Matthieu Delaporte innove !
Samedi dernier j’avais pris rendez-vous avec Matthieu pour une visite avec l’intention de goûter les 2019. A mon arrivée, j’ai la bonne surprise de voir que je serai accompagné par Amélie et Charles, du
Vignoble des 2 lunes
à Wettolsheim. En effet Charles a fait ses études au Lycée viticole de Beaune avec Matthieu : je vais ainsi pouvoir bénéficier de leurs échanges pointus sur leurs méthodes viti-vini
. Seul bémol : je dois partir tôt dans l’après-midi car nous sommes enrôlés comme gardes d’enfants pour la semaine, et la dégustation sera donc faite en 3ème vitesse (pas en 4ème quand même !
) par ma faute…
Alors que le Vignoble des 2 lunes est en biodynamie depuis longtemps, Matthieu explique que depuis qu’il a repris la conduite du domaine de son père en 2011, il n’utilise plus aucun herbicide et a drastiquement limité les traitements. Il a maintenant bien compris comment réagissent ses différentes parcelles et sait mieux anticiper, ce qui lui a permis d’entamer une conversion bio (2ème année en cours). Il envisage également de passer à la biodynamie ultérieurement mais « le climat est moins favorable qu’en Alsace, notamment en pluviométrie ».
Matthieu est fier de montrer ses pressoirs Coquard mais Charles les connaît, suite à un stage chez Mumm : ce sont en effet des pressoirs utilisés principalement en Champagne, mais qui permettent aussi d’obtenir des jus très clairs et d’éviter le débourbage pour les blancs tranquilles. Mais il faut bien connaître un nouveau matériel comme celui-ci afin de parfaitement adapter les opérations suivantes voire annexes comme le nettoyage. « C’est comme un chef cuisinier qui doit s’adapter à un nouveau four ».
Je ne développerai pas les autres comparaisons sur les différents matériels investis par l’un et par l’autre car les contraintes ne sont pas les mêmes. Toujours Matthieu : « En Alsace, les vendanges sont équivalentes à un marathon, en Centre-Loire c’est un sprint ! ».
Nous passons à la cuverie pour déguster des 2019 et 2020, selon les cuvées, dont une première mise a été réalisée récemment ; les jus des cuvées parcellaires ont été transférés dans ces contenants après leur élevage sous bois et avant mise en bouteilles.
C’est donc pour moi l’occasion de poser la question sur d’éventuelles différences entre mises. Matthieu me répond qu’il goûte souvent les différentes mises de façon comparative et qu’il ne constate rien d’important, même pour sa cuvée Chavignol blanc qui fait l’objet de six mises (seulement deux pour les autres) avec un petit plus pour les mises intermédiaires.
Concernant son analyse comparative des trois derniers millésimes, tous trois réputés pour être très chauds : « en 2019 nous avons eu 20 mm de pluie juste avant les vendanges, ce qui a permis d’avoir plus de fraîcheur que sur 2018 ; 2020 se situe entre les deux ».
Sancerre – Les Monts Damnés – 2019
Un vin d’une aromatique enchanteresse mais également d’une grande profondeur et d’une salinité qui signe le grand terroir. On démarre très fort !
Sancerre – Le Cul de Beaujeu – 2019
Puissance et grande finesse, un fruité radieux teinté d’une touche minérale, des tanins déjà soyeux, une allonge remarquable. C’est très beau ! Et cela confirme que 2019 est un grand millésime, en blanc comme en rouge.
Sancerre – Chavignol – Rosé – 2020
Même sur son rosé, Matthieu soufre un minimum, avec 50 mg / l de SO2 total.
Plus que friand, ce rosé est séducteur et concentré, de caractère, fait pour la table. Une encore plus grande réussite que précédemment !
Sancerre – Chavignol – Blanc – 2020
Un vin gorgé de fruits qui ravit, à la bouche moins ronde et plus vive que le 2018 et même le 2019. Pour la première fois je note quelques accents salins en finale. Je pense le meilleur Sancerre blanc de caillotes non parcellaire qu’il m’ait été donné de goûter.
Nous nous dirigeons maintenant vers le chai pour déguster les vins en élevage.
Sancerre – Silex – Blanc – 2020
Le vin ne titre que 13 ° malgré les conditions climatiques du millésime.
Le vin affiche une formidable pureté tout en étant doté d’une grosse densité. La minéralité du terroir lui procure une magnifique tension, sans masquer le grand fruit et faisant ressortir une belle salinité en finale.
Sancerre – Les Monts Damnés – 2020
Cette fois-ci le vin approche les 14, 5 °.
La puissance est phénoménale en bouche, peut-être rehaussée par la teneur en alcool, mais l’ensemble est compensé par une matière sans faille et une acidité vertébrale qui lui procure également une persistance remarquable qui s’affirme sur des amers classieux.
Mais je sens que tu t’impatientes, lecteur LPVien attentif : « j’ai bien noté que tout est réussi chez Matthieu, mais cela, on le sait depuis longtemps ! Le titre nous avait laissé supposer quelque innovation allant bien au-delà d’un nouveau millésime… ».
Lorsque Matthieu avait présenté rapidement son domaine à ses confrères, il avait cité les deux grands terroirs de Chavignol dont il était fier, les Monts Damnés et le Cul de Beaujeu. J’avais ajouté qu’il possédait aussi un peu du 3ème grand terroir, la Grande Côte, mais qu’il assemblait les raisins qui en étaient issus avec sa cuvée Chavignol… Je l’avais alors vu ouvrir de grands yeux, et il m’avait alors demandé s’il m’avait mis dans le secret…
C’est effectivement la nouveauté du millésime 2020 : les 0,5 ha de la Grande Côte ont été vinifiés à part. Et pas vinifiés de façon classique… Nous avons eu le privilège de goûter cette cuvée élevée dans trois contenants spécifiques de compétition !
Opulence, richesse aromatique, classe, distinction : c’est mon préféré.
Fût neuf de la Grange : la Rolls Royce des fûts
Un fruité exacerbé et démonstratif au nez, un boisé beaucoup plus marqué en bouche (trop pour moi, mais le vin n’est pas fini et vise une grande garde) malgré la matière XXL.
« Ballon de rugby » en grès aux dimensions du nombre d’or
Léger perlant en attaque, tension énorme qui ne masque pas une formidable concentration, allonge superbe.
Matthieu a déjà fait des essais d’assemblage et penche pour ½ fût, ¼ wine globe et ¼ grès.
Nous avons l’énorme chance de goûter ce que cela pourrait donner : le boisé est beaucoup plus fondu et l’ensemble tire profit de la puissance du wine globe et de la tension du grès. Un futur grand vin de garde !
!
Juste au passage, Matthieu remplit nos verres, à goûter en marchant en nous dirigeant vers la salle de dégustation (il ne voulait pas me mettre en retard !).
Sancerre – Silex – Rouge – 2020
Un fruité pas explosif mais pur et profond, une tension formidable en bouche, des tanins fins, un beau raffinement.
Mes compagnons de dégustation vont poursuivre avec les vins déjà en bouteille, mais Matthieu prend d’abord le temps de remplir le coffre et toute la banquette arrière de ma voiture… Ce n’est pas tout pour moi car nombreux sont mes amis qui apprécient ses vins !
Il faut dire que pour la troisième année consécutive le domaine n’a pas augmenté ses prix, ce qui est tout simplement remarquable… et remarqué. Et à 12 € les Chavignol, 16 € les Silex et 20 € les deux cuvées parcellaires, le rapport plaisir / prix est formidable. On peut garder le même qualificatif pour l’accueil : merci Matthieu !
Jean-Loup