Visite au domaine Bid’gi
Sachant que j’allais passer quelques jours à Nantes j’ai contacté l’ami Michel, installé depuis trois ans près de Nantes et qui est celui qui m’a tout appris sur le vin lorsque je débutais.
Le but était d’aller ensemble faire la visite d’un domaine de cette belle région qui souffre depuis quelque temps mais qui a des atouts et des raisons d’espérer un meilleur avenir.
J’avais aussi interrogé l’ami Vincent (vougeot), grand connaisseur du Muscadet, qui m’a fourni une liste de domaines, courte mais pointue, avec tout un tas de renseignements sur chacun !
Elle se recoupait bien avec celle de Michel mais celui-ci a donné la priorité à un domaine qu’il ne connaissait pas : le domaine Bid’gi. Je dois dire que les commentaires très laudatifs de Vincent sur deux cuvées de ce domaine avaient aussi attiré ma curiosité…
C’est donc Daniel Bideau qui nous accueille et va passer 1h30 avec nous pour la dégustation et pour répondre à nos questions !
Il nous confirme que le domaine réunit les vignes de sa famille et celles de sa femme, Marie-Béatrice Giraud. Certaines cuvées ont donc gardé les noms des anciens château ou domaine.
Désolé pour la qualité des photos. J'ai perdu les miennes (disque dur HS...) et Michel n'a pas l'habitude de faire des photos avec son téléphone, étant un expert en photographie...
Daniel sort trois bouteilles et les place derrière des échantillons de roche. Nous allons ainsi beaucoup parler géologie, ce qui n’est pas pour déplaire à Michel, éminent géographe !
Le domaine ne possède pas de vignes sur sol de gabbro, un sol plus froid qui donne des vins très tendus. En termes d’apogée ce sont les amphibolites qui donnent les vins les plus précoces, à boire sur 2-3 ans. Puis les orthogneiss (en fait du granit compressé) peuvent se boire sur 5-6 ans et les micaschistes autant voire un peu plus.
Les vignes des 35 ha du domaine, toutes sur la commune de la Haye Fouassière, sont conduites en suivant la démarche Terra Vitis, certifiée Agriculture écologiquement durable. Le travail du sol se fait par décavaillonnage sur quelques cm et par griffage. Les rendements tournent autour de 40-45 hl/ha (NDR : loin du rendement maximum butoir de 72 hl/ha et même du rendement moyen de 55 hl/ha).
Les vinifications se font selon la méthode du Muscadet Sèvre et Maine sur Lie, principalement en cuves béton ou inox, sauf exception qui sera signalée. Les batonnages sont réalisés “selon le besoin” et il n’y a jamais de collage. En général il n’y a pas de fermentation malolactique, sauf dans quelques années froides et pour quelques cuvées ; dans ce cas elles sont limitées à 20 %, soit pour 1/5 du volume total avant assemblage.
Domaine des Baluettes – Muscadet Sèvre et Maine sur Lie – Les Coteaux – 2018
Cette cuvée est issue de vignes exposées plein sud sur un terroir d’orthogneiss.
Un vin très expressif, au nez comme en bouche, avec beaucoupd’ampleur, une bonne fraîcheur et une finale finement saline.
Bien +(+)
Daniel confirme nos impressions en précisant que ce terroir d’orthogneiss donne des vins avec plus d’aromatique et moins d’acidité que la moyenne.
Domaine Le Vieux Chai – Muscadet Sèvre et Maine sur Lie – 2018
Cette cuvée est issue de vignes exposées plein sud sur un sol d’amphibolite.
Le vin est moins expressif, mais d’une belle structure et plus minéral, aussi bien par son aromatique pierreuse et iodée que par sa tension.
J’ai beaucoup aimé ce style.
Bien ++ / Très Bien
Château Haute Carizière – Muscadet Sèvre et Maine sur Lie – 2018
Cette cuvée est issue de vignes à l’exposition sud-ouest sur un sol de micaschiste.
Le nez est proche du Domaine des Baluettes, la bouche possède un infime perlant puis allie la gourmandise des Baluettes et la minéralité du Vieux Chai.
Bien ++
Cet infime perlant nous fait poser la question sur l’objectif visé. Daniel nous répond que ses vins ont en général 2 000 mg/l de gaz carbonique. Celui-ci est donc éliminé (en fait réduit en quantité) à l’azote, l’azote étant neutre et présentant en outre l’avantage de protéger le vin contre l’oxydation. Il vise une teneur de 1 200 mg/l de CO2 en bouteille, alors que la limite de détection se situe entre 1 000 et 1 200 mg/l.
Comme nous en avons fini avec le millésime 2018 et que la qualité est manifestement là, nous posons la question de la quantité, notamment en relation avec les attaques de mildiou qui ont été très fortes dans de nombreuses régions. Cela n’a pas été le cas en région nantaise, contrairement à 2016 où une attaque a été fulgurante, juste au moment le plus sensible de la fin de la fleur. Dans ce cas Daniel utilise des huiles essentielles pour sécher la vigne, pas trop pour ne pas la stresser, puis du cuivre pour le traitement, culture biologique oblige.
- “Et 2019 alors ?”
- “Pour l’instant cela va bien, je n’ai eu qu’un peu de gel”.
- “Un peu, c’est combien ?”
- “40 % mais comparé à d’autres qui ont eu 80 à 90 % de leurs surfaces gelées, c’est peu...”
Voilà un homme philosophe !
Nous poursuivons avec des cuvées réclamant un peu plus de temps pour être à leur meilleur.
Grand Mortier Gobin – Muscadet Sèvre et Maine sur Lie – 2015
Cette cuvée sera auréolée de l’appellation “Cru communal La Haye Fouassière” lorsque cette appellation, en cours de labellisation, sera reconnue. C’est un point très positif pour l’avenir, mais tout à fait justifié comme on va le voir.
Le sol est composé d’orthogneiss mais avec une fine couche d’argile en surface. En général cette couche d’argile disparait (on parle ici en milliers d’années !) mais elle a été ici protégée par une ancienne couche de grès.
La vinification est semblable à celle des trois cuvées précédentes mais avec une fermentation plus lente (4 à 6 semaines). Celle-ci permet de ne pas intervenir sur les températures car il y a un dégagement de chaleur limité, de même qu’il n’y a pas de levurage, en comptant sur les levures indigènes.
L’élevage sur lies, toujours en cuves béton, est plus long, de 20 à 36 mois selon les années au lieu de 6 à 8 mois ; il ne doit pas être trop poussé les années chaudes pour garder suffisamment de fraicheur.
Le nez très intense est surtout fort complexe, mêlant des arômes primaires à des arômes secondaires plus variés. La bouche surprend par sa richesse et se ponctue par de beaux amers en finale.
Assurément un vin de gastronomie.
Très Bien +
La période d’apogée peut facilement aller jusqu’à 7 à 8 ans et c’est confirmé par les dégustations commentées sur LPV.
Les Vieilles Vignes – Muscadet Sèvre et Maine sur Lie – 2013
- "Vieilles Vignes ?"
- "Oui, 80 ans en moyenne !"
Il y en a quand même 3,5 ha, sur orthogneiss sans couche d’argile mais en haut du plateau, et qui produisent encore 35 hl/ha.
Mais ce qui caractérise véritablement cette cuvée est le vieillissement en fûts, pour moitié de chêne et moitié d’acacia, pendant une très longue durée, 36 mois pour ce millésime.
Un vin très aromatique, à la belle matière mûre et marquée par l’élevage, même si les barriques ont de 6 à 10 vins.
Bien ++ car je suis moins fan de ce style mais assurément également un excellent vin de gastronomie.
Mature – Muscadet Sèvre et Maine sur Lie – 2012
Cette cuvée est issue de vignes exposées à l’est sur un sol de micaschistes.
J’ai cru que cette cuvée s’appelait “Nature” car elle est produite sans aucune intervention. Ainsi la fermentation alcoolique s’interrompt avec le froid de l’hiver et repart au printemps pour transformer les derniers sucres (de 1 à 3 g / l) . La mise en bouteille sans aucune filtration a lieu au mois de novembre suivant mais le vin n’est vendu que 3 ou 4 ans plus tard pour une meilleure stabilisation. Il n’y a aucun apport de soufre tout au long de la vinification, ni même lors de la mise en bouteilles, les lies jouant le rôle de conservateur.
Un nez luxuriant sur la pomme au four, le miel et les épices, une bouche très riche, avec du gras et une finale plus effilée, aux légers amers.
Bien ++
Un vigneron de Château-Chalon lui aurait trouvé des similitudes avec son vin, mais cela ne m’a pas frappé, sinon la richesse aromatique et la puissance.
Pour être exhaustif, le domaine produit également un effervescent de méthode traditionnelle et un vin tranquille à base de colombard et un pinot gris sec.
Je pense résumer de façon correcte la vision de Daniel Bideau et Marie-Béatrice Giraud : tirer le meilleur de leurs magnifiques terroirs en tenant compte de leurs spécificités, intervenir le moins possible en vinification et réaliser de faibles ajustements en fonction des caractéristiques des millésimes.
Avant de partir nous passons commande de quelques cartons sans connaître les prix : ceux-ci sont scandaleusement bas ! Il serait même indécent de les afficher ici.
Espérons que l’appellation “cru communal” voie rapidement le jour et ait du succès pour permettre une augmentation nette et raisonnable.
En tout cas un grand merci à Daniel Bideau pour sa disponibilité et la patience qu’il a eue pour répondre à toutes nos questions !
Et merci à Vincent pour le tuyau...
Jean-Loup