Une douzaine d’années après un premier passage dans ce domaine, je l’ai revisité le 18 octobre dernier, à la faveur d’un déplacement dans l’ouest de la France, en route pour la Mayenne et la Manche. J’ai été chaleureusement accueilli avec beaucoup de patience par Mme Gigou. M. Joël Gigou fondateur du domaine en 1974, qui travaillait depuis quelques années avec son fils, a désormais formellement passé la main, tout en restant à proximité. L’arrivée progressive du fils aux commandes a déjà pris la forme d’étiquettes nouvelles pour certaines cuvées, l’ensemble de la gamme devant bénéficier d’un nouvel habillage dès 2010, ce qui donnera un coup de frais à la présentation très conservatrice des flacons. La famille Gigou travaille 13 hectares de vigne, dont 9 en Jasnières, «grand cru » des coteaux du Loir, à cheval sur les communes de Lhomme et de Ruillé sur Loir, et 4 en coteaux du Loir, en l’occurrence avec des vignes sur Marçon et Chahaignes. La cave est située dans la petite bourgade de la Chartre sur le Loir.
Globalement le climat de la vallée du Loir est nettement tourangeau et le sous-sol est essentiellement constitué de tuffeau. Comme en Touraine, les caves sont creusées dans cette même roche, la cave des Gigou n’échappe pas à la règle, avec un petit dédale de compartiments, bien sympathique. Dans les blancs, le chenin règne en maître absolu, tant en Jasnières qu’en coteaux du Loir. En rouge des coteaux du Loir, le cépage principal est le pineau d’Aunis, mais le gamay, le cabernet franc, le côt et le grolleau sont également présents. Le domaine Gigou ne travaille que le pineau et le gamay.
La dégustation a pour l’essentiel porté sur les 2008 et 2009, le 2010 n’étant pas encore à la vente. Curnonsky aurait dit que le Jasnières est le meilleur vin du monde trois fois pas siècle. Le réchauffement climatique montre toutefois de plus en plus ses effets, même dans ses régions « septentrionales » et le raisin arrive à maturité presque systématiquement, ce qui n’était pas le cas dans un passé pas si lointain, avec comme conséquence, une rondeur et parfois des sucres résiduels (SR), que j’avais peu ou moins perçus lors de mon premier passage.
Le
coteaux du Loir 2008 blanc est un vin au nez frais, typé du cépage, propre, sec, avec un bel équilibre en bouche, de la structure et de la longueur. Très belle entrée en matière. Bien +.
Le
coteaux du Loir 2009 blanc, est plus riche, moins expressif, avec une opulence en bouche qui se traduit pas un moins bon équilibre et un petit sucre résiduel (SR). Moyen.
Le
Jus de Terre, Paradis, 2009, n’a pas obtenu l’agrément pour l’AOC, pour des raisons difficilement compréhensibles, il est donc vendu en vin de table. Le nez est très typé chenin, encore un peu sur la réserve, la bouche est grasse, ample, avec un petit SR, mais de bon équilibre et une touche saline. Bien +.
Le
Jasnières, clos St-Jacques 2005, présente un joli nez à la fois floral, fruité et quelque chose de minéral, la bouche est ample, solidement structurée, presque sèche, l’équilibre est très bon. Il est déjà très avenant, mais pourra vieillir au moins un dizaine d’années. Très bien +.
Le
Jasnières, clos St-Jacques 2008 est au nez dans une phase de fermeture et en bouche, s’il y a de la matière, l’alcool est un peu trop présent à mon goût. Un vin quelque peu dissocié en l’état et à revoir.
Le
Jasnières, clos St-Jacques 2009, est fin, propre et net, expressif, la bouche est très ample, grasse, joliment structurée et l’équilibre est là malgré un SR sensible. Il paraît tailler pour une longue garde. Très bien.
Le
Jasnières Duo Majeur 2008 est vinifié dans un autre esprit, soit deux ans en barrique, sans ouillage. Il en résulte un style très différent, presque jurassien…, avec un nez très expressif présentant un boisé noble, des notes de coing, une nuance de vin jaune, c’est complexe et intense. La bouche est ample, concentrée, un petit SR, mais contrebalancé par une acidité racée digne de certains rieslings ou savagnins, la finale est d’une grande longueur. Un vin un peu hors norme et ma foi fort convaincant, qui devrait aller loin dans le temps. Très bien ++.
Le
Jasnières 2009, sélection de raisins nobles a un nez complexe, typé, bien marqué par le cépage et le botrytis. La bouche est très ample, grasse, finement structurée et équilibrée par une belle acidité, la liqueur glycérinée est très goûteuse, sans être lourde et la finale est d’une grande longueur. Voici un vin taillé pour une longue garde. Très bien ++. Ça tombe bien ma cadette est de ce millésime…>
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L’extrait de Jasnières 2005, une sorte de super sélection de grains nobles, est encore réservé au nez, très gras, onctueux, il est soutenu par une belle acidité et il y a en filigrane une belle minéralité. Encore un rien brut de fût, il devrait encore évoluer longuement pour s’exprimer davantage et manifestement il pourra aller très loin. Bien +, à revoir. A ce stade la sélection de raisins nobles est plus épanouie et plus digeste.
Le
rosé 2010, coteaux du Loir, a un nez encore un rien retenu, voire un poil chiffonné, mais la bouche est très expressive, juteuse, dans un registre bien sec, il y a de l’ampleur, de la concentration, de l’équilibre, avec une touche saline et une très belle longueur. Très bien. Assemblage de gamay et de pineau, voici un rosé à envisager plutôt à table qu’à l’apéritif.
Le
pineau d’Aunis 2008 est expressif, épicé, voire un rien sauvage, en bouche, on perçoit une certaine rusticité, des tanins très fermes, une trame acide sensible, une finale très marquée sur le poivre. Si le nez présente une belle typicité, la bouche est un peu plus à la peine et on aurait souhaité un poil de maturité en plus. Moyen.
Le
Pineau d’Aunis 2009 présente des caractéristiques inverses, le nez est relativement muet, la bouche est ample, les tanins sont denses, on retrouve le poivre en final, mais l’ensemble manque singulièrement de niaque, de tension. Moyen.
Le
pineau d’Aunis, l’ancêtre, 2009, est d’un tout autre calibre, issu de vieilles vignes de 100 ans, malheureusement produit à la hauteur que d’un petit millier de bouteilles. Le nez est typé et complexe, fruits noirs et rouges, une nuance épicée, poivre, quelque chose de sauvage, bien qu’encore réservé, il y a de la complexité et de l’élégance. La bouche additionne un peu les qualités des deux cuvées précédentes, typicité et maturité, mais sans les défauts, attaque ample, concentration, trame tannique serrée, mais sans rugosité, il y a de la fraîcheur, une grande longueur. Un vin assez hors norme, sans artifice, à la fois savoureusement rustique et racé, mais sans mauvaise astringence, d’une belle buvabilité. Il faudra l’associer avec des plats plutôt roboratifs. Il devrait aller loin dans le temps. J’ai beaucoup aimé, probablement LA découverte de cette visite et le vin qui m’a le plus marqué pas son authenticité et sa belle facture. Comme quoi ce cépage à la réputation modeste peut donner parfois de très bons vins. Très bien +++.X(
Le
Gamay 2008, Cuvée Gigou’t, un beau gamay issu d’un terroir forcément très calcaire, au nez encore un rien réservé, mais complexe, fruité, un rien épicé, avec quelque chose de minéral, un peu sur le graphite. La bouche est ample, structurée, concentrée, un joli grain de tanins, avec une belle tension et une très bonne longueur. Un gamay sans concession, de haute expression et plein de personnalité, à boire ou à laisser évoluer sur 5-7 ans. Très bien +.
La
bulle sarthoise, mousseux rouge de méthode traditionnelle, issu du millésime 2008, mais non indiqué. Quelqu’un l’a décrit dans un autre post sur LPV comme une sorte de kir royal prêt à l’emploi, ce qui me semble à la fois inexact et réducteur, il est vrai qu’il ne s’agissait probablement pas du même millésime. La robe est rubis assez intense, la bulle est moyennement fine, mais persistante, le nez est assez percutant, avec ces notes fruitées et épicées caractéristique du pineau d’Aunis. La bouche est assez sèche, malgré la vingtaine de grammes de SR, il y a une certaine vinosité, de la vivacité, un rien de rusticité (on perçoit un peu les tanins), une effervescence traçante tout au long de la bouche et la finale est à la fois tonique, épicée et de bonne longueur. Le tout donne un mousseux à la fois primesautier, frais et un tantinet rustique, dont les saveurs et la densité peuvent dérouter. Il ne correspond ni à un lambrusco italien, ni même à d’autres mousseux rouges voisins, bus ailleurs dans la Loire ou en provenance d’Europe orientale. Vu sa forte personnalité et son côté un rien sauvage, il me paraît davantage construit pour accompagner le repas que l’apéro et, de fait, il a été très adéquat ultérieurement sur un poulet rôti au four. Bien, une curiosité à découvrir.
J’étais venu surtout pour les blancs de Jasnières et au final, je suis aussi reparti avec une belle cargaison de rouges des coteaux du Loir… Bilan de la visite, une belle redécouverte d’un domaine plutôt garant d’une certaine continuité et de la tradition, avec des vins pour la plupart bien typés et de belles réussites. Si l’évolution climatique semble rendre les blancs plus tendres que par le passé (avantage ou inconvénient, cela dépendra du goût de chacun…), il semble très favorable aux rouges, à tout le moins aux deux cuvées particulières (Gigou’t et l’Ancêtre) d’une ampleur et d’une profondeur qui m’ont très positivement surpris. La bulle sarthoise est à l’évidence un vin à découvrir pour ceux qui recherchent des mousseux sortant un peu des canons œnologiquement corrects. En résumé, un domaine à (re)découvrir...
Hervé