la même notoriété : les DAUVISSAT, RAVENEAU, ARRETXEA, Domaine aux Moines, BOXLER, GANEVAT, TISSOT et bien d’autres. Sans oublier les autres collègues du Sancerrois qui savent aussi bien faire à Bué, Chavignol ou ailleurs. Au regard de la qualité des vins, les tarifs sont encore très accessibles… Lorsqu’il reste du vin !
Midi et demi. Il est temps de partir pique-niquer au-dessus des vignes. Notre hôte nous fait cadeau de deux bouteilles entamées et d’un magnum pour accompagner notre repas. Nous avons passé 3 heures avec un homme charmant qui n’a ménagé ni son temps, ni ses efforts pour nous accueillir dans une période où la vigne, selon ses propres mots
« est un peu compliquée à gérer ».
Midi : pique nique au panorama surplombant Chavignol.
Notez le modérateur en plein travail de... modération et, à l'arrière-plan, un LPVien réfléchissant sur le CR qu'il va rédiger...
15 heures ! Nous arrivons au Domaine Claude RIFFAULT, dont la qualité des vins nous a été vantée par un jeune LPVien répondant au pseudonyme de Cyril Basco (celui de la photo du d'ssus, si vous suivez bien). Un gars plein d’avenir qui, à force de fréquenter les salons, a repéré ce domaine éminemment recommandable
. On ne peut pas dire prometteur, puisque Stéphane RIFFAULT travaille depuis 18 ans. Encore que ! Le domaine est en train de réussir sa conversion biologique et évoque un passage en biodynamie à brève échéance.
Il s’agit d’un des domaines les plus au nord de Sancerre, qui travaille trois types de sols : sols argilo-calcaires, sols de marnes kimmeridgiennes et sols d’argiles à silex. Plusieurs cuvées sont élaborées et expriment chacune la spécificité des sols desquelles elles sont issues.
Stéphane RIFFAULT nous accueille dans la cour du Domaine. Il nous explique que la période est un peu compliquée, que les vignes sont en pleine végétation et que la climatologie n’invite pas à être confiant. En effet, ici comme à Chavignol se fait sentir la pression du Mildiou. Il convient donc de redoubler de vigilance.
Stéphane RIFFAULT nous invite à l’accompagner dans le chai. Tout est impeccablement rangé. Les barriques, vides ou pleines, sont parfaitement alignées. Les trois pressoirs du chai, les cuvons, les tuyaux, les cuves béton tronconique… Tout est propre. On mangerait par terre. Cela me rappelle notre visite chez Benjamin DAGUENEAU : Chais nickel mais personnage aussi froid que son chais...
On parle vendanges, vinification, machine à vendanger, enherbement, travail du sol, barriques, foudres. Stéphane RIFFAULT est pédagogue, clair et précis dans ses explications. On l’écoute sans l’interrompre en se disant que ce gars-là connaît son métier. Tiens ! Il me rappelle un jeune retraité de Chavignol…
Nous goûterons les vins sans pouvoir acheter la moindre bouteille.
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« En somme, Sancerre va très bien ! » lancé-je, un peu provocateur, à Stéphane RIFFAULT.
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« Oui ; Très bien. Trop bien, même »…
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« Ah bon ? Et pourquoi ? »
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« On assiste à l’arrivée d’investisseurs qui achètent des vignes au prix fort. La marque château de Sancerre et ses vignes ont récemment été acquis par Ackermann pour 20 M€. Ici comme en Bourgogne, le prix du foncier viticole augmente ».
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« Dans ces conditions, il devient difficile de s’agrandir » ?
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« Je ne le souhaite pas. Nous avons 15 ha, ma femme et moi. Durant l’année, nous sommes 5 permanent plus un travailleur à mi-temps qui nous occupons du domaine. C’est suffisant. De plus, dans une période cruciale comme celle que nous connaissons en ce moment, au moment où nous devons relever les sarments, nous ne trouvons plus de main d’œuvre. Certains viennent travailler une semaine et repartent. Les étudiants sont encore en période d’examen. Le boulot n’est pas dur, mais nous ne trouvons pas de main d’œuvre. Je suis en permanence dans les vignes. Dans ces conditions, augmenter la superficie du Domaine serait compliqué ».
Nous continuons la discussion autour des vins du domaine.
Je cède le clavier à Gildas qui a fait plein de belles photos lors de notre 2e visite et qui, je l’espère saura être plus précis que moi sur les vins dégustés. J’avoue avoir totalement lâché prise. Pas envie d'écrire ni de faire des photos ; juste l'envie de profiter de cette paisible parenthèse.
A toi, Gildouille !